Opinion
Des Citoyens, des
victimes, des assassins et des lâches !
Astrubal
Dimanche 9 janvier 2011
I.— Des victimes et des assassins
Il convient d’abord de rappeler l’un des piliers du pacte
républicain autour duquel la société tunisienne s’organise. Ce
pilier est bâti sur le dogme du monopole du port d’arme par les
agents du ministère de l’Intérieur et par l’armée. Ce monopole
est fondé sur la logique qui fait que les citoyens renoncent à
porter des armes et c’est l’Etat qui prend en charge leur
sécurité. Cela signifie : quoi qu’il en coûte en terme de vies
humaines pour ses agents, l’Etat s’engage à garantir la sécurité
de ceux à qui il interdit de porter des armes.
Dès lors, ceux qui sont commis pour la sécurité des citoyens
ont pour mission sacrée de protéger la vie desdits citoyens. Les
opérations de maintien de l’ordre ne peuvent en aucun cas
justifier tout usage disproportionné de la force pour tuer.
Autrement, cela serait qualifié d’Assassinat. C’est-à-dire un
acte commettant un homicide volontaire avec préméditation.
Et je ne trouve aucune autre qualification : tuer un citoyen
désarmé, c’est un assassinat. Et il n’y a que l’imbécile qui
soit capable de tenir un discours pour affirmer que les décès
sont dus au fait que les victimes se sont jetées sur les balles
tirées par leurs assassins.
Quels que soient les troubles, en cas de manifestation, y
compris s’il y a des jets de cocktails Molotov (et je ne suis
pas en train de dire que ce fut le cas, je n’en sais rien, je
n’y étais pas), on ne tire pas sur la foule pour tuer.
Pour rappel et à titre de comparaison : en mai 1968, malgré
tout le désordre qui prit d’assaut les rues de la capitale
française, pas une seule victime n’est tombée. Et aujourd’hui,
42 ans après, tout le monde rend hommage à ce préfet de la
République,
Maurice
Grimaud, qui a fait son travail de maintien de l’ordre
jusqu’au bout et avec l’honneur qui sied à sa fonction. Et s’il
n’y a eu aucun mort, c’est parce que l’un des principes
fondateurs des Républiques démocratiques, celui de l’usage
proportionné de la force, fut respecté. On ne canarde pas les
citoyens pour disperser une foule, ni ne les abat pour empêcher
qu’un cocktail Molotov soit lancé.
Et je me souviendrai jusqu’à la fin de mes jours de ce
communiqué si scandaleux qui parlait, lors des événements de
Redayef, de «la
mort [assassinat] d’un élément perturbateur». Et nous
continuons à avoir droit à ces «fumeuses» sources anonymes qui
reconnaissent la mort des Tunisiens abattus par les forces de
l’ordre. Ces mêmes sources qui indiquent sans pudeur : «malgré
les mises en garde lancées, conformément à la loi, par les
forces de l’ordre, les éléments perturbateurs n’ont pas
obtempéré, obligeant les forces de sécurité à intervenir. Ces
événements —préciseront encore ces sources—, ont
entraîné la mort de “X” éléments perturbateurs. »
II.— Des Lâches…
Lâche selon le Littré : «indique
une disposition faible et misérable qui ne peut résister à
aucun péril ; aucune espèce de courage ne reste ; une idée
de mépris y est jointe.»
Selon le Robert : «Qui manque de
courage, recule devant le danger, s’abaisse devant la force,
la puissance. ➙ capon, couard, peureux, pleutre, poltron,
veule.»
Outre les lâches, tant ceux qui ordonnent comme ceux qui
tirent sur des citoyens désarmés, il y a les autres lâches qui
regardent et se terrent, en particulier nos parlementaires.
Toute la journée j’ai attendu un communiqué de ces derniers.
Toute la journée j’ai attendu quelques mots de compassion envers
les familles tunisiennes qui ont perdu les leurs, tombés sous
les balles d’autres tunisiens. Mais rien… pas un mot. Et ma
colère est immense.
Dans n’importe quel pays au monde avec un parlement qui se
respecte, nous aurions eu droit à un tollé des parlementaires,
ces représentants de la nation qui observeraient ainsi leurs
concitoyens tomber sous les balles des forces de l’ordre. Nous
aurions eu droit à l’annonce d’une commission d’enquête pour
savoir exactement ce qui s’est passé et définir les
responsabilités de chacun. On aurait eu droit à l’annonce de
cette commission ne serait-ce que pour dire aux citoyens de la
nation entière «nous sommes là pour contrôler l’exécutif et
contrôler, entre autres, tout usage de la force par la police et
par l’armée». Tout parlement qui se respecte ne peut et ne
doit se suffire des déclarations du «grand flic» qui ordonne de
tirer sur la foule. C’est tout de même invraisemblable que nos
parlementaires observent ce qui se passe comme s’ils étaient sur
la Lune. Au fond, ils ne sont bon qu’à voter cette somme
astronomique —près 1,8 milliard de nos millimes— pour l’école
privée de Leila Trabelsi épouse Ben Ali au détriment de nos
petits écoliers, ces petits anges qui pataugent dans la boue
pour accéder à leurs écoles de l’arrière-pays et s’installer
dans des classes rongées par l’humidité et le dénuement.
Ma colère est si grande que je n’ai d’autres mots que de dire
: «messieurs les parlementaires, quand des citoyens
Tunisiens meurent sous les balles et que vous ne réagissez pas,
c’est que vous n’êtes que des lâches aux ordres de celui à qui
vous devez vos sièges, indignes de parler au nom de la nation et
indignes de vous exprimer au nom de ce drapeau que vous avez
transformé en vulgaire tissu pour recouvrir des cercueils.»
Astrubal de Nawaat, Enseignant universitaire
et blogueur tunisien.
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