France :
élections présidentielle 2007
Le
cœur de la campagne présidentielle
Thierry Meyssan*
L’essayiste
André Glucksmann a annoncé son ralliement à la candidature présidentielle
de Nicolas Sarkozy. Celui qui débuta sa carrière comme militant
maoïste, avant de rejoindre Raymond Aron et de collaborer à
Exchange (un pseudopode de la CIA), bascule une nouvelle fois de
la gauche vers la droite. Thierry Meyssan réagit à cette
volte-face.
En annonçant son ralliement à
Nicolas Sarkozy, André Glucksmann a eu le mérite de recentrer le
débat électoral sur le cœur de la fonction présidentielle.
Dans la Ve République, le président est compétent en matière
de politique internationale, de défense, et d’institutions. Sur
le reste, il peut influencer son gouvernement lorsque celui-ci lui
est favorable ou se morfondre en silence, en période de
cohabitation.
M. Glucksmann justifie son
choix en dénonçant la Realpolitik qui fait commercer avec les
tyrans et en glorifiant le vent révolutionnaire qui apportera la
liberté à tous les peuples. Des commentateurs s’étonnent de
ce virage à droite au nom de principes de gauche. Il n’y a
pourtant là rien de très nouveau, qu’un tardif alignement sur
la scène intellectuelle états-unienne. Ceux que l’on nomme
aujourd’hui les néo-conservateurs, issus de la revue Commentary,
se sont constitués en groupe politique après la chute de Saïgon.
Refusant la défaite, ils remirent en cause la Realpolitk d’Henry
Kissinger et constituèrent un « parti de la guerre »
qui a occupé le pouvoir à Washington de 1975 à aujourd’hui,
sans interruption, excepté sous Jimmy Carter. C’est à tort que
l’on assimile ce courant à l’administration Bush fils,
oubliant que les néo-conservateurs n’ont cessé de faire le va
et vient entre l’extrême gauche du Parti démocrate et l’extrême
droite du Parti républicain, faisant successivement campagne pour
Ford, Dole, Reagan, Bush père, Clinton et Bush fils.
Quel est donc cet idéal de liberté
sans frontières que chantent André Glucksmann et ses amis ?
Certainement pas celui des Lumières qui, de Pascal Paoli à
Toussaint Louverture, de Thomas Paine à Francisco de Miranda a émancipé
les hommes. Non, les néoconservateurs états-uniens débutèrent
leur carrière dans la mouvance trotskiste de Max Shachtman,
tandis que M. Glucksmann se revendiquait du maoïsme. Tous
ont conservé ce culte de la violence qui les fait espérer et
applaudir chaque bombardement ou presque qui ensanglante la planète
depuis trente ans. Leur dogme est connu, c’est un sophisme :
démocratiser le monde par la force. Leur liberté, c’est celle
qu’ils ont donné aux Irakiens qu’ils ont débarrassés d’un
despote pour les plonger dans le chaos.
Oui, la campagne présidentielle
est le moment de débattre de notre conception de la liberté, et
du monde dont nous rêvons. Faut-il enfoncer les portes ouvertes
en rappellant que les premiers combats pour l’émancipation son
ceux de l’alimentation, de l’éducation, de la santé et de la
paix ? Faut-il expliciter que ces combats se heurtent partout
— et jusqu’en Europe — au fantasme de puissance des néoconservateurs
et au comportement prédateur des États-Unis ? Autant de réalités
qui dépassent le clivage droite/gauche.
Oui, nous devons choisir entre
d’une part, nous satisfaire d’un monde unipolaire dans lequel
une puissance dominante peut piller les faibles ou d’autre part,
construire un monde multipolaire dans lequel la paix est garantie
par un équilibre des puissances et le progrès humain par la
propagation des idées.
André Glucksmann stigmatise
« le fétichisme conservateur [qui] cultive le primat des États ».
Il rejette les bases du droit international qu’imaginèrent les
Prix Nobel de la Paix français Leon Bourgeois et Aristide Briand :
la souveraineté des États au service de celle des peuples. Il préfère
le « droit d’ingérence » que les Anglo-Saxons
s’arrogèrent pour étendre leur Empire au détriment de celui
des Ottomans et que Bernard Kouchner remit à la mode pour servir
les mêmes intérêts impériaux, au détriment cette fois de ceux
des Soviètiques : la souveraineté des minorités instrumentée
par les puissances expansionnistes.
Les États sont des Léviathans
toujours prêts à dévorer notre liberté. Mais ce sont aussi les
seuls cadres connus dans lesquels la liberté et la démocratie
peuvent s’épanouir. C’est pourquoi détruire les États
permet de dominer les peuples, tandis qu’émanciper les hommes
exige que l’on mettre les États au service des peuples.
Il existe certainement de bonnes
raisons de soutenir Nicolas Sarkozy, mais en justifiant son choix
avec les arguments des néoconservateurs, André Glucksmann ne
s’honore pas.
Thierry Meyssan
Journaliste et écrivain, président du Réseau
Voltaire
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