Palestine - Solidarité

   


DOSSIER 
DROIT AU RETOUR

 


Droit au retour : le congrès de Nazareth (16-18 décembre 2005)

Les déplacés internes : 
les Palestiniens du Naqab et les villages non-reconnus (2)


A l'occasion du congrès du droit au retour tenu à Nazareth (16-18 décembre 2005)
Centre d'Information sur la Résistance en Palestine
 
Le projet de colonisation sioniste a eu pour but la création d'une entité, un Etat juif en Palestine et ses alentours. Ben Gourion a expliqué ce qu'il entendait par "Etat Juif" : "Lorsque nous disons "Indépendance juive", ou un "Etat juif", nous signifions un pays juif, un sol juif, nous signifions une main d'oeuvre juive, une économie juive, une agriculture juive, une industrie juive, une mer juive. Nous signifions une sécurité juive, une indépendance, une totale indépendance, comme tout autre peuple libre".
 
Judaïser la terre, considérée vide de ses habitants, ou la rendre vide, pour fonder cet Etat juif prôné par le sionisme. Ce fut la tâche des organisations sionistes qui débarquèrent en Palestine. Elles réalisèrent que la Palestine n'était pas "une terre sans peuple", mais agirent pour la rendre ainsi, justifiant leur entreprise de colonisation.
C'est pourquoi, en 1930, John Chancellor, Haut commissaire de la Grande-Bretagne en Palestine, avait recommandé, en tant que puissance mandataire sur le pays, de mettre fin à l'émigration juive afin de protéger l'agriculture et les agriculteurs palestiniens, étant donné que la majeure partie du pays était cultivée. Pour lui, l'émigration juive ne ferait que mener à la dépossession des Palestiniens.
 
Il en était de même dans le Naqab, partie semi-désertique de la Palestine du sud. Le mythe sioniste de "cultiver le désert" fut dans la réalité un processus de désertification totale du Naqab. Le Naqab était, au milieu des années quarante, une terre habitée et largement cultivée par les Bédouins palestiniens. La population palestinienne était estimée entre 65.000 et 90.000 personnes et organisée en 95 tribus semi-nomades alors que la population juive ne dépassait les 475 personnes. Les Bédouins étaient engagés dans une agriculture non intensive, saisonnière, et cultivaient plus de 2 millions de dunums de terre, surtout dans la partie nord du Naqab. 90% de la population bédouine vivait d'agriculture et d'élevage.
Avant, pendant et immédiatement après la guerre de 1948, 80% de la population palestinienne fut expulsée hors des territoires conquis formant l'Etat sioniste. 80 à 85% de la population bédouine du Naqab fut expulsée vers la Cisjordanie, la bande de Gaza et la Jordanie, réduisant son nombre à environ 11.000 personnes. Sur les 95 tribus qui y vivaient, seules 19 ont gardé un nombre d'individus suffisant pour être reconnues telles quelles par les nouvelles autorités sionistes.
Les autorités israéliennes imposèrent l'administration militaire sur toutes les zones encore peuplées par les Palestiniens, que ce soit en Galilée, dans le Triangle et dans le Naqab, mais aussi dans les villes devenues plus tard mixtes suite à l'émigration juive. L'administration militaire devait servir à contrôler tous les aspects de la vie des Palestiniens, empêcher leur liberté de mouvement, de parole, de contrôler les moyens de leurs déplacements d'un village à l'autre dans une même zone, par le biais des laisser-passer, et surtout de permettre l'expropriation de leurs terres et de leurs biens.
Usant de leurs pouvoirs, les autorités sionistes prirent le contrôle de la majeure partie des terres du Naqab et privèrent les Bédouins palestiniens de se déplacer, pour les besoins de l'élevage ou pour cultiver leurs terres. 12 sur les 19 tribus furent déplacées de leurs terres, dont la population entière fut enfermée dans une zone appelée siyâj (zone limitée) dans la partie nord -est du Naqab, connue pour sa basse fertilité, et ne représentant que 10% du territoire que les Bédouins contrôlaient avant 1948.
Du fait du contrôle militaire, les Bédouins ne pouvaient plus retourner et cultiver leurs terres et furent isolés des autres agglomérations palestiniennes situées dans l'Etat sioniste. Ils devaient obtenir des permis spéciaux pour se hasarder hors de la zone restreinte du siyâj pour aller chercher du travail, éduquer les enfants, s'approvisionner, etc..
Pendant toute la période de l'administration militaire (1952-1966), les autorités israéliennes ont pris soin d'empêcher toute "migration" des Bédouins hors de la zone du siyâj. Tout individu pouvait se déplacer, avec autorisation, pour aller travailler dans des zones juives, mais aucune autorisation n'était accordée à sa famille, pour s'assurer qu'il y reviendrait. Même à l'intérieur de la zone du siyâj, aucun membre d'une tribu ne pouvait rendre visite à une autre tribu sans autorisation du gouverneur militaire (voir, pour exemple, le film "Noces en Galilée" de Michel Khleify). Les mesures de répression furent implacables : des massacres collectifs furent exécutés et des expulsions de populations réalisées. C'est ce qui fait dire à S. Jiryis, éminent chercheur palestinien qui se préoccupa très tôt des Palestiniens de l'intérieur et écrivit "les Arabes en Israël" dans les années 60 : "Plus que tout autre groupe, les Bédouins du Naqab ont souffert de l'administration militaire..." Un sheikh bédouin déclara : "Les expropriations des terres et les expulsions forcées, sans compensation ni droit au retour... ont amené les Bédouins à une situation très difficile, sur les plans psychologique et matériel et à un manque total de sécurité, qu'ils n'avaient jamais connu auparavant".
En conséquence de leur transfert à la zone du siyaj, placée tout ce temps sous administration militaire, les Palestiniens érigèrent des agglomérations dans cette zone. Comme il était interdit de construire en dur, les Bédouins s'installèrent sous des tentes, des constructions en tôle, etc... 7 tribus étaient déjà sur leurs propres terres, mais les autres furent obligées de s'installer dans cette zone, créant leurs villages, sans être cependant reconnus par les autorités, qui ne fournirent ni l'eau, ni l'électricité ni les services habituels à tout groupement humain.
Aujourd'hui, la zone du siyâj est un lieu fantôme. Située non très loin de la région d'al-Khalil, quadrillée par des routes à voie rapide, survolée par l'aviation militaire, la visite vaut le détour. Témoin du transfert forcé de plusieurs milliers de Palestiniens, le lieu garde encore les traces de leur vie, dans ce carré, pendant plus de 15 ans : traces des maisons de fortune, traces des sentiers pour aller chercher l'eau du puits, souvenirs des chutes de ces jeunes, ployés sous le poids des seaux d'eau, frayeurs lors des maladies de la mère, du père ou des enfants, dues au manque criant des installations de soins primaires, écoles de fortune pour les jeunes, etc...
 
Expropriations et judaïsation du pays
La judaïsation de la Palestine avait commencé avant 1948, par l'appropriation des terres situées le plus souvent en plein milieu des agglomérations palestiniennes. Que ce soit en Galilée ou dans la partie nord-est du Naqab, la colonisation  fut considérée comme importante pour la réalisation sioniste. Le Naqab à lui tout seul représente 50% des terres de l'Etat sioniste, et la partie nord (dont environ 640.000 acres) est considérée comme une terre des plus fertiles du pays. Le Naqab représentait donc un enjeu important, comme l'a dit Ben Gourion :
"La terre du Negev est réservée aux citoyens juifs... Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place... et si nous devons utiliser la force, nous avons la force à notre disposition, non pour déposséder les Arabes du Negev, ni pour les transférer, mais pour garantir nos propres droits à nous installer dans ces lieux". (lettre de Ben Gourion à son fils).
En vue de judaïser la terre du Naqab, ce qui signifie sa dé-arabisation, David Ben Gourion créa une commission dont la tâche fut de renommer dans la langue hébreue tous les lieux, les montagnes, les vallées du Naqab. Dans une lettre adressée aux membres de la commission, il écrivait : "Nous devons supprimer les noms arabes pour des raisons politiques : tout comme nous ne reconnaissons pas l'appropriation politique des Arabes sur la terre, nous ne devons pas reconnaître leur direction "spirituelle" ni leurs noms".
C'est grâce à des lois promulguées par l'Etat juif en faveur de l'Etat juif que les expropriations de terres du Naqab ont pu avoir lieu. Mais l'Etat sioniste utilisa également d'anciennes lois ottomanes, le code ottoman de 1858, prévu pour la réforme des terres et qui ne reconnaissait pas l'appropriation des terres par les Bédouins, pour déposséder les Palestiniens de leurs terres. Avec ces lois, 93% des terres du Naqab furent expropriées, sans aucune compensation car les terres furent expropriées "pour les besoins positifs du développement ". Par conséquent, des milliers de Bédouins, forcés à vivre dans le siyâj, loin de leurs terres, furent dépossédés de leurs droits sur leurs terres. Celles-ci furent réservées aux kibboutz et moshav juifs, les Bédouins n'y étaient même pas autorisés à y travailler.
Après la fin de l'administration militaire, des tentatives furent menées par les Bédouins palestiniens de retourner à leurs terres. Ils prouvèrent aux autorités sionistes qu'étant en possession de reçus des taxes payées au gouvernement turc, ainsi que de documents traditionnels, comme des reconnaissances par les autorités turques de leurs droits sur certaines terres, mais le système judiciaire israélien refusa leurs demandes. En 1974, la famille d'al-Hawashleh établit ses droits sur les 36.000 dunums confisqués pour bâtir la ville juive de Dimona, mais les tribunaux affirmèrent que ces terres appartenaient à l'Etat. Les tribunaux reprirent même les arguments de l'Etat : les Bédouins nomades n'étaient pas attachés à la terre et les terres réclamées furent envahies par les Bédouins eux-mêmes.
Depuis cette époque, les autorités israéliennes mènent une campagne contre les Bédouins du Naqab, les accusant d'être des "envahisseurs". Avidgor Liberman, juif émigrant d'Union Soviétique et ancien ministre de l'Infrastructure, déclarait en 2002 : "Nous devons stopper l'invasion illégale par les Bédouins des terres de l'Etat, par tous les moyens possibles."
 
Une autre confiscation importante de terres fut opérée en 1980. L'armée israélienne voulait établir un aéroport dans le Naqab à la place de celui qu'elle avait perdu dans le Sinaï, territoire égyptien occupé en 1967 et rendu suite aux accords "de la honte" entre l'Egypte et l'Etat d'Israël, en 1978. La loi de la réquisition des terres autorisa la confiscation de 82.000 dunums des terres de la zone restreinte (siyaj).
 
Sédentarisation forcée
Un des aspects importants de la judaïsation des terres consiste à rassembler les Palestiniens dans des espaces restreints pour permettre l'extension de la population juive de la manière la plus large. Il s'agit d'une constante de la politique sioniste : le plus d'espace possible pour les Juifs et le moins possible pour les Palestiniens. Dans le Naqab, le plan d'urbanisation consista à créer sept agglomérations, devant rassembler toute la population palestinienne du Naqab. Il s'agit des agglomérations de Kseifa, Rahat, Tel Sheva, Segev Shalom, Arara, Hura et Laqiya. Rassembler les Palestiniens du Naqab dans ces agglomérations permettait d'une part de confisquer toutes les terres qui restaient encore en leur possession, mais aussi de constituer une main d'oeuvre bon marché pour les industries juives en pleine expansion. Ces agglomérations furent les cités-dortoirs de cette population arrachée à sa terre. Moshe Dayan déclarait : "Nous devons transformer les Bédouins en prolétariat urbain, dans l'industrie, les services, la construction, et l'agriculture. 88% de la population israélienne ne sont pas des fermiers. Faisons en sorte que les Bédouins soient comme eux." (Haaretz, 1963, 13 juillet).
Conçues comme des cités-dortoirs, ces agglomérations ne furent pas développées. Elles n'obtinrent pas les services généralement fournis aux colonies urbaines israéliennes : transport public, banques, bureaux de postes, bibliothèques et centres culturels, parkings, etc.. Elles étaient, au départ, administrées par des maires juifs, non résidents, nommés par le ministère de l'intérieur.
 
Trente ans après la construction de ces agglomérations, seule la moitié de la population palestinienne du Naqab y vit. Le nombre de ceux qui refusent de rejoindre ces agglomérations a atteint les 70.000 personnes, qui vivent dans les villages non-reconnus.
 
Les habitants des villages non-reconnus continuent à résister contre la judaïsation, l'expropriation de leurs terres et leur transfert. Ils sont victimes de toutes les mesures agressives et criminelles : destructions de leurs récoltes et arrosage de pesticides sur leurs champs cultivés, démolitions de leurs maisons, poursuites judiciaires incessantes. Ces villages non-reconnus sont privés d'eau, d'électricité (alors que les lignes à haute tension passent par-dessus leurs têtes), d'écoles, de routes goudronnées. Les habitants ne peuvent y construire leurs habitations en dur. C'est le prix payé pour leur refus d'abandonner leurs terres.
 
Depuis plusieurs années, les habitants des villages non-reconnus se sont organisés. Le Conseil régional des villages non-reconnus dans le Naqab mène et organise la solidarité, lors des attaques policières, les destructions de maisons ou les ravages des terres. A plusieurs reprises, ces dernières années, le conseil a reconstruit toute maison démolie dans les jours qui suivent, dans un défi continuel lancé aux autorités israéliennes. A diverses occasions, journée de la terre, ou commémoration de la Naqba, le conseil régional organise la plantation d'oliviers sur les terres d'un des villages, affirmant la détermination de la population palestinienne du Naqab à vouloir vivre sur ses terres.
Mais la résistance des Palestiniens du Naqab prend d'autres formes encore. Depuis plus de dix ans, les tribus reviennent aux terres dont elles ont été chassées au cours de l'administration militaire, ou dans les années 80, lors de la construction de l'aéroport. Des mots d'ordre collectifs sont lancés, et du jour au lendemain, les autorités israéliennes voient apparaître des campements, sur les lieux soi-disant fermés ou réservés l'armée. C'est ainsi que la tribu des Azazmeh a réussi à se ré-implanter sur ses terres et réclame ses droits, que ce soit devant les tribunaux israéliens ou sur le terrain. D'autres Palestiniens, vivant actuellement dans les agglomérations reconnues, repartent vers leurs terres, ou tout simplement se les réapproprient en les marquant, par une légère barrière, en y construisant une cabane et en les cultivant. Une forme de résistance qui suscite la colère des dirigeants israéliens, eux qui croyaient régler la question du Naqab dès les années 50.

Centre d'Information sur la Résistance en Palestine

 


 Source : Cirepal


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