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Le Journal International De Victimologie
Histoire
de la guerre et de l'enfance démunie : traumatismes et conduites
délinquantielles
Fériel Berraies Guigny
Cet article résulte d’une réflexion au sujet
de la thèse de Mme BERRAIES (Université Panthéon Assas, France)
sur le thème des traumatismes et des conduites délinquantielle
des enfants dans la Guerre.
SOMMAIRE
DE L’ARTICLE
Durant
la II ème Guerre Mondiale
Les Etudes en Irlande du Nord
et au Proche-Orient
Bibliographie
“ Un garçon
a tenté de fuir, mais il a été rattrapé.(…) ils lui ont lié
les mains puis nous ont obligés--- les autres nouveaux
prisonniers--- à le tuer à coups de bâton. (…) Quand j’ai
refusé, ils nous ont menacés avec leurs fusils. (…) Après
l’avoir tué, nous avons été forcés de nous couvrir les bras
de son sang. (…) Ils nous ont dits que c’était pour nous empêcher
de craindre la mort et de tenter de nous enfuir. (…) Il
m’arrive encore de rêver au garçon de mon village que j’ai
tué” Susan, 16 ans, enlevée par la Lord’s Resistance Army,
Ouganda.
Libération,
Samedi 1er avril 2000, page 4. Rubrique Société» Un
orphelin de guerre rwandais poignarde une jeune fille. Jean k., 17
ans, a été arrêté quelques minutes après les faits» Colin
Didier, Orléans Correspondance.
« Il n’a
pas dit un mot. Ni avant d’avoir poignardé la jeune fille, ni
après. Pas un mot, pas un motif, pas d’explication. Quand les
gendarmes l’ont arrêté quelques minutes après les faits lundi
après-midi, «il marchait tranquillement, comme si rien ne s’était
passé» «Hébété», «Absent»
La Cour
d’Assise d’appel des mineurs d’Indre et Loire a condamné,
vendredi 7 mars 2003, à huit ans d’emprisonnement, Jean K.,
orphelin de guerre rwandais.
Les expertises
s’étaient révélées contradictoires sur la responsabilité de
Jean au moment des faits et pourtant l’histoire de Jean est bien
particulière:
Jean avait à
peine dix ans lorsque sa famille, Tutsi, fut massacrée sur la
colline de Massaka, au Nord-est de Kigali. L’enfant n’a jamais
pu dire si cela s’est fait sous ses yeux, mais des photos des
ruines calcinées de sa maison ont été prises. Il a réussi à
fuir et à se mettre à l’abri dans un orphelinat dont, par
chance, les enfants sont en train d’être évacués par des
soldats français.
Le département
du Loiret, qui coopère alors, avec la Province de Butare,
accueille les 76 petits réfugiés. Pendant deux ans ils séjournent
au Château de Rondon, à Olivet. Mais leur retour est prévu.
Dés 1995, une
tante de Jean s’est manifestée pour l’accueillir. Pourtant en
juin 1996, il ne regagne pas son pays comme la plupart des autres
enfants. Jean a erré de famille d’accueil en foyer. A la maison
de l’enfance, établissement du Conseil Général, il a été
violenté sexuellement par des plus âgés. Un juge pour enfants
l’a entendu, mais l’affaire est restée là. Plus tard, des éducateurs
décrivent un être étrange, muré dans son silence, se réfugiant
dans les arbres. Quand il se confie, la mort revient dans presque
chacun de ses rares mots. Il exprime le désir d’être tué.
Godard, M O.,
dans son ouvrage (
Rêves et Traumatismes , ) expose ce paradoxe du rêve
traumatique, le Dr Houballah
A., dans son œuvre ( Destin du Traumatisme) nous parle de
cette relation ambiguë entre l’agression, la culpabilité et le
sentiment de responsabilité par rapport à l’agression subie.
Ensuite vient sournoisement se glisser l’amnésie ou la relative
amnésie du patient sur tout ce qui touche sa vie avant le
traumatisme. Tout se passe comme si sa vie après le traumatisme
avait atteint un tel niveau d’intensité ou de réalité
qu’elle éclipse de loin, au niveau perceptif la paisible et la
naïve réalité de l’avant événement. Rétroactivement
l’avant trauma prend les couleurs du paradis perdu. Quelque
chose était là et ne reviendra peut être jamais Alors il faut
disparaître ou affronter la mort.
Les histoires
de Susan et de Jean K. seront rangées parmi les faits divers des
atrocités de la guerre, presque comme une fatalité ils viendront
se rajouter aux nombreux exemples qui abondent dans les champs de
la mort des Nations en batailles.
Dans le
premier cas l’horreur et l’effroi se mêleront à la
compassion, mais dans notre fors intérieur cela restera du
registre du réel mais lointain. Car après tout, le caractère «sensationniste»
voire distrayant de la Guerre est bien imprégné dans les valeurs
morales «occidentales».
Bouthoul G.,
dans son Traité de Polémologie, sur la Sociologie des Guerres,
disait « la
Guerre est avant tout une source d’émotions incomparables…»,
«elle rompt la monotonie d’une société mécanisée»
Mais ce
lointain se rapproche, et plus vite qu’on ne le pense.
L’histoire de Jean K., même si cela reste un cas isolé est le
résultat de l’importation de la violence de guerre et de toutes
ces complexités traumatiques. Complexités qu’au demeurant, la
psychiatrie humanitaire n’a pas cessé de déchiffrer.
Quand
l’horreur de guerre «est à nos portes», quand le trauma de
guerre se transforme en violence et qu’il touche notre
quotidien, comment réagir? Et au fond, pourquoi en arriver là?
Pourquoi
n’avoir pas pris plus de peine à comprendre la réalité des
enfants de la guerre, leurs besoins, leurs angoisses, leurs
engagements, voire leur identité nationale?
Peu de travaux
Scientifiques les évoquent, il est d’autant plus difficile
aujourd’hui de trouver le ton juste pour en parler, sous peine
de tomber comme l’explique si bien
Maquéda ,
( Maquéda F., 1995,
La préparation des acteurs de terrain. Handicap International
Lyon. In l’enfant réfugié, quelle protection ? quelle
assistance ? sous la direction de Mansour
S.,) nous parle d’un
«l’humanitaire déshumanisé».
Il n’y a pas
si longtemps, les victimes et les cibles de guerre étaient des
hommes aujourd’hui, ce sont les femmes et les enfants et dans
certaines Nations, on appelle cela « la Guerre Psychologique» :
frapper en plein cœur d’un peuple pour ébranler les fondements
culturels et les structures sociales qui caractérisent son
identité.
La guerre ne détruit
pas uniquement les vies, elle détruit l’idée de vie, l’idée
de l’homme et tout son registre de symbolique.
En faisant une
petite rétrospective des études empiriques sur l’enfance et la
guerre de l’histoire à nos jours, on peut aboutir à deux
vagues de recherches :
Durant
la II ème Guerre Mondiale
[haut]
On retrouve
principalement, les études Britanniques sur les Conséquences
psychologiques de
l’évacuation et des bombardements sur les Enfants. Dans ces études
il s’agissait beaucoup plus de
répondre à des préoccupations d’ordre pratique que de
prendre en considération les séquelles de guerre des enfants:
pour les politiques de l’époque la priorité était de savoir
s’il valait mieux écarter les enfants de leur famille plutôt
que de les laisser dans un environnement dangereux?
Parmi ces
études on trouve celles de
(
Winicott D.W., Déprivation
et Délinquance,
1994, Editions
Payot,
Burlingham, D., et
Freud A., 1949, Enfants
sans famille, Editions PUF ,
Baley, 1949,
Influences psychiques de la dernière guerre mondiale, Revue
Sauvegarde, février-mars, n 28-29, 58-84,
Brosse T,. 1949 l’enfance
victime de la guerre,
Paris Unesco, 147 p,( publication N 461)
Vernon M.D.,1940, A
study of some
effects of evacuation on adolescent girls, British Journal of
Educational Psychology,
n 10, p.114-134,
Bodman F,. 1941, War
conditions and the mental health of
children , British
Medical Journal, n 4213, p.486-488
et en 1944 Child
Psychiatry in wartime britain. Journal
of Educational Psychology , n 35, p.293-301,
Burt C., 1940, The
billeting of evacuated children, British Journal of
Educational Psychology,
vol. X, part I, p.8-15,
Klein M.,
1921-1945, Essais de psychanalyse Paris Editions Payot, Mons
W.E.R., 1941, Air-raids
and the child, British
Medical Journal, n
4217, 625-626,John
E., 1941, A
study of the effects of evacuation and air-raids on children of
preschool age, British journal of Educational
Psychology, n11,
p.173-182, Gill.S.E.,
1940, Nocturnal
Enuresis: Experiences with evacuated children, British Medical
Journal, n 4153, p.199-200,
Jersild A.T.& Meigs M.F., 1941,
War Strain on children, British Medical Journal, n 4177, p.124 et
en 1943,Children
and War, Psychological Bulletin, n 40, p.541-573
Carey-Treftzer C. J., 1949, The
results of a clinical
study of war damaged Children who attended the Child Guidance
Clinic, The hospital for sick children. Great Ormond Street,
London, Journal of mental Science, n 95, p.335-599, Boyd
W.,1941, The effects of evacuation on the children, British
Journal of Educational Psychology, n 11, p.120-126 etc.).
Ces auteurs
ont étudié les effets des bombardements et de l’évacuation
sur les enfants durant la seconde guerre mondiale, ils ont mis
l’accent sur la souffrance morale de l’enfant quand il était
arraché à son environnement et à ses repères familiaux avec
des comparaisons en fonction de l’âge, du sexe, de la classe
sociale mais cependant , sans jamais faire aucune référence à
une éventuelle délinquance de guerre. Tout au plus, certains
auteurs ont ils parlé d’un
désir d’arrêter la fréquentation à l’école ( les filles
notamment) et ils
font référence aux
manières impolies (shocking manners) de « la ville »
une fois évacuée
dans la campagne. Toutefois ce sont
Winnicott D.W et
Brosse T., qui
vont évoquer en premiers une délinquance potentielle née des
privations de la guerre et quand
au neuropsychiatre français pour enfants le Dr Heuyer,
( Heuyer G.,1948, Psychopathologie
de l’enfant victime de la guerre, Revue Sauvegarde, vol 2,
Paris, janvier, n 29)
il nous parle même d’un délinquant de guerre plus
intelligent et « débrouillard» que celui d’avant guerre. Dellaert
R., en 1946,( Dellaert R., 1946 les travaux de
la section médicopsychologique des S.E.P.E.G en France), évoque
les prémisses d’un malaise social engendré par les enfants de
l’après guerre.
Le flambeau
sera repris par les études polonaises, où des psychologues, éducateurs
vont étudier des échantillons d’orphelins dans des Centres de
délinquant et orphelinats (délinquant de Lodz par ex) pour
tenter d’établir une corrélation entre les conséquences
de la guerre ( orphelins, enfants abandonnés et désœuvrés) et
les attitudes de la jeunesse pouvant déboucher en délinquance ( Szeminska,
A., 1949,Les candidats pour les maisons d’enfants,
Revue Sauvegarde février-mars, n 28-29, 133-151,Zebrowska M.,
1949 Les délinquants mineurs à Varsovie après la guerre,
Revue Sauvegarde, p.28-29, Stzenecka
H., 1949, L’influence
de la guerre sur les attitudes de la jeunesse, Revue Sauvegarde,
Paris, février-mars, n 28-29,
p.11-17, Szymanska Z., Zajaczkowski H., et Jaroszynski J., 1949,
Quelques problèmes d’après guerre concernant le travail médico-pédagogiques,
Revue Sauvegarde, Paris, février-mars, n 28-29, p.133-151,
Iliegiewicz H., 1949 l’enfant
délinquant avant guerre et maintenant, Revue Sauvegarde, Paris,
28-29, p.122-130 etc…).
Tous ces
auteurs ont essayé de comprendre le phénomène qui avait pris
une certaine ampleur car , il faut en effet rappeler que la
Pologne a été le pays le plus touché et celui qui a le plus
souffert et pâti des conséquences de la II guerre Mondiale (déportations,
exodes, privations, problèmes sociaux et partage du territoire).
La
France quant à elle,
n’est pas en reste quant il s’agit d’étudier les effets si
l’on puit dire « criminologiques « de la guerre :
Louis Chevalier, dans
une approche historique du phénomène,
nous parle des Classes Laborieuses et Classes Dangereuses
à, qui ont longtemps alimenté le mythe de la dangerosité
sociale à Paris
pendant la première
moitié du XIXe s (Chevalier L., 1958, Classes laborieuses et
classes dangereuses, pour l’Histoire Editions Perrin ). L’auteur
nous parle de la criminalité constatée à Paris, ville
considérée comme la plus criminogène à l’époque ( thèse
reprise par les grands auteurs classiques français, de Hugo
à Balzac). Ville en
pleine évolution attirant tout un tas de populations sans repère
( exode rural des paysans vers la ville) et occasionnant à l’époque
le phénomène des rivalités
entre les confréries (compagnonnage)
qui ont longtemps fait rage. Il explique aussi comment, la
disproportions entre les sexes ( plus de hommes que de femmes, )
le nombre important d’enfants abandonnés ( le mythe de Gavroche
qui a longtemps bercé l’imaginaire collectif sur l’activisme
politique juvénile et la délinquance des enfants des rues,
moralement abandonnés durant la révolution), la recrudescence
des maladies vénériennes et le Choléra ont rajouté dans
l’imaginaire populaire quant à la perception de l’insécurité
et l’état d’insécurité réelle dans la Capitale. A l’aube
de la lutte des classes on entrevoit ici l’opposition entre le
Paris « bourgeois » et le Paris « prolétaire »
Chicago en 1920 et 1930, sera considéré, cent ans plus tard,
comme l’égale de Paris à l’époque de la Monarchie de
Juillet. Il est en effet intéressant de faire cette comparaison
car les Etats-Unis
vont connaître plus tard à leur tour, un phénomène similaire,
avec le flux massifs d’immigrants étrangers, alors que Paris
avait connu cent ans plus tôt
cet exode massif mais
des populations rurales.
Un peu plus
loin dans l’histoire, pendant la IIème guerre une autre
jeunesse rebelle s’éveille, on les appelle , »les Zazous»
Ces enfants aux pères «absents» ( soit à cause de la détention,
ou le service de travail obligatoire en Allemagne) qui dérivent
vers la délinquance en marge du conflit. L’œuvre de Fishman
S., en 1957,
( Fishman S.,2002, The battle for Children, Word War
II, Youth Crime, and Juvenile Justice in Twentieth Century France,
Editions Harvard
University Press, 2002)nous parle de ces enfants dont les actions
en marge de la légitimité et frisant la délinquance, se
faisaient sous
couvert d’actions héroïques de la résistance. On pourrait
considérer aujourd’hui à juste titre que la France de
l’occupation allemande a aussi eu son «Intifada» pour lutter
contre l’occupation. Paradoxalement le régime de Vichy a considéré
que ces enfants délinquants étaient des victimes de la situation
d’occupation et a mis en œuvre une politique thérapeutique qui
se démarque du système judiciaire en place pour jeter les bases
de la nouvelle thérapie préventive pour les enfants à problèmes
et ceux en danger moral. On les orientait à cette fin vers des méthodes
de réinsertions par les travaux d’utilité publique.
La deuxième
vague de jeunesse délinquante post-conflit arrive dix ans après
la guerre, «c’est la génération des blousons noirs» dont
nous parle en 1962, (Copferman
E., La génération des blousons noirs, problèmes de la jeunesse
française, Editions
la (Re)Découverte, 2003)
il l’a voit comme une catégorie « désocialisée» en
quête d’une identité et qui affiche par une attitude réactionnaire
un malaise social en l’absence de repères structurants de la
part de la famille et du système éducatif. A cette époque, la
recherche «des loisirs faciles» entraîne une perte des valeurs
profondes de la Société. La création du service militaire et
l’approche des conflits d’indépendance coloniale, réuniront
une jeunesse de toutes les catégories sociales sur un même
front, jeunesse qui a du mal à comprendre son passé et à
envisager son avenir.
La valeur des
deux courants de recherches ( britannique et polonais) mais également
les phénomènes vécus par la jeunesse française depuis le
milieu du XIX, ont une valeur historique et humaniste
incontestable à notre sens, mais leurs apports restent encore
dans l’anecdotique.
Ces phénomènes
sociaux et la polémique
qui en découle, vont remettre en cause l’opportunité de
certains programmes et pratiques sociales des gouvernements de
l’époque. La gestion par ex des situations d’urgence de
guerre comme nous
l’avons vu dans le contexte britannique ( les programmes d’évacuation
et le cas des orphelins et des enfants sans foyer suite à la
guerre) et les politiques de prise en charge sociale des jeunes
pendant et après les conflits
en Pologne et en France , jetteront les bases des
premières politique sociales et criminelles à portée préventive
et « réhabilitatrice » en faveur de la jeunesse en
danger.
Pour revenir
aux études
polonaises qui sont celles qui seraient les
« plus scientifiques » à notre sens,
( il faut noter le fait que dans le cas de la France, les
premières études faites
par le biais des programmes de l’UNESCO, en particulier l’étude
de Brosse T en 1949) l’objectif est essentiellement
politique, les statitistiques étaient grossies dans un but
de propagande et pour éveiller la conscience sociale quand à la
nécessité de « mettre les gamins sur le bon chemin »
et donc il n’y a aucune valeure scientifique) et l’échantillon
empirique d’enfants délinquants, en l’absence d’un groupe
de contrôle ; reste discutable car
la méthodologie et les outils de mesure sont peut
fiables). Il faut néanmoins reconnaître l’effort de curiosité
intellectuel qui reste très louable notamment dans le contexte
polonais, à l’époque la Pologne sortie de guerre très
meurtrie ne, dispose pas d’instruments scientifiques capable
d’expliquer le problème. Avec ces limites il est
en effet impossible d’aboutir à un début de modélisation.
On pourrait
par ailleurs se poser la question de savoir pourquoi il a fallu
attendre la deuxième guerre mondiale pour étudier les répercussions
de la guerre sur l’enfance ?
L’explication
est simple : au cours de la Iere Guerre Mondiale, le domaine
de la recherche clinique n’avait pas fait de l’enfance une
priorité. La psychiatrie militaire prédominait alors, et n’y a
presque pas d’études
sur l’enfance et la guerre ( il n’y a pas à notre
connaissance d`études empiriques scientifiquement vérifiables
sur l’enfance de guerre), à part l’étude de Kimmins
C.W., 1916,
The interests of London Children at different age in air-raids,
Journal of Experimental Pedagogy) qui
relate le comportement des
enfants en temps de bombardements.
La majorité
de la littérature de cette période concernait essentiellement le
soldat ( engagé dans les conflits) et patient de prédilection
des thérapeutes de l’époque. La littérature des syndromes des
batailles « le
battlefield shock syndrom» et la psychanalyse de Ferenczi,
Rivers et de Freud, abondaient en définitions diverses sur
les pathologies et les névroses de guerre des adultes.
Mais
l’enfance démunie de guerre
est devenue un véritable fléau social pour certaines
Nations en Reconstruction, en
ex URSS,les études de Dorena
Caroli sur l’enfance abandonnée en Russie nous dévoile
l’ampleur de ce phénomène ( Caroli D., Socialisme et
Protection Sociale : une tautologie ? l’enfance
abandonnée en URSS 1917-1937, Annales HSS novembre-décembre
1999, n 6+, p.1291-1316). C’est dans ce contexte précis que naîtront
les colonies pour enfants abandonnés et délinquants de guerre en
Russie de Makarenko ( Makarenko, A, 1956, Poèmes
Pédagogiques,) et de Moulieg. Ces deux éducateurs
tenteront de réhabiliter dans ces colonies toute une
jeunesse délinquante et marginale d’après guerre en
vantant les mérites de
la discipline et du
travail communautaire, allant de pair avec l’idéologie
politique de l’époque. En
Autriche, la tradition psychanalytique freudienne sur
l’étude de la
pensée enfantine et le développement morale, est reprise par
l’éducateur, Auguste
Aichhorn ,( Aichhorn A., 1973, Jeunesse à l’abandon. Préface
de Sigmund Freud. Etudes et Recherches sur l’enfance. Privat
Editeur). Il s’inspirera également des colonies délinquantes
russes pour réhabiliter
dans son pays, les enfants délinquants et les enfants à
problèmes.
Il est part
ailleurs intéressant de noter que vers le XVII - XVIII, les
enfants abandonnés étaient considérés comme «moralement déficients»
Au début du XX e siècle, ces enfants abandonnés seront considérés
d’abord comme des victimes, puis des déficients mentaux et
enfin des délinquants. Dans un but uniquement thérapeutique et
par souci de prise en charge sociale et d’hygiène, l’enfance
démunie considérée délinquante et amorale glissera des filets
de la pénalisation pour passer au Traitement pédagogique, et
cela ira de pair comme nous l’avons déjà évoqué, avec la création
des colonies d’orphelins de la guerre .
Avec Zalkind,
A, B., la psychiatrie soviétique va lentement mais
douloureusement évoluer quand même, en s’affranchissant sous
l’instigation de ce spécialiste, du déterminisme qui voulait
que les enfants
abandonnés « besprizornst» du qualificatif
soient des «
déficients moraux». Zalkind
au contraire, insistera sur
la nature extraordinairement flexible de l’organisme humain et
tournera ainsi le dos à la statique biologique que l’on
attribuait auparavant à la personnalité humaine. Il
introduira ainsi, des
concepts freudiens au Marxisme (
A.B., Zalkind., Frejdizm, Marksizm ( Freudisme et Marxisme);
Krasnaja nov, 4, 1924, pp.163-186).
Les
psychologues et éducateurs de
cette époque vont alors s’intéresser dans un but thérapeutique
et préventif au concept de développement moral de l’enfant. On
finira par établir une véritable catégorisation de l’enfance
allant de: enfant névrotique, enfant maltraité, enfant en
carence affective, enfant moralement abandonné, enfant déficient
intellectuel et enfant délinquant.
Tous ces
enfants constitueront ce qu’on appelle encore aujourd’hui «
les enfants à risque» à l’instar « d’enfants en
danger ».
Par cette
normatisation de l’enfance en danger, les psychologues et éducateurs
espéraient «dépister» l’enfant qui pouvait «mal tourner»,
( tentative maladroitement entamée aussi par la criminologie
positiviste de l’école « lombrosienne »,
tentative de typologie du criminel
adulte qui n’a également pas survécu). La difficulté résidait
justement sur le flou entre les différentes
catégories d’enfants.
Il
est cependant fort intéressant de voir qu’à l’époque
déjà, et sans le
vouloir, naissait une sorte de « politique criminelle» avec des
concepts qui s’apparentaient à la «dangerosité sociale» et
une réflexion sur l’impact du milieu «criminogène» ( la rue
qui pouvait donner des tares héréditaires à l’enfant ) et qui
expliqueraient un certain déterminisme comme facteur incitatif au
passage à l’acte délinquant. Ainsi dès la Iere Guerre
Mondiale, l’enfant devient le second sujet d’étude de la
psychanalyse après la névrose des adultes. La jeunesse à
l’abandon dans la période de 1910- 1940, en Europe et en URSS,
sera saisie à travers deux phénomènes:
1.
la névrose
2.
la délinquance perçue comme une conséquence de la
perturbation névrotique.
Il reste
toutefois, que ces expériences démontrent avant tout et
notamment dans le cas de l’ex URSS, que la prise en charge
sociale de l’enfance démunie répondait avant tout à un souci
populationniste . On désirait
forger un homme nouveau et l’enfant de part sa vulnérabilité,
était considéré une
arme hautement manipulable, autant que le devenir d’une Nation.
Il pouvait pacifier mais également
alimenter les conflits entre les Nations.
On
est encore loin ici, de tout souci de protection véritable de
l’enfance par la prévention ou la réinsertion sociale. Quant
à la Défense Sociale, la période Stalinienne a fait montre de
peu de scrupules quant il s’agissait d’éradiquer le fléau
des enfants abandonnés: puisqu’on a fini par les abattre quand
ils sont devenus trop nombreux et «insocialisables».
Ce que l’on
pourra retenir de cette période sera l’impact du Politique sur
l’humain ( ce qui ne nous dépayse pas du reste de la violence
politique contemporaine que subissent les enfants, aujourd’hui)
et également la « théorie du milieu» et ces effets «dégénérants»
sur l’enfant ( la rue).
Le deuxième
courant des recherches empiriques ouvre le pas aux enfants
d’Irlande du Nord, d’Israël, du Liban et de la Palestine.
Les
Etudes en Irlande du Nord et au Proche-Orient
[haut]
L’approche
ici est plus sophistiquée et scientifique d’un point de vue méthodologie
de recherches…
On
retrouve les études sur la
perception de la violence
urbaine (
Lyons, H.A., 1971, Psychiatric
Sequelae of the Belfast Riots, British Journal of , n 118,
p.265-273 et 1972,
Depressive illness
and agression in Belfast, British Medical Journal, i, p.342-344,
O’Malley P.P., 1972, Attempted
suicide before and after communal violence in Belfast, august,
1969, Journal of the Irish Medical Association, Vol 65, 5.
Cairns E., Hunter D., & Henning, 1980, Young
children’s awareness of
violence in Northern Ireland : The influence of N.I
television in Scotland and Northern Irland, British Journal of
Social and Clinical Psychology, n 14, p.3-6. Les études sur la
perception de leur pays avec
Hosin A., et
Cairns, E., 1984, The
impact of conflict on
children’s ideas about their
country, The Journal of Psychology, 118 (2), p.161-168.
Les études sur
l’usage
des drogues,
King D. J., Griffiths K., Reilly P.M., Merrett D. J., 1982, Psychotropic
drug use in Northern Ireland 1966-1980 :Prescribing Trends,
inter and intra-regional comparisons and relationships to
demographic and socioeconomic variables, Psychological
Medecine. Les
études sur la
compréhension de la
mort, Mc Whiter L., Young V., Majury J., 1983,
Belfast Children’s awarenes s of violent death, The
British Psychological Society, 22, p.81-92, les études sur la
connaissance de l’ennemi
en Irlande du Nord, Cairns, E.,
Hunter D., L., 1980, Young
Children’s awareness of Violence in Northern Ireland : The
influence of
Northern Ireland Television in Scotland and and N I, British
Journal of Social and Clinical Psychology, 14, 3-6,
et Mc Whiter
L. et Trew, K., 1982, Children
in Northern Ireland : A
lost generation ?, In L.J Anthony and C. Chiland ( eds). The
child in the family, vol 7, New York, John Wiley and Sons. Des études
sur l’identité
nationale chez les
enfants d’Irlande du
Nord, Mc Whirter, L.,& Gamble, R.,1982,
Development of ethnic awareness in the absence of physical cues, The
Irish Journal of Psychology,5,2, p.109-127. Les études
faites en Israël, en Palestine et au Liban, évoquent le thème déjà
étudié par les britanniques sur les
conséquences des bombardements sur l’équilibre mental
des enfants exposés à la guerre.
En
Israël principalement,
les premières études ont été faites par Ziv et Israeli 1973 (
Ziv A. &Israeli R., 1973, Effects
of Bombardment
on the manifest anxiety
level of children living in Kibbutzim, Journal
of Consulting and Clinical Psychology, n 40 (2), 287-291 et
Milgram R .M., &
Milgram, N. A ., en 1976, The Effects of the Yom Kippur War
on anxiety level in Israeli children, The
Journal of Psychology, n 94,, p 107-113. Ces
chercheurs ont également
effectué des comparaisons sur l’adaptation
au stress et le taux d’anxiété des enfants vivant dans les
zones à risque ou non. Les études sur
les conséquences de la déportation des enfants palestiniens ont
également vu le jour,notamment avec le travail d’Abu
Hein F., & Raundalen M., en 1993,
Deportation and its
effects on the palestinian children in Gaza. Gaza :
GCMHP, unpublished manuscript.
En
Irlande du Nord, l’étude de Fields
R.M., 1975,
Psychological genocide : The children of
Northern Ireland : History of Childhood. Quaterly
Journal of psychohistory, 3 (2), p.201-224,
abordera les consequences psychosociales de la violence
politique,et au
Liban, cette
perspective est reprise au travers des études de, Saigh P.A.,
1985, An
experimental analysis of chronic posttraumatic stress among
adolescents, Journal
of Genetic Psychology, 146, p.125-131,
de Day R.C., en
1986, «
Psychological Study of Children in Lebanon. In
J.W. Bryce& H.K. Armenian (Eds), In
Wartime the state of children in
Lebanon, American
University of Beirut,
p.105-116” et un peu plus tôt en Israël Ziv, A.,
Kruglanski A.W.,et
Shulman S., 1974, Children’s
Psychological reaction to wartime stress, Journal
of Personality and Social Psychology, 30(1) p.24-31.
La
relative sécurité ou non des Kibboutz sera abordée par (Kaffman,
M., 1977, Kibbutz
Civilian Population under War Stress, British
Journal of Psychiatry,
130, p.489-494, et Camiel S.,1978, Some
observation about the effect of war on kibbutz family structure, The
family coordinator, 27(1), p.43-46.
La mesure de
l’identité nationale en Palestine ( Mahjoub A.,
Delbovier M.C., 1988, Passation du Rozenweig Picture Frustration
Study aux enfants palestiniens. In M.C Delbovier. Les
traumatismes psycho-sociaux de la guerre chez les enfants, une
approche de la frustration et l’agression chez les enfants
palestiniens. Mémoire
de fin d’études. Louvain la Neuve, U.C.L, Belgique.
Et l’étude de Mahjoub
A., Leyens J.PH., Yzerbyt V., Di Giaocomo J P., 1989, War
stress and Coping Modes : Representations of the self
identity and time perspective among Palestinian children, International
Journal of Mental Health, Vol 18, N 2., fait
état des stratégies de
faire face “ coping modes” face au stress de la guerre.
La
souffrance morale des enfants orphelins de père à cause de la
guerre, a fait l’objet de certaines études dont celles en Israël
avec Kaffman M.,
Elizur E., 1979, Children’s
bereavment reactions following death of the father. International
Journal of Family Therapy, 1, 203-231.
Les
attitudes et la compréhension de la guerre
se retrouvent dans des études sur les enfants palestiniens et
israéliens , Ziv A., et
Israeli R., 1973, Effects
Bombardment on the manifest anxiety level of Children
living in Kibbutzim, Journal
of Consulting and Clinical psychology, 40(2), p.287-291.,Goldman
R., 1974, Israeli
Preschool children during wartime stress : their knoweledge
and interpretation of the 1973 war, Social
Education, 38(4), p.367-370.
et Punamaki R. L.,1983,
Psychological Reactions of Palestinian and Israeli Children to War
and Violence. In M. Kahnert, D. Pitt& Taipale
(Eds), Children and War, Proceedings of the Symposium at Siunto
Baths, Finland, GIPRI, IPB; Peace Union of Finland etc…
Cependant le
vide théorique persiste, on pose plus de questions qu’on ne
trouve de réponses.
Néanmoins, certaines études contemporaines ont des implications
théoriques, comme les études relatives à l’adaptation au
stress entreprises par un psychologue clinicien finnois Punamaki
Raija- Leena, (Punamaki R L., 1981,
Children living under war and threat : Israeli and
Palestinian children’s attitudes and emotional life, Academy of
Science, Finland, unpublished, en 1983,
Psychological Reactions of Palestinian and Israeli Children to War
and Violence. In
M. Kahnert, D. Pitt& Taipale
(Eds), Children and War, Proceedings of the Symposium at Siunto
Baths, Finland, GIPRI, IPB; Peace Union of Finland,
en
1986, Stress among
palestinian women under military occupation : Women’s
Appraisal of Stressors, Their Coping Modes and Their Mental
Health, International
Journal of Psychology, 21, p.445-462,
en 1987, Psychological
Stress Responses of Palestinians mothers and their children on
conditions of military occupation and political violence. The
Quaterly Newsletter of the laboratory of comparative human
cognition, 9, p.76-84,
en 1989, Political
Violence and Mental Health, International
Journal of Mental Health, 17 (4), p.3-15. l’ensemble de
ces recherches vont remettre
en question l’idée
bien établie la « learned helplessness» ou l’état de
victimisation passive (impuissance apprise), auprès des enfants
palestiniens et israéliens .
Ce qui est intéressant
de relever dans cette seconde vague de recherches, c’est
l’influence du milieu social environnant. Selon la qualité de
ce milieu on pouvait avoir soit « des enfants martyrs» soit «
des enfants héros» et dans une perspective purement clinique
soit «des enfants malades» ou des «enfants sains» Ces études
nous indiquent donc que c’est moins la situation traumatisante
objective ou sa vision subjective qui importe que les réactions
que favorise l’entourage. Le Psychologue Mahjoub
A., ( Mahjoub A., & Leyens, J. P H., 1986, Etude
épidémiologique des enfants de la cité éducationnelle des
Enfants des Martyrs palestiniens, Adra,
Damas,Syrie. Etude non publiée),.
disait en ces
termes « c’est l’omnipotence du milieu qui explique l’échec
de la théorie de l’impuissance apprise à rendre compte des réactions ».
Dans toutes les
études contemporaines sur les conséquences de la guerre, ni le sexe
des enfants, ni l’efficience intellectuelle ( intelligence), ni
les mécanismes de défense ou d’adaptation ne permettent de déterminer
comment et pourquoi un enfant réagit d’une certaine façon à la
guerre. Rien ne peut véritablement quantifier ou qualifier la nature
des séquelles de guerre chez l’enfant. Que le traumatisme soit
apparent ou pas, qu’il se manifeste ou pas, plus tôt ou plus
tard, que l’adaptation ait réussi ou échoué, que le comportement
soit resté social ou pas, et en l’absence d’une théorie générale
de la victimisation qui soit scientifiquement valable, toutes ces
questions pour l’instant resteront en suspens.
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Publié le 26 janvier 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel
Berraies Guigny
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