C’est ainsi que l’on conquiert la
Galilée
Esther Zanberg
Haaretz, 26 septembre 04
http://www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=481720
Unacceptable norms
http://www.haaretz.com/hasen/spages/481680.html
La
chaire de géostratégie de l’Université de Haïfa, à la tête
de laquelle se trouve le professeur Arnon Sofer, a récemment publié
un opuscule faisant le point sur l’ « opération des postes
d’observation » en Galilée dans la perspective des années
écoulées depuis son lancement, à la fin des années 70. De 1978
à 1988, 52 nouvelles localités juives ont été fondées, de la
taille de postes d’observation, dans toute la Galilée, au cœur
de la population arabe. Aujourd’hui, une vingtaine de milliers de
personnes y habitent. L’opuscule, réalisé par Avraham Dor du département
de Sciences politiques de l’Université, invite à évaluer, comme
il dit, « le succès de l’entreprise par rapport aux
objectifs qui lui avaient été fixés au départ », et énonce
sans fard le fait que derrière la création des postes
d’observation, il y avait des principes de discrimination sur base
ethnique, une phobie démographique et une conception selon laquelle
les citoyens arabes de l’Etat ne sont pas des citoyens partageant
les mêmes droits, mais qu’ils représentent une menace pour
l’existence de l’Etat.
L’opuscule
examine l’entreprise – dont tous les objectifs n’ont pas été
atteints – en prenant le cas de figure que représente le Comité
régional Misgav au sein duquel se retrouve le plus grand nombre
(29) des postes d’observation de Galilée. Avant le lancement de
l’entreprise, plusieurs objectifs avaient été fixés. En tête,
comme l’explique Dor, un « objectif territorial »
dont le principe est « d’accroître le territoire aux
mains de la population juive et de faire obstacle à la mainmise de
la population arabe sur les terres d’Etat, par un renforcement de
la présence juive en Galilée » ; et un « objectif
démographique » visant à améliorer la balance de l’émigration
(juive) en Galilée. Les autorités responsables du peuplement ont,
dès le départ, émis des doutes sur les chances de succès de cet
objectif et effectivement, comme le relève Dor, « si on
regarde vers l’avenir, le tableau n’est pas encourageant »
et « l’écart démographique entre résidents arabes de
Galilée et résidents juifs ne cesse de se creuser ».
Un
objectif supplémentaire, géopolitique celui-là, a rencontré un
succès beaucoup plus grand. Cet objectif n’a, comme l’explique
Dor, « pas été rendu public, mais son rôle central dans
le choix de l’emplacement des postes d’observation ne fait aucun
doute. Son but était d’enfoncer des coins entre les blocs de
population arabe, en enrayant la possibilité de créer une
continuité territoriale qui permettrait à des revendications
d’autonomie de se développer dans le futur ». Dès
lors, comme l’écrit Dor, « la création des postes
d’observation, dans des conditions d’extension relativement réduite,
a permis un important déploiement d’implantations et « l’occupation »
du territoire par le biais de routes d’accès à celles-ci et par
une présence juive permanente dans la zone ».
Un
objectif semblable était à la base de la création, en 1982, du
Comité régional Misgav lui-même « dont les frontières
particulières » étaient destinées, selon les termes de Dor,
« à faire clairement obstacle à la possibilité que se crée
une continuité de peuplement arabe ». La création du
Comité avait en son temps été accueillie dans les cris grinçants
des habitants des localités arabes de la région, comme l’écrit
Dor. Dans le cadre de cette synthèse des objectifs replacés dans
une perspective temporelle, il note qu’il « est intéressant
d’examiner comment ce nouveau déploiement juif en Galilée est
perçu par la population arabe en 2003, plus de 20 ans après la
mise sur pieds de l’entreprise de peuplement ».
Une
énigme, en effet ! Le président du comité de Majdal Kroum
(limitrophe des postes d’observation de Gilon et Tzourit), Mohamed
Kenaan, résout cette intéressante énigme en expliquant à Dor
qu’effectivement l’entreprise des postes d’observation suscite
un sentiment de discrimination au sein de la population arabe dans
la mesure où « elle n’a pas droit à un traitement ni à
des moyens à la mesure de ce qui est investi dans les implantations
juives ». Ainsi, par exemple, la zone industrielle de Bar
Lev relevant de Misgav a obtenu le statut de zone de première
priorité et elle prospère, alors que la zone industrielle de
Majdal Kroum qui se trouve juste en face n’a pas eu droit à ce
statut tellement convoité et rencontre des difficultés pour
subsister. Un autre exemple porte sur la question des terres :
comme le précise Kenaan, les terres de propriétaires arabes
n’ont pas été expropriées pour les besoins de la création des
postes d’observation, mais, d’après les plans directeurs
actualisés, elles « appartiennent » au Comité régional
Misgav qui dès lors bénéficie des impôts appliqués à ces
terres, et ce au détriment des Conseils locaux arabes.
L’impression qu’en tire Dor, pour résumer l’affaire est que
« du point de vue de Kenaan, la chose est perçue comme une
mesure inégale ».
L’opuscule
nous apprend que la discrimination et l’inégalité ne sont pas un
échec du système mais qu’elles constituent la visée. Il n’y a
là, bien entendu, rien de neuf mais lorsque la banalité de la
discrimination se présente sous la forme d’un rapport objectif,
sec et apparemment non idéologique, elle est plus difficile à digérer.
Comme indiqué dans l’opuscule, la chaire de géostratégie
« s’intéresse à des sujets relevant du domaine de la sécurité
nationale et se traduisant au niveau territorial », et
elle les diffuse dans des écoles d’enseignement secondaire et des
institutions académiques. Elle transmet ainsi aux générations
montantes des normes inadmissibles qui font planer de lourdes
incertitudes sur la possibilité même de l’existence d’un
« Etat juif et démocratique ».
[Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys]
Source : Michel Ghys
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