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“Les candidats ne
s'intéressent pas à la politique étrangère”
Pascal Boniface par Fabrice Aubert
Pascal Boniface par Fabrice Aubert / LCI.fr /
18 avril 2007 Pascal
Boniface, directeur de l'IRIS, décrypte les raisons de la
quasi-absence de la politique étrangère dans la campagne.
La
politique étrangère a été peu abordée dans la campagne, tout
comme la place de la France dans le monde. Etes-vous étonné ?
Oui. Evidemment, on
comprend que les questions sociales ou de société prennent une
place importante. Mais, cette année, je trouve que les
questions internationales brillent par leur absence, notamment
par rapport aux scrutins précédents. Or il faut rappeler que
l'on élit le président de la République qui détermine la
politique étrangère de la France et qui la représente dans le
monde. En outre, la globalisation implique que les événements
étrangers ont des impacts sur la vie quotidienne en France.
Enfin, la France n'est pas un pays comme les autres. Sa
tradition est d'avoir une politique étrangère active. Avec son
Histoire, elle ne peut pas s'en passer.
Comment
expliquez-vous ce faible intérêt ?
Tout d'abord, un calcul
simple, fait à la fois par les candidats et les médias : celui
que la politique étrangère n'intéresse pas les gens. Ensuite,
les visites de Sarkozy aux Etats-Unis et de Royal au
Proche-Orient ayant déclenché des polémiques, ils ont préféré
mettre un frein sur le sujet. Enfin, les principaux candidats
sont tout simplement moins intéressés par le sujet que
Mitterrand ou Chirac. On a vraiment l'impression que la
politique étrangère est pour eux une figure imposée, plus
qu'une conviction. Espérons que le vainqueur se transforme
quand il entrera à l'Elysée.
"personne
n'ose aborder le dossier du proche-orient"
La
droite reproche à Ségolène Royal de ne pas avoir d'envergure
internationale. Estimez-vous cette attaque justifiée ?
Ce reproche n'est pas très
différent du procès en incompétence qui lui a été fait dans
l'ensemble. Il a tout simplement été élargi à la politique
étrangère. Mais si Ségolène Royal a trébuché par exemple
sur le nombre de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins possédée
par la France (4), Nicolas Sarkozy a quant à lui été
incapable de préciser qu'Al-Qaïda était d'obédience sunnite
et non chiite.
La
gauche reproche à Nicolas Sarkozy d'être trop
"atlantiste". Estimez-vous cette attaque justifiée ?
Elle était justifiée
jusqu'au congrès d'investiture de l'UMP en janvier. Sa visite
aux Etats-Unis en septembre et sa volonté de se faire
photographier avec Bush ne laissaient planer aucun doute. Mais
à la vue des critiques, il a mis un bémol en prenant ses
distances avec Bush et en adoptant une posture plus gaulliste.
L'image de "Sarko-l'Américain" était en effet plus négative
que positive.
Lundi,
sur TF1, Sarkozy a parlé politique étrangère en affirmant qu'il
réserverait son premier grand voyage à l'étranger à l'Afrique.
Pourquoi ?
Il s'agissait pour lui de
combler son déficit d'image dans la population d'origine
africaine et noire en général. Mais je note que le conflit au
Proche-Orient, même si tout le monde s'accorde pour le
qualifier de crucial, n'est guère abordé, comme si les
candidats n'osaient l'aborder.
"le
'domaine réservé' n'existe pas"
Plus
globalement, comment jugez les différents programmes de politique
étrangère des principaux candidats ?
Comme ils abordent le
sujet de manière vague, il est très difficile de comparer leur
programme, sauf à quelques nuances près. La seule différence
clairement revendiquée concerne la relation entre la France et
les Etats-Unis. Royal attaque beaucoup plus la politique de Bush
que Sarkozy. Bizarrement, je constate également que Bayrou se démarque
beaucoup plus que Sarkozy sur ce thème alors que l'UDF a
longtemps été "atlantiste".
Sur le Proche-Orient,
Sarkozy apparaît plus favorable à Israël. Sa politique serait
sur le dossier sûrement moins active si elle devait le mettre
en contradiction avec l'Etat hébreu. De son côté, Royal veut
faire respecter le droit international mais sa position est mise
en balance car son entourage est divisé. Elle a choisi de ne
pas attaquer Sarkozy sur le Proche-Orient alors qu'elle avait de
la marge pour le faire.
Doit-on
limiter le "domaine réservé" du président ?
Le président gardera sa
capacité d'impulsion et sa proéminence sur les questions
internationales. Mais son "domaine réservé" n'existe
pas. Les citoyens peuvent donner leurs avis de nombreuses manières
(débat dans la presse, internet...). Or l'avis de l'opinion
publique est forcément pris en compte.
Pascal Boniface est
notamment l'auteur de Lettre ouverte à notre futur(e) président(e)
de la République sur le rôle de la France dans le monde (Editions
Armand Colin)
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