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IRIS
La
France de retour en Europe après
les élections présidentielles ?
Susanne NIES
Ils n'auront finalement que
très peu parlé d'Europe lors de cette campagne. Classique pour
une campagne électorale où les thèmes nationaux prévalent -
comme le chômage ou l'insécurité. Bien que réalités
européenne et nationale se confondent désormais, ne pas parler
d'Europe est devenu pour les
candidats le plus sûr moyen de ne pas froisser des citoyens
français gagnés par l'euroscepticisme. Comme si la campagne
démesurée, passionnée - et finalement très franco-française !
- sur le Traité constitutionnel en 2005 avait suffit à vider
l'idéal européen de toute sa substance
Les rares échos de campagne
relatifs au débat européen ne laissaient guère de doutes quant
aux positions des candidats sur le sujet. Des positions souvent
timides, rarement ambitieuses ou constructives et parfois
franchement hostiles : " l'Euro
responsable de la crise économique française ",
" non à
l'indépendance de la Banque Centrale Européenne "
(Sarkozy), " sortir de
l'Union européenne et rétablir la souveraineté nationale "
(Le Pen), " écouter le
peuple quant au traité constitutionnel "
(Royal). Ailleurs en Europe, on s'interroge. Sur qui, et donc sur
quoi, va déboucher cette élection ? Que peut ont
attendre des uns et des autres ? Après des mois de campagne, nous
ne le savons pas. Beaucoup de choses ont été écrites durant
cette campagne sans pour autant que
de véritables conclusions puissent être tirées.
En matière européenne plus
qu'ailleurs, la composition des équipes qui représenteront la
France à Bruxelles a son importance. Bien encadrés, les plus
eurosceptiques pourraient bien avoir à adoucir leurs positions
une fois à Bruxelles. Mais cela sera-t-il seulement suffisant ?
Ne manque-t-il pas tout simplement
des pions dans ce jeux d'échecs européen à la française ? Sans
doute. Si l'on compare l'équipe européenne allemande à celle de
la France, on constate un plus grand
nombre d'experts européens du côté de Berlin, que ce soit à la
chancellerie ou aux Ministère des affaires étrangères.
En comparaison, la
délégation française fait pâle figure. Il s'agit d'une petite
structure européenne centralisée, dirigée par Mme Colonna, elle
même directement placée sous le contrôle
du Président de la République. On constate aussi que les
députés français sont largement moins impliqués que
leurs homologues d'outre Rhin sur les questions européennes et
internationales - simplement car l'Assemblée nationale n'a pas de
compétences extensibles sur ces
sujets, conformément à la Constitution en vigueur.
Sans chercher à savoir plus
en détail ce que l'Europe pourra attendre de l'engagement
français, nous pouvons, de notre côté, formuler des
éventualités futures tout en
souhaitant que des changements significatifs aient lieu. Au delà
des nécessaires changements institutionnels, il est souhaitable
que les futurs dirigeants français cessent
d'utiliser l'UE comme bouc émissaire, comme ce fût le cas tout
au long des années Chirac. Cependant, le ton
de la campagne incite ici à la plus grande prudence. Le nouveau
Président aura le choix entre trois options :
- la France sans l'Europe, à l'image des deux années écoulées
depuis le " non " au Traité constitutionnel. Sans aller
jusqu'à sortir de l'UE, tel que l'ambitionne Jean-Marie
Le Pen, une telle politique aurait des conséquences identiques :
la France perdra un peu plus son emprise sur le projet européen
qu'elle a, elle même, mis sur les rails il
y a cinquante ans. Elle laissera une Allemagne maître du jeu, ce
qui, pour des raisons historiques évidentes, n'est
souhaitable ni pour elle ni pour les autres Etats membres.
- la France comme deuxième Royaume-Uni : à l'image du
Royaume-Uni et de sa politique du opting
out, la France pourrait rester en
retrait, se contentant de choisir
entre les propositions des uns et des autres sans prendre
d'initiative. Elle se sentira aliénée par un projet européen
dilué, devenu trop grand et tourné
vers l'Orient depuis l'adhésion des douze nouveaux Etats membres
en 2004 et 2007. Elle choisira un projet a minima pour sortir
de la crise constitutionnelle, comme le
" Nice plus " voulue par les Pays Bas, ou la
"renégociation " de fond en comble, évoquée à un
certain moment par Royal.
- le retour de la France en Europe. Après deux ans de débats et
de crises, la France reviendra dans le jeu européen et reprendra
sa place d'acteur et de décideur.
Cela ne revient cependant pas à ignorer le "non" du 29
mai 2005. En effet, le 29 mai 2005, le peuple souverain a parlé
et les principes démocratiques
obligent à respecter ce choix, quelles que soient les raisons qui
l'ont motivé. Cette France de retour aux affaires après deux ans
d'absence saura composer avec. Cette France
cessera de vouloir " une Europe forte aux institutions
faibles " et sera convaincue que son avenir politique
et économique dépendra étroitement de celui de l'Union
européenne. Cette France là, comprendra l'idée d'une
communauté de destin avec ses
voisins d'Allemagne, de Pologne, d'Italie, d'Espagne et même de
Grande Bretagne. Comprendre cette équation ne veut pas dire
qu'une seule Union européenne est
possible. Cela veut dire au contraire que chaque Etat-membre doit
contribuer à façonner ce projet qui, clin d'oeil historique,
aura le même âge que le nouveau Président
de la République. Ce(tte) Président(e) et son administration
devront mener à bien les nécessaire réformes institutionnelles
de l'UE qu'Angela Merkel souhaite voir adoptées par tous les
Etats membres avant 2009. L'Union européenne disposera "
d'un numéro de téléphone "
(Kissinger) et d'un Président semi-permanent qui ne sera plus un
chef d'Etat et qui se concentrera entièrement à sa tache de
Président de l'UE. L'Union européenne aura également un
Ministre des affaires étrangères européennes. Enfin, la prise
de décision sera facilitée avec une
extension du vote à la majorité qualifiée. Ce retour de la
France en Europe marquerait en fait le retour de l'Europe.
Est-ce là la meilleure option pour la
France ? Et quel Président incarnera cette France là ? Des
questions qui restent sans réponse
Susanne NIES, Directrice de recherche à l'IRIS
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