MIFTAH
Notre droit au retour
Rami Bathish
Cet état n’aurait jamais
vécu s’il n’avait terrorisé, massacré, déraciné,
dépossédé et déplacé de leurs maisons plus de 800 000
Palestiniens.
1948 : les sionistes expulsent les
Palestiniens.
Les Palestiniens réfugiés sont aujourd’hui plus de 4,5
millions
Pour l’immense majorité des Palestiniens,
accepter une solution à deux-états implique un prix évident ;
cette solution signifie essentiellement abandonner notre
revendication légitime sur ce qui est « Israël proprement
dit », ou sur la Palestine historique.
Sans vouloir s’attarder sur la question, surtout
après que nous ayons été bien influencés par le modèle d’Oslo
fait de défaitisme et de compromis sans rien en retour, un mot
s’impose à destination des livres d’histoire : l’état
d’Israël a été créé en 1948 au complet détriment de la
population indigène palestinienne.
Cet état n’aurait jamais vécu s’il n’avait
terrorisé, massacré, déraciné, dépossédé et déplacé de
leurs maisons plus de 800 000 Palestiniens transformés en réfugiés
dont le nombre aujourd’hui excède 4,5 millions ; c’était
al-Nakba.
La question de ces réfugiés est communément
identifiée par les Palestiniens, au moins par ceux que l’on
nomment « les pragmatiques », comme la principale
pierre d’achoppement pour parvenir à une solution définitive
dans le conflit entre les Palestiniens et les sionistes. Cette
question est aussi considérée par ceux d’entre nous qualifiés
de « ceux qui refusent » et de « nationalistes »
comme au cœur du mouvement de libération de la Palestine. Mais
pour tous les Israéliens sans exception, le
droit au retour pour les Palestiniens réfugiés est totalement
rejeté comme irréaliste, sa seule mention représentant selon
eux un rejet de l’existence même d’Israël et pouvant déclencher
les accusations aujourd’hui communes et jamais épuisées
d’anti-sémitisme contre ceux qui ose défendre ce droit.
Finalement, prendre en considération le retour de
4,5 millions de réfugiés dans leurs maisons d’origine à Haïfa,
Nazareth, Jaffa, parmi d’autres villes et villages palestiniens
volés par les terroristes juifs en 1948 bloquerait pour les Israéliens
et ceux qui les soutiennent toute négociation future avec l’Organisation
de Libération de la Palestine (OLP) ; sa mise en œuvre
contredit automatiquement les fondations du mouvement sioniste et
mine par conséquent la nature Der Judenstaat
(Théodore Herzl : « L’état juif »),
l’essence même de ce qui justifierait l’apparition d’un état
exclusivement juif parmi les autres nations.
Après les pionniers du sionisme politique comme
Herzl et ultérieurement comme Chaim Weizmann, le message envoyé
aux Palestiniens est encore aujourd’hui repris par des
dirigeants et intellectuels de premier plan dans ce qui est Israël
aujourd’hui, disant nommément que nous (les Palestiniens)
appartenons au monde Arabe et que nous pouvons par conséquent être
facilement absorbés par des voisins de cette portion de terre
« disputée » à l’ouest du fleuve Jourdain, tandis
que la nation juive errante se sera finalement établie dans
« le pays promis par Dieu » -- terre UNIQUE sur
laquelle l’autoproclamé « peuple élu » peut se réunir
après des siècles de persécution.
Cette position, malgré ce qu’elle implique de négation
flagrante de l’histoire et de l’identité des Palestiniens et
de la transformation en victime d’une population native dans son
ensemble alors que l’ère coloniale s’achèvait, est
clairement affirmée et défendue jusqu’à l’écoeurement par
l’état d’Israël, au contraire des attitudes contradictoires
traditionnellement adoptées par la société palestinienne et ses
dirigeants sur cette question.
Ce n’est un secret pour personne que la question
des réfugiés est quelque chose de tabou pour beaucoup de
Palestiniens, quoique pour des raisons différentes et dans des
contextes variés. Pour les fervents avocats du droit au rétour,
toute tentative, ou même toute simple inclinaison à adopter une
attitude plus flexible dans l’interprétation de la résolution
194 des Nations Unies est immédiatement vue comme étant une
compromission par rapport aux droits palestiniens légaux,
politiques et éthiques, et destructrice vis-à-vis des intérêts
nationaux des Palestiniens, les plus radicaux disant même que
cela revenait à favoriser les projets sionistes.
D’autre part, le discours passionné adopté par
les partisans du droit au retour représente une réalité inquiétante
pour les cyniques et les calculateurs de la société
palestinienne moderne, dont les vues qui se veulent réalistes sur
l’histoire les empêchent de même simplement envisager le
retour d’un réfugié dans sa maison légitime, encore moins le
flux de millions de nouveaux arrivants dans la Palestine « inexistante ».
Pour simplifier, la dynamique qui gouverne cette
logique est sans doute dûe aux décennies d’oppression sous la
brutale occupation militaire israélienne dont l’impact sur les
Palestiniens ordinaires en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza a
été largement compté ; pour ceux-là la dégradation
terrible des conditions de vie les pousse à vouloir désespérement
sauver ce qui peut l’être. Ironiquement, ce sens de la
soumission est en définitive le résultat que les Israéliens
voulaient atteindre par leur occupation.
Tandis que le débat continue entre le droit au
retour des réfugiés Palestiniens ou leur intégration-absorbtion
dans les pays d’accueil respectifs, il y a un indubitable et gênant
sentiment de désillusion et de déception, à savoir qu’après
près de 60 ans années passées dans la Diaspora
le droit au retour reste très éloigné de sa réalisation.
Surtout, si nous optons pour une pleine application de la résolution
194, le temps n’est-il pas venu pour les Palestiniens d’avoir
une position commune sur les moyens de sa mise en oeuvre ?
Aussi important, la direction palestinienne ne
devrait-elle pas finalement accepter l’idée, même à
contrecoeur, que la réalité est bien au-delà du rève, et
qu’en définitive les réfugiés devrait pouvoir être absorbés
et que l’OLP devrait avoir le pénible rôle de préparer nos réfugiés
à cette réalité impensable ?
Ceci n’a pas pour but de se faire l’avocat
d’une position plutôt qu’une autre, mais plutôt de provoquer
une discussion plus mûre sur une cause qui mérite au moins d’être
présentée avec intégrité et transparence, loin de toute réthorique
superficielle et de bravade nationaliste.
Pendant ce temps, des millions de nos frères et sœurs
de Palestine, des mères et des pères, continuent de végéter
dans les camps misérables de Cisjordanie, de la Bande de Gaza, du
Liban, de Jordanie et de Syrie, parmi d’autres, avec l’espoir
de plus en plus éloigné qu’un jour ils pourront réaliser le
retour à leur propre terre promise.
Rami Bathish est directeur du
Miftah (Media and Information Programme at the Palestinian
Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy). Il
peut être contacté à mip@miftah.org
Rami Bathish
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