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José Bové : « Il faut faire de la lutte contre les discriminations de tous types une priorité nationale »

samedi 7 avril 2007

Les personnes issues de l’immigration notamment maghrébine subissent des discriminations multiformes et en particulier un accès verrouillé au monde du travail. Des dispositions ont été prises (par exemple, le projet du CV anonyme malheureusement abandonné) mais cela n’est pas suffisant. Quels engagements comptez-vous prendre pour lutter efficacement contre les discriminations ?

JB - La question des discriminations liées à l’origine des populations issues de l’immigration coloniale ou post-coloniale est bien plus large que le seul problème de la discrimination à l’embauche. Celle-ci en est un aspect parmi les plus lourds de conséquences. Le dernier rapport du Bureau International du Travail fait apparaître que cette forme de discrimination est quasiment la règle (dans 4 cas sur 5 !!) dans les entreprises françaises. Il aurait dû entraîner une mobilisation de tous les moyens législatifs et politiques pour combattre ce qu’il faut bien appeler un racisme structurel.

Le problème est dans le fait que pour qu’un Etat combatte de manière crédible et effective un tel phénomène social, il faudrait déjà qu’il soit lui-même débarrassé des formes de racisme institutionnel qui le caractérisent. La pratique ordinaire du contrôle au faciès, le maintien de la double peine, la quasi-impunité de facto des violences policières infligées à une partie de la population, la privation d’une partie des élèves de ce pays de l’accès au droit à l’éducation en sont les exemples les plus frappants. Quant aux mesures immédiatement réalisables pour limiter la discrimination à l’embauche, elles relèvent principalement de la dissuasion.

Aujourd’hui l’écrasante majorité des plaintes pour discrimination, y compris quand les faits sont constatés, sont classées sans suite. Il faut donc faciliter les voies de recours et renforcer les moyens d’application des lois qui existent, il faut appliquer réellement les textes communautaires qui font peser la charge de la preuve sur le défendeur dés qu’une discrimination est présumée, et il faut alourdir de manière fortement dissuasive le régime des sanctions applicables.

Le CV anonyme n’est pas de nature à combattre la discrimination mais simplement à la contourner, néanmoins l’abandon même de cette mesure en dit long sur l’absence de volonté politique d’affronter le problème quand les intérêts des patrons sont en jeu.

Il faut faire de la lutte contre les discriminations de tous types une priorité nationale avec les moyens législatifs et financiers en conséquence. Le reste, c’est-à-dire l’essentiel du combat contre les discriminations, ne peut venir que d’une véritable lutte politique que seules les populations concernées peuvent mener à bien avec tous leurs alliés. J’espère en être un, à la hauteur de l’enjeu.

Êtes-vous favorable au droit de vote des résidents non communautaires ? Si oui, à quelles élections ?

JB - Je suis pour le droit de vote de tous les résidents étrangers (communautaires ou non) à toutes les élections, sans exception. Ils doivent également pouvoir être éligibles aux charges de représentation politique. Les condition d’ancienneté d’installation doivent être définie après débat, mais ne doivent pas être trop lourde dés lors qu’il y a participation de l’intéressé à la vie sociale, économique, culturelle française.

A terme, nous devons engager un débat qui va dans le sens de l’évolution du rapport entre citoyenneté de résidence (jouissance de l’ensemble des droits citoyens) et nationalité. Il existe des pistes à étudier dans de nombreux pays, y compris européens. Les inquiétantes dérives des candidats des partis "de gouvernement" sur le thème de l’identité nationale rend cela de plus en plus urgent.

Jacques Chirac a récemment supprimé le deuxième alinéa de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 glorifiant le passé colonial de notre pays. En 1995, Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs de France et "la dette imprescriptible" de l’Etat à l’égard des victimes et de leurs ayants droits. Pensez-vous que cette reconnaissance puisse être étendue aux victimes des crimes coloniaux ? Si oui, estimez-vous que ce travail de mémoire puisse être prolongé dans les programmes de l’Education nationale ?

