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Elections américaines
Avant le dernier débat présidentiel
François-Bernard Huyghe
Photo IRIS
15 octobre 2008 Le troisième et dernier débat
télévisé entre Obama et McCain s'ouvre sous le signe d'un
certain affolement du côté du second.
Ce phénomène n'est guère mystérieux tant les mauvaises
nouvelles se succèdent de ce côté. Le sondages d'abord sont
mauvais pour le Grand Old Party (même si nous savons qu'ils
peuvent se tromper autant que les nôtres en 2002 et même si
certains parlent d'un effet déformant qui inciterait certains
sondés à se dire prêts à voter Obama de peur d'apparaître comme
des racistes, alors que leurs préférences iraient à McCain). Le
décompte des swing states qui peuvent passer d'un camp
dans l'autre n'a rien non plus d'encourageant pour la droite
(n'oublions pas non plus les législatives qui se dérouleront en
même temps que les présidentielles et qui pourraient être
catastrophiques). L'argent de la campagne manque. Les
accusations portées contre Sarah Palin dans le "troopergate"
(cette obscure affaire de pression sur des agents de l'État
pour faire licencier un agent de police) aggravent les choses.
Le moral républicain est visiblement à la baisse. Mc Cain se
voit pressé par son camp d'annoncer un grand plan de réduction
des impôts, guère crédible en ces temps de plan Paulson. Le
sénateur de Caroline du Sud, Graham Lindsey annonce même la
chose comme assurée et McCain renonce à le faire.
Il gaffe en parlant de "fouetter vous savez quoi à son
adversaire. L'expression quoique corsée est assez courante aux
USA (to wipe his you-know-what), mais ses connotations
avec le supplice du fouet appliqué aux esclaves ont sauté aux
yeux de tout le monde.
L'équipe de campagne de Mc Cain, à commencer par ses deux
conseillers, Rick Davis, Steve Schmidt, est de plus en plus
contestée. Même Carl Rove qui fut le spin doctor de GWB
adresse quelque avertissements désolés à son candidat dans
Newsweek. Il reconnaît lui-même que "les problèmes économiques,
la guerre et le légitime désir de donner une chance à l'autre
camp (après un seul parti pendant huit ans à la Maison Blanche)
devraient donner un grand avantage à Obama et Bidden". Si c'est
ce que proclame un grand spécialiste du marketing politique, dur
entre les durs du camp républicain...
Mais à cette ambiance s'ajoute un phénomène préoccupant pour le
candidat républicain : le fameux "durcissement" de la campagne.
Pour satisfaire ses éléments les plus durs, doit-il courir le
risque d'apparaître comme surexcité ? Sarah Palin qui aime
elle-même se comparer à un bull-dog ou à un barracuda avait
largement contribué en évoquant l'affaire Ayers, cet activiste
de gauche qu'a fréquenté Obama à Chicago. Surtout dans les
meetings la base républicaine, celle de la "guerre des cultures"
contre les "libéraux" demande à son candidat d'être plus
offensif. Et Mc Cain se fait siffler dans les réunions lorsqu'il
explique qu'il faut respecter son adversaire. Lorsqu'il dit qu'Obama
est "quelqu'un de bien et dont vous ne devrez pas avoir peur
s'il devient président", ses partisans les plus durs voudraient
entendre que c'est un ami des terroriste ("Obama Oussama"
scandent certains), un musulman inavoué, un ennemi des valeurs
de l'Amérique profonde... Sans parler du non dit raciste qui
pourrait affleurer.
Pourtant les Républicains font déjà deux ou trois fois plus
d'annonces politiques pour discréditer leurs concurrents qu'en
sens inverse. Les spots télévisés négatifs, parfois d'une
agressivité ou d'une ironie surprenante pour un Européen, sont
typiques des campagnes américaines. Un petit tour sur You Tube
donnera au lecteur une idée de la violence (souvent d'ailleurs
assez talentueuse) des attaques. Certes, les démocrates ne sont
pas des agneaux en ce domaine : certaines phrases sur l'âge de
MC Cain, certaines parodies de Sarah Palin sont incroyablement
féroces. Et ne parlons pas de Madonna comparant Mc Cain à Hitler
ou faisant scander à la foule qu'il faut "botter le cul" à
Palin.
Mais, suivant une longue tradition, la palme de l'agressivité
revient traditionnellement aux Républicains. Cette tradition de
férocité lancée dans les années 60 s'était développée avec les
attaques contre Dukakis, présenté comme encourageant la
criminalité, ou contre Clinton qui, lui, fut l'objet d'à peu
près toutes les accusations imaginables y compris sous la
ceinture. L'actuelle campagne pourrait battre d'autres records.
Le problème de la stratégie négative est, d'une part qu'elle
n'aide guère à conquérir des électeurs centristes ni à les
convaincre de sa sérénité de futur "commander in chief",
d'autre part qu'elle offre des arguments à l'adversaire. Ce
qu'on fait les démocrates tantôt dans des spots sur le thème "Mc
Cain mène des attaques personnelles parce qu'il n'a rien à
proposer" tantôt, comme l'élu démocrate John Lewis en accusant
Mc Cain et Palin de de semer "les germes de la haine et de la
division" et en les comparant au gouverneur ségrégationniste
Wallace. Accusation qui à son tour provoque des accusations
d'intolérance et de violence et ainsi de suite en abyme..
Or, par définition le débat est un exercice feutré. La
disposition des pupitres, la façon dont sont posées les
questions, la distance entre les candidats qui ne favorisent pas
le face-à-face et l'interpellation ; : tout est fait pour
diminuer la tension. En fait, le débat est une sorte de duel où
celui qui dégaine le premier perd. Cette règle est valable en
France (du débat Fabius-Chirac de 1985 au débat Royal-Sarkozy de
2007, on a vu des candidats s'efforcer de faire perdre son calme
à l'adversaire pour révéler son supposé "vrai visage" agressif).
La chose est cent fois plus vraie aux USA.
Les 90 minutes du débat sont présentées par beaucoup comme la
dernière chance des Républicains : même si c'était vrai, le
candidat pourrait difficilement l'aborder dans de pires
conditions. François-Bernard Huyghe
Docteur d’État en Sciences Politiques
Habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Information
et Communication
Intervient comme formateur et consultant
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