|
Opinion
La révolution
tunisienne, son déploiement et ses tâches prioritaires
Abdallah Rihani
Photo: Abdellatif Snoussi
Jeudi 20 janvier 2011
Disons-le clairement, le Premier ministre Ghannouchi n’avait
jamais fait entendre une note discordante par rapport au
dictateur dont il recevait les ordres et appliquait
scrupuleusement les directives et les politiques de longues
années durant. Il est pour le moins curieux qu’il poursuive les
contacts avec le dictateur et qu’il en parle à Aljazira comme si
cela était chose encore normale.
Autre fait curieux, le gouvernement tunisien a laissé partir
le dictateur au lieu de le garder à la disposition de la justice
tunisienne et de s’assurer que les fonds usurpés à l’État par le
dictateur dans l’exercice de ses fonctions seraient restitués au
trésor public. Le moins que l’on puisse dire est que l’actuel
Premier ministre ne saisit pas l’ampleur du bouleversement que
le peuple tunisien est en train de réaliser. C’est toute la
triste époque de la domination destourienne sur la Tunisie,
depuis son indépendance, que la jeunesse tunisienne veut
congédier définitivement et pour toujours.
Encore une fois, les tentatives de sauvetage du régime,
faites par le dictateur lui-même puis relayées comme des mesures
d’apaisement par son personnel après son départ, toutes sonnent
faux, terriblement faux. Comment le peuple ne s’en méfierait
pas?! Il est très curieux que certains membres de l’opposition
embarquent dans le jeu des pompiers éteigneurs de feu que sont
devenus les partisans de l’ancien dictateur.
Cela étonne mais ne surprend pas outre mesure.
L’Opposition est-elle entrain de combattre le régime
seulement pour la gestion immédiate des affaires courantes ou
bien parce qu’elle a une vision fondamentale totalement
différente de la sienne. Comment accorder du crédit à ceux qui
ont cautionné, soutenu et conforté le népotisme, le pillage,
l’injustice et l’étouffement des libertés civiles toutes ces
années. Ils sont au moins coupables par association avec le
dictateur. S’ils disent qu’ils ne savaient pas ou qu’ils ne
servaient que l’État, dites leurs qu’ils se sont servis et que
Oeudipe s’était crevé les yeux pour le méfait qu’il a commis
sans savoir. Au moins auraient-ils dû montrer un peu de courage
et de décence en démissionnant comme l’avait fait leur ancien
ambassadeur à l’UNESCO. Des hommes droits dites-vous, de ces
caciques du RCD et de la dictature?!. Il y a bien d’autres, des
milliers de tunisiens, qui auraient pu se prosterner devant le
dictateur, servir ses basses œuvres, pour se faire accorder des
postes d’ambassadeurs, de ministres, de secrétaire d’État, des
honneurs du pouvoir et de l’influence parmi ses la horde des
sangsues.
Mais la posture des trois partis de l’opposition étonne parce
que toute l’opposition tunisienne unie aux demandes du peuple en
marche, dispose de la capacité historique d’exiger tout le
gouvernement, sa direction et l’hégémonie écrasante en son sein.
Au lieu de cela cette fraction de l’opposition tombe dans un
reflexe pavlovien de se mettre à bouger la mâchoire alors
qu’elle n’a rien de substantiel dans la bouche. Que faites-vous
là chers amis ? Pourquoi cette légèreté ? Vous faites erreur car
le peuple en marche ne sera rassuré que lorsque le changement
qu’il préconise sera confié à des hommes et des femmes auxquels
il sera porté à accorder sa confiance. Désormais en Tunisie,
c’est le peuple qui impose les solutions et il déléguera les
responsabilités contre les usurpateurs qui ont dévasté le pays.
À moins que l’opposition à l’instar de de Marzouki, de Hammami,
de Ghannouchi et syndicale, se mette à anticiper les besoins de
la révolution, à les traduire en décisions politiques concrètes.
C’est un devoir historique, la chance de cette opposition large,
de sortir le meilleur d’elle-même au service d’une révolution
historique comme il ne se produit que peu, de temps en temps,
dans toute l’histoire de notre humanité.
Quel bonheur d’être tunisien, aujourd’hui plus qu’hier.
Mais par ailleurs la posture participative de trois partis de
l’opposition n’étonne pas outre mesure. Il faut la mettre sur le
compte de l’essai et erreur, trial and error, face à l’inédit.