JB - La loi du 23 février est l’un des aspects de l’évolution inquiétante du discours politique de ces dernières années, il n’est pas le seul. Nous assistons à la réactivation des ressorts les plus chauvins de la politique et de relents de discours colonialistes qu’on croyait révolus. Il y a quelques années, Georges Frêche a lancé dans l’Hérault un projet de "Musée de la France en Algérie" à la gloire de la colonisation sans que ça fasse de vague.

Ce projet est toujours en cours de réalisation. Je crois que cette évolution, qui fait écho à la logique bushienne du choc des civilisations et de la guerre globale permanente, sert plusieurs objectifs que partagent ceux qui nous gouvernent depuis trop longtemps : monter les gens les uns contre les autres pour mieux les contrôler par des moyens clientélistes et communautaristes ; désigner des "populations dangereuses", voire des "ennemis intérieurs" pour justifier le renforcement de la fonction policière et répressive de l’Etat et en même temps réduire les citoyens à la résignation grâce au chantage à l’insécurité ; au plan international, justifier la poursuite et le renforcement de politiques d’agression et de pillage néo-colonial ; et masquer, enfin, le renoncement de ces mêmes politiques au rôle de redistribution de l’Etat et de choix des politiques économiques et sociales, abandonnés aux entreprises multinationales et aux organismes financiers internationaux.

La France doit reconnaître et assumer l’ensemble de son Histoire pour assumer toutes celles et tous ceux qui la composent. C’est aussi la condition pour décider de quels aspects de cette Histoire nous voulons être les continuateurs. Parmi ceux qui me viennent à l’esprit immédiatement, il y a les combats anti-esclavagistes et anti-coloniaux, les combats pour l’égalité entre les femmes et les hommes, les combats des paysans contre la confiscation des terres et de la nature par l’économie du profit et du productivisme, les combats ouvriers et salariés, le combat anti-nazi, le combat anti-impérialiste et anti-raciste...

Les crimes et la "dette" coloniaux doivent être reconnus et la question des réparations ne doit plus être un tabou. Je pense que la meilleure réparation est le plein engagement pour la justice et l’égalité en France, le combat contre le pillage et la domination des peuples du sud et la construction de rapports justes et équitables au niveau mondial. Les programmes de l’éducation nationale doivent bien entendu intégrer ces exigences en se libérant complètement des vérités historiques officielles qui sont encore en bonne partie celles des vainqueurs et des puissants.

Pensez-vous supprimer ou laisser en l’état la loi Ceseda ainsi que les dernières lois sur l’immigration ? Etes vous notamment favorable ou non à la disposition de loi criminalisant la solidarité envers les sans papiers ?

JB - Toute loi criminalisant la solidarité pour l’égalité des droits est une loi scélérate qu’il est du devoir de tous et de toutes de ne pas appliquer. Je suis bien sûr pour l’abrogation de la loi CESEDA de Nicolas Sarkozy, comme de toutes les lois de criminalisation des migrants : les lois Pasqua, Debré, Chevènement, Méhaignerie, Guigou... A leurs places il nous faut une loi garantissant le droit du sol et les droits des étrangers. Il faut dépénaliser le séjour irrégulier.

On ne doit plus aller en prison pour des papiers. Il faut fermer les centres de rétentions et supprimer la compétence du ministère de l’intérieur et de la police dans la gestion de l’immigration et transférer celle-ci à un autre ministère : le ministère de l’égalité des droits ! Les sans-papiers doivent être immédiatement régularisés avec une carte de séjour de dix ans. Il faut ouvrir les emplois réservés à tous les résidents étrangers et la double peine doit être supprimée. Pour de vrai ! Il faut par ailleurs mettre un coup d’arrêt à l’escroquerie selon laquelle l’Europe forteresse et le déni des droits des migrants serviraient les intérêts des travailleurs-ses et des citoyen-nes en Europe.

En plus du fait de maintenir des millions de personnes dans des conditions de vie indignes, cela sert au contraire à fragiliser les droits des salarié-e-s en France en favorisant le travail au noir dans des conditions inférieures aux normes en vigueur (dans le bâtiment, l’agriculture, le textile, le nettoyage industriel, les aides aux personnes etc.) et à préserver les très grandes différences de rémunération entre pays, ce qui permet notamment les délocalisations et la mise en concurrence des travailleurs au niveau mondial.

La loi SRU est contournée par de nombreux maires qui préfèrent payer une amende plutôt que de construire des logements sociaux. Quelles dispositions comptez-vous mettre en oeuvre pour contraindre au respect de cette loi ? Et plus généralement pour lutter contre la pénurie des logements sociaux ?

JB - La question du droit de toutes et tous à un logement digne est une des premières priorités que doit se fixer toute politique qui se prétend soucieuse de justice sociale. La fin du mal-logement et de la privation de logement est un objectif réalisable à échéance relativement courte. Le seul obstacle est la complicité des politiques publiques avec les intérêts de la spéculation immobilière et foncière. Malheureusement, malgré les effets d’annonce électoralistes, aucun des partis dits "de gouvernement" ne semble prêt à rompre avec ces intérêts.

Il faut un grand plan de rénovation urbaine qui ne soit pas centré sur une revalorisation du bâti qui ne profite pas au populations qui en ont le plus besoin, comme c’est le cas avec le plan Borloo et le travail de l’ANRU. Il doit avoir pour but central la réhabilitation des conditions de vie des habitants des quartiers populaires et des mal-logés. J’appelle à un grand chantier de réaménagement de l’habitat vétuste et de construction de 120 000 logements par an.

Par ailleurs, il faut mettre en place des sanctions réellement dissuasives à l’encontre des municipalités qui ne construisent pas suffisamment de logements sociaux, y compris l’inéligibilité, et appliquer un système de péréquation fiscale entre les collectivités territoriales qui soit plus favorable aux territoires où vivent des couches populaires modestes.

L’islamophobie est un phénomène dont la gravité est attestée par des études de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme), ainsi que par diverses organisations de défense des droits de l’Homme. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour lutter contre l’islamophobie ?

JB - La stigmatisation des Musulmans et des populations de culture islamique est devenue un des principaux véhicules de l’idéologie et des pratiques racistes en France et dans le monde. C’est un phénomène extrêmement dangereux qui met à l’index une partie importante de l’humanité et de la population française. Ce discours favorise en plus la crispation et le repli identitaire de chacun des "camps" qu’il définit, compromettant de plus en plus les possibilités de vie commune pacifique. Il doit être combattu vigoureusement, comme doivent être combattues toutes les formes de racismes, de discrimination et d’incitation à la haine sur la base de l’origine ethnique ou culturelle, des convictions religieuses ou philosophiques, des choix et orientations sexuelles ou existentielles, du sexe ou des caractères physiques.

Il est par ailleurs impératif de défendre la séparation de l’Etat et de la religion, d’imposer le respect des droits et libertés des individus quelle que soit leur origine ou leur orientation philosophique ou religieuse, de garantir la liberté de croire ou de ne pas croire ainsi que la possibilité de pratiquer ses convictions dans des conditions dignes, d’égalité entre les cultes et de respect des droits de chacun-e. Parmi les droits les plus fondamentaux nous mettons aussi les droits à la libre expression, à la liberté de la presse, à la liberté de critiquer y compris les croyances et religions.

C’est pour cela que je tiens à ce qu’un sérieux effort soit déployé pour distinguer ceux-ci de l’incitation à la haine, de la stigmatisation et de la mise à l’index de parties de la population. Je peux dire d’ores et déjà que les caricatures des années trente présentant les juifs au nez crochus et aux airs sournois ne relèvent pas de la critique inoffensive, elles ont contribué à faire le terreau d’un racisme aux conséquences fatales. De la même manière, représenter les musulmans systématiquement comme des terroristes, des violents et des abrutis ne relève pas de la simple liberté de la presse.

La loi de mars 2004 qui bannit les signes religieux ostensibles de l’école a eu pour conséquence la déscolarisation de dizaines de jeunes filles et leur éviction du monde du travail. Quelles mesures pourrez-vous prendre pour faciliter leur réintégration dans la société ?

JB - J’ai toujours été clairement contre cette loi. Il est évident que c’est une loi qui est principalement préjudiciables aux musulmanes, en plus d’un certains nombre de Sikhs. C’est une loi discriminatoire qui doit être abrogée. Je suis, plus largement, pour une législation qui se donne les moyens de défendre effectivement le libre choix des femmes, entre autre de porter le foulard ou de ne pas le porter. Cela signifie de se donner de réels moyens d’interdire toute discrimination et tout préjudice lié au port du foulard, de se donner également les moyens d"interdire toute contrainte faite aux femmes, notamment de le porter. Les filles déscolarisées doivent bien entendu avoir à nouveau accès à l’école publique.

La légitimité du CFCM, notamment le mode d’élection de ses responsables, est aujourd’hui contestée par de nombreux citoyens français de culture musulmane. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

JB - Les Musulman-e-s, comme les adeptes des autres religions, doivent avoir la possibilité de s’organiser afin d’organiser l’exercice de leur culte dans des conditions décentes, libres et en compatibilité avec les lois de la République. Ceci doit pouvoir se faire sans immixtion de l’Etat. Le CFCM est le fruit de négociations entre le ministère de l’intérieur et des interlocuteurs musulmans qu’il a lui-même désigné ou reconnu.

Les Musulman-e-s, comme les fidèles d’autres croyances doivent pouvoir s’organiser librement et hors d’une tutelle de l’Etat contraire au principe de laïcité. Pour que les institutions qu’ils se donnent soient reconnues comme interlocuteur par l’Etat pour l’organisation pratique du culte, il est préférable qu’elles soient réellement représentatives et transparentes. Je ne suis pas sûr que le CFCM, œuvre de Nicolas Sarkozy, corresponde à ces qualités.

Le gouvernement de M. Bush, loin de retenir les leçons de son aventure militaire dramatique en Irak multiplie les menaces de guerre totale contre l’Iran. Quelle position adopterez-vous en cas de guerre contre l’Iran ?

JB - Tout d’abord, il est nécessaire de dire que les troupes d’occupation en Irak doivent se retirer immédiatement. Tout doit être mis en œuvre pour restituer au peuple irakien les richesses pillées et pour reconstruire une société qui a été plongée dans l’horreur et la destruction par une politique impériale criminelle. Les responsables doivent être poursuivis.

Pour ce qui est des menaces des Etats-Unis d’Amérique de replonger la région moyen-orientale et le monde dans une nouvelle guerre, je suis contre tout projet d’intervention militaire contre l’Iran, la guerre n’est pas le moyen juste ni efficace de résoudre les problèmes. La France doit user de tous les moyens en sa possession pour s’y opposer. Elle doit user de sa position à l’ONU et dans l’Union Européenne, en coopération avec tous ceux qui ont intérêt à la paix, pour faire obstacle à la folie guerrière et hégémonique des Etats-Unis.

Il est temps par ailleurs que soit engagée par la France, puissance nucléaire, un processus visant à dénucléariser complètement les rapports internationaux et les programmes de défense et à l’adoption d’un pacte mondial de bannissement de l’armement nucléaire, chimique et bactériologique. C’est la seule manière crédible et durable de faire obstacle à une prolifération incontrôlable des armes de destruction massives.

Israël persiste à mépriser le droit international en toute impunité. Colonisation toujours plus étendue, répression continue du peuple palestinien, non respect des résolutions de l’ONU. La France peut-elle imposer contre le droit à la force la force du droit ?

JB - La France et l’Europe peuvent et doivent mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour imposer le respect des droits nationaux du peuple palestinien, l’application du droit et des résolutions internationales. Il est insupportable que le peuple palestinien continue à être systématiquement excepté des droits reconnus aux peuples à l’autodétermination, à la liberté et à la vie. Il est insupportable également que l’Etat d’Israël continue à être dispensé systématiquement de l’obligation de respect du droit.

Il y a en outre une urgence absolue à reprendre les aides directes indispensables à la survie des palestiniens, et à imposer la levée immédiate du siège imposé aux populations de Gaza et de Cisjordanie ainsi que l’arrêt des incursions armées et des bombardements réguliers qu’ils subissent. En cinq ans, depuis ma visite à Ramallah où j’ai pu rencontrer le Président Arafat assiégé, les conditions de survie se sont dégradées de façon alarmante, pour tout Etat qui en a les moyens ne pas intervenir relève de la complicité criminelle.

Propos recueillis par la rédaction

 

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