France :
élections présidentielle 2007
La
peopolisation de la campagne présidentielle
Thierry Meyssan*
Investiture
de Ségolène Royal le 26 novembre 2006
Photo : Parti socialiste La
première phase de la campagne électorale présidentielle déconcerte.
La politique y a cédé la place à une mise en scène de la
personnalité des candidats soutenus par les médias. Thierry
Meyssan analyse cette dérive qui éloigne la France de la démocratie.
La campagne électorale présidentielle
française de 2007 ne ressemble pas aux précédentes.
Traditionnellement, les candidats se posent en meneurs d’hommes,
énoncent des objectifs politiques, déclinent éventuellement un
programme pour les mettre en œuvre, et finalement en appellent au
peuple. Cette fois, les deux candidats soutenus par les médias se
présentent comme des individus exemplaires qui, par leur courage
et leur ténacité, vont restaurer des qualités humaines déclinantes
dans la société. Ils ne tracent pas de lignes politiques, mais
incarnent un comportement idéal.
Nicolas Sarkozy a le premier opéré
cette mutation. Dès 1994, il a lui-même personnalisé à
outrance le conflit qui opposait Edouard Balladur (dont il était
le porte-parole) à Jacques Chirac. Il a convaincu les médias que
tout cela n’était qu’un choc d’ambitions. Pendant une décennie,
le personnel politique français a feint de croire à cette fable,
cachant à l’opinion publique les mauvais coups échangés entre
les deux camps, tandis que surgissaient parfois à la vue des
regards d’opaques règlements de comptes, des affaires Elf à
Clearstream.
Quoi qu’on en dise, le conflit
ne porte pas sur le versement de commissions secrètes pour
financer des campagnes politiques, mais sur le choix des
politiques à financer. Edouard Balladur et son successeur Nicolas
Sarkozy ont fait le choix de l’atlantisme, tandis que Jacques
Chirac et son successeur Dominique de Villepin ont fait celui de
l’indépendance nationale.
Certes, des épisodes personnels
ont émaillé la cassure au sein de la droite. Ils ajoutent du
ressentiment au conflit, ils n’en sont nullement la cause.
Nicolas Sarkozy a décidé de les faire connaître. On a donc
beaucoup écrit sur sa prétendue liaison avec Claude Chirac
(fille de Jacques), qui aurait conduit Philippe Habert, le premier
mari de celle-ci, au désespoir et à la mort, suscitant en retour
la haine de Bernadette (l’épouse de Jacques). C’est possible,
mais nous n’en savons rien avec certitude et ces sentiments ne
sont pas de nature à cliver la droite et à bouleverser la
politique de la France.
M. Sarkozy a construit cette
personnalisation en s’intégrant dans le milieu du spectacle et
en en adoptant les procédés de communication. Il a séduit en
1989 Cécilia, l’épouse de l’animateur vedette de télévision
Jacques Martin, l’a encouragée à divorcer et l’a épousée.
Avec elle, pendant plus de vingt ans, il a reçu à dîner à la
maison tout ce qui compte de stars du show-bizz et d’hommes
d’influence dans le pays. Nicolas & Cécilia ont tissé des
liens amicaux avec le plus grand nombre de personnes possible dans
la classe dirigeante en utilisant la notoriété des artistes
qu’ils invitaient à leur table comme des appâts. Puis, ils se
sont voluptueusement glissés dans les pages des magazines people.
L’apothéose de ce processus
aura été atteint, le 14 janvier 2007, avec la confession intime
de Nicolas Sarkozy devant 80 000 militants, dont beaucoup l’écoutaient
en pleurs : « J’ai changé (…) J’ai
changé parce que l’élection présidentielle est une épreuve
de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. Parce que cette
vérité je vous la dois. Parce que cette vérité je la dois aux
Français. J’ai changé parce que les épreuves de la vie
m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur mais je veux le dire
parce que c’est la vérité et parce qu’on ne peut pas
comprendre la peine de l’autre si on ne l’a pas éprouvée
soi-même. On ne peut pas partager la souffrance de celui qui
connaît un échec professionnel ou une déchirure personnelle si
on n’a pas souffert soi-même. J’ai connu l’échec, et
j’ai dû le surmonter. On ne peut pas tendre la main à celui
qui a perdu tout espoir si l’on n’a jamais douté. Il m’est
arrivé de douter. N’est pas courageux celui qui n’a jamais eu
peur. Car le courage c’est de surmonter sa peur. Cette part
d’humanité, je l’ai enfouie en moi parce que j’ai longtemps
pensé que pour être fort il ne fallait pas montrer ses
faiblesses. Aujourd’hui j’ai compris que ce sont les
faiblesses, les peines, les échecs qui rendent plus fort.
Qu’ils sont les compagnons de celui qui veut aller loin »
etc.
Paris Match
n°2936
Chez Nicolas Sarkozy tout est émotion
et toute émotion est spectacle. Rien ne nous aura été épargné
de la fuite romantique de Cécilia avec son amoureux Richard, du désespoir
de Nicolas trahi, du réconfort qu’il trouva auprès d’Anne,
et enfin, de la réconciliation du couple. Après avoir été le
cocu le plus célèbre de France, Nicolas Sarkozy incarne le mari
fidèle à la fin du vaudeville. Permettez-moi d’envisager que
ses déboires conjugaux aient eux aussi fait partie du plan de
communication, comme ceux des stars de cinéma sont planifiés
dans les contrats des majors d’Hollywood. L’amoureux de Cécilia
n’était-il pas Richard Attias, grand spécialiste de la
communication événementielle et président de Public Events
Worldwide ? Et l’amie réconfortante n’était-elle pas
Anne Fulda, responsable de la rubrique politique au Figaro,
qui a fait campagne à longueur de colonnes pour rectifier
l’image de M. Sarkozy et la faire passer de traître
politique à mari fidèle ?
Arrivée beaucoup plus tardivement
sur ce créneau people, Ségolène Royal est en train de faire
mieux encore. Elle disposait, il est vrai, de deux atouts supplémentaires :
son sexe et son patronyme. Son plan de communication a donc été
inspiré par le souvenir de celle qui furent en leur temps les
femmes les plus aimées au monde : Jackie Kennedy et lady
Diana.
Selon la revue professionnelle Réalités
cliniques [1],
Mme Royal s’est préparée en subissant une très lourde opération
de chirurgie esthétique. Sa mâchoire inférieure, qui était un
peu en retrait, a été consolidée. Plus classique, ses dents ont
été refaites pour faire disparaître le retrait de ses incisives
centrales. Son visage rectifié la rapproche physiquement de ses héroïnes.
Une
garde robe lui a été confectionnée en copiant les célèbres
tailleurs de Jackie Kennedy et en déclinant l’usage du
blanc. Cela marie la touche moderne de la first
lady états-unienne et la symbolique de la pureté. La
candidate arbore ce type de tenue en toutes circonstances
à l’attention des spectateurs-électeurs français,
sans tenir compte du contexte. Elle s’est présentée en
Chine en doudoune blanche, à la stupéfaction de ses hôtes
pour qui le blanc est la couleur du deuil.
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Mme Royal à
la « une » du « Sunday Time magazine »
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Plus subtil, sa gestuelle et ses déplacements scéniques ont été
copiés sur ceux de lady Diana. La candidate s’abstient des
grands gestes des bras pour saluer la foule dont sont friands les
hommes politiques et préfère un discret signe de la main, comme
une vraie princesse. Elle s’abstient d’entrer dans les salles
de meeting en fendant la cohue avec une armada de gardes du corps
et préfère monter seule sur scène par les coulisses, « royale ».
Il se peut que lady Diana ait été
une grande politique. Nous n’en savons rien. Car c’est en
« écoutant » les gens et non en exprimant ses idées
qu’elle devint la femme la plus populaire au monde. Aussi, cette
mise en scène est-elle particulièrement appropriée à la
« phase d’écoute » par laquelle Mme Royal a
choisi de commencer sa campagne, et lui permet-elle de différer
les clarifications programmatiques.
La force de lady Diana était
d’incarner la continuité monarchique tout en symbolisant
l’hostilité envers la famille royale britannique. Celle de Ségolène
Royal est d’incarner la continuité des institutions politiques
tout en symbolisant le rejet des « éléphants ».
C’est grâce à cette image qu’elle s’est emparée de
l’investiture socialiste et a écarté ses rivaux, pourtant
mieux formés qu’elles à l’exercice du pouvoir.
Lady Diana, triste et courageuse
princesse, a affirmé sa personnalité en laissant son chambellan
et son valet afficher sa mésentente avec le prince Charles.
Permettez-moi là encore d’envisager que les émotions publiques
de la candidate Ségolène Royal fassent partie du plan de
communication. En effet, sans attendre, son conseiller fiscal
Dominique Strauss-Kahn, puis son porte-parole Arnaud Montebourg
ont ébruité sa mésentente avec son compagnon, François
Hollande. Comme à Westminister, seul le second est sanctionné.
Mais au travers de cet épisode, la candidate s’est affirmée
comme une femme indépendante.
Je suis un fan de la série Dallas,
et plus encore de Dynasty. Je me régale donc
en lisant dans Gala et Voici
les dernières frasques du couple Sarkozy et les querelles du ménage
Royal-Hollande, mais je ne confonds pas ce divertissement avec de
la politique, ces stories avec l’avenir de
mon pays.
Thierry Meyssan
Journaliste et écrivain, président du Réseau
Voltaire
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