Car un peu comme l’ensemble du monde politique, la révolution
tunisienne est une surprise de très grande taille à laquelle ils
ne s’attendaient pas. Déjà, certains membres de notre Opposition
se sont montrés ouverts et impressionnés par les propos
hypocrites du dictateur à son deuxième discours. Ils n’ont pas
encore saisi toute l’étendue du renversement de situation qui a
lieu sous leurs yeux. Le peuple tunisien ne fait pourtant aucun
mystère a propos du but qu’il poursuit. Il a décidé de changer
de siècle et enterrer l’époque des dictatures et des présidents
démiurges et dictateurs pour embrasser la liberté et la dignité
ici et maintenant, sans possibilité de retour en arrière.
Ce peuple et sa jeunesse n’ont absolument pas tort puisque la
bureaucratie de l’État a été infestée, voire conditionnée par
les reflexes destouriens et la mentalité RCD. Cet élément
constituera une entrave à tout nouveau régime qui voudrait
procéder à la réforme et imposer une nouvelle perspective de
développement économique et social à l’administration de l’État
tunisien nouveau. Une bureaucratie basée sur le mérite, sur
l’intégrité et l’efficience devient une condition de toute
sortie de crise et d’un changement de cap radical par rapport au
passé. La vie devra être dynamisée, nous devons engager notre
jeunesse et sa matière grise abondante vers les défis de notre
époque, vers l’odace, l’innovation, la recherche et le transfert
du savoir pour commencer le dur travail de conquête des marchés
de création massive d’emplois et de sortie de la précarité du
tourisme et de la dépendance par rapport à l’aide
internationale. Nous devons construire un système national
d’innovation, mettre l’argent là où il servirait le mieux notre
présent et le futur de notre jeunesse. Il y a tant de secteurs
où tout reste encore possible, énergie, transport,
biotechnologie, agriculture, médecine, construction mécanique,
navale, automobile, ferrovière, etc…la liste serait trop longue.
Le paradigme écologique bouleverse le monde, nous devons en
profiter pour sortir du marasme social et humain dans lequel la
médiocrité de la dictature a confiné notre société trop
longtemps.
Il faut être conscient cependant que tout notre développement
se fera en concurrence dure et impitoyable avec l’étranger qui
s’est habitué à nous comme un petit débouché de consommateurs. À
notre peuple de relever les défis et de montrer ses capacités
d’innovateur, de bâtisseur et de conquérant. Il nous faut une
bureaucratie de l’État imprégnée de la volonté d’indépendance au
moins dans les secteurs dont dépend le futur de nos enfants.
L’État tunisien doit recruter son personnel en fonction de
ses objectifs et des résultats à réaliser. Les cellules du RCD
seront un obstacle certain sur cette voie et leurs membres des
boulets d’inertie. La Tunisie a besoin des meilleurs des
meilleurs parmi ses ressources humaines à qui des tâches
spécifiques et des objectifs précis devront être assignés. Le
pays n’a pas droit à l’erreur et les ressources à sa disposition
devront être investies avec une efficience et rigueur extrêmes.
Il est donc naturel et d’une nécessité d’hygiène publique de
démanteler le RCD, parti de Ben Ali et de déclarer tous ses
avoirs et ses biens propriété publique de l’État tunisien. Il
faut interdire le RCD parce qu’il constitue, depuis 50 ans, un
État dans l’État qui menacera le futur du pays tant que ses
membres auront le droit légal de s’organiser. Ben Ali n’était
pas dérangé de voir le peuple vivre du tourisme, de l’artisanat
et de l’exportation de nos produits agricoles devenus
inaccessibles sur les lieux. La Tunisie de demain est en rupture
totale avec cet esprit sans rêve ni ambition, ni culture du
reste.
La révolution tunisienne n’est pas terminée tant que le
peuple n’a pas défilé en liesse et dansé dans les rues de tout
le pays, dans les villes et les villages, hommes et femmes,
soldats, travailleurs, étudiants, jeunes et moins jeunes, côte à
côte, libres de la présence du RCD et des agents de la peur
qu’il a toujours mis à la disposition des despotes, de Bourguiba
à Ben Ali.
La révolution est en marche et le peuple reste dans la rue à
l’affût des nouvelles sur l’action révolutionnaire, les gestes à
poser, ici et maintenant. Parmi ce qui a été fait, l’arrestation
des anciens responsables de la répression sous Ben Ali, ministre
de l’intérieur et ministre de la sécurité, tous les deux sur le
point de fuir le pays. De même la création de conseils de
quartiers, d’entreprