IRIS
Sur la
personne, avantage Sarkozy, sur les orientations, avantage Royal
Pascal Boniface
Pascal
Boniface par Aurélie Seigne / Acteurs publics / janvier 2007 Pour
le directeur de l'institut de relations internationales et stratégiques
(Iris), les Français ont intégré les nouvelles contraintes de
la politique étrangère.
On
dit : on ne gagne pas une élection sur la politique étrangère,
mais on peut la perdre sur cette question. Les orientations de
politique étrangère des différents candidats peuvent-elles
avoir une incidence sur le cours de l'élection ?
Il est vrai que la
politique internationale n'est pas l’enjeu électoral
primordial, mais demeure important, surtout sur une élection de
cette nature, la politique étrangère relevant du "domaine
réservé" du Président. Et d'autant plus que les Français
restent majoritairement attachés à une politique d'affirmation
de l'indépendance et de la puissance française. De plus, l'époque
a changé. Les Français ont pris con cience des enjeux de la
mondialisation, que ce soit en positif ou en négatif.
L'imbrication des enjeux nationaux et internationaux a été
pleinement assimilée par nos concitoyens. On l'a vu avec le
voyage de Ségolène Royal au Proche-Orient : ses prises de
position sur le nucléaire civil iranien ou le Hezbollah sont très
suivies en France car ce sont des sujets sensibles au niveau
national. Et la situation internationale avive les tensions. Je
pense donc que les questions diplomatiques et internationales
sont plus présentes aujourd'hui qu'elles ne pouvaient l'être
lors de précédentes campagnes présidentielles.
L'aide
au développement devant une politique étrangère indépendante…
quelles conclusions tirez-vous des réponses des Français à ce
que devrait être l'ambition prioritaire du prochain Président en
matière de politique extérieure ?
Cela confirme la prise en
compte de la mondialisation et de ses effets par les Français
qui voient que le sous-développement de certains pays peut être
un facteur d'instabilité. Ils font clairement le lien entre des
enjeux économiques et des enjeux politiques. C'est une réponse
de maturité, puisque les Français considèrent qu'il vaut
mieux agir sur les causes que sur les effets. Peut-être l'aide
au développ ment des pays pauvres devance-t-elle aussi d'autant
plus facilement la question d'une politique étrangère indépe
dante que les Français ont le sentiment que l'indépendance de
la France n'est pas menacée.
Et
comment interprétez-vous la demande d'affirmer la France comme
moteur de l'Union européenne ?
C'est un retour à la
tradition d'une France longtemps vue comme le moteur de l'Union
européenne, qui a peut-être été cassée par le débat sur le
traité constitutionnel. On a le sentiment que peuvent se réunir
les partisans du "oui" et ceux du "non",
c'est-à-dire à la fois ceux qui ont voté "oui" pour
promouvoir une Europe politique qui aille de l'avant et ceux qui
ont voté "non" par crainte d'une Europe qui rédu se
à néant les États-nations. Or c'est une vision un peu nosta
gique, car il est bien évident que la France ne peut plus être
e pilote dans une Union à 27.
Quel
bilan dressez-vous de la politique étrangère de Jacques Chirac ?
Quelles seront les contraintes du futur président de la République
?
Les contraintes sont
celles de tout chef de l'État. C'est-à-dire que les marges de
manœuvre ne sont pas considérables – aucun Président, pas même
celui des États-Unis, ne peut aujourd'hui définir sa politique
étrangère sans tenir compte du reste du monde –, mais cela
ne veut pas dire qu'il faut renoncer à tout ambition en la matière
pour autant. Les Français restent attachés à une France
active et ambitieuse en matière de politique étrangère. À ce
titre, si je devais résumer la politique de Jacques Chirac, ce
serait à la fois l'opposition à la guerre en Irak, qui lui a
valu une vague de sympathie pas seulement dans les pays arabes,
mais à tr vers le monde entier, et a été assimilée à un
certain courage de s'opposer ainsi à la politique américaine,
et à l'opp sé, l'échec du référendum sur le traité
constitutionnel.
Que
penser de l'anti-américanisme de l'opinion française ?
L'attitude par rapport aux
États-Unis est effectivement essentielle. Seuls 3% des Français
souhaitent une politique très proche de celle menée aux
Etats-Unis ; ils sont 10 fois plus à souhaiter une politique très
éloignée. Et il est int ressant de noter que les jeunes, dont
on pourrait penser qu'ils sont plus ouverts à la culture et au
mode de vie américains, ont une proximité aux États-Unis
moins grande que les plus de 65 ans. De même, moins le niveau
de diplôme est élevé, plus cette proximité est grande.Dans
cette élection, la nature de la relation aux États-Unis risque
donc d'être déterminante.
Justement,
n'y a-t-il pas un paradoxe à refuser une politique pro-américaine,
mais à plébisciter un candidat proche des États-Unis ? Est-ce
à dire que le voyage de Ségolène Royal au Proche-Orient a été
un échec ?
Ce qui joue pour l'instant
en la faveur de Nicolas Sarkozy, c'est sa stature ministérielle,
en particulier sur des sujets régaliens qui lui confèrent une
image crédible de chef d' tat. Cela se joue donc sur l'image
Quant à Ségolène Royal, on ne peut changer son image en un
seul voyage. Sur l'image internationale, Nicolas Sarkozy a donc
une longueur d'ava ce. Reste à voir la capacité de Ségolène
Royal à rattraper ce retard, notamment en portant une voix différente
sur des sujets d'importance. Ce qu'elle a commencé à faire
lors de son voyage au Proche-Orient. Je dirais donc sur la
personne, avantage Sarkozy, sur les orientations, avantage
Royal.
Pascal Boniface,
directeur de l’IRIS va publier aux éditions Armand Colin «
Lettre ouverte au futur(e) Président(e) de la République sur
le rôle de la France dans le monde ».
Pascal Boniface
Directeur de l'IRIS
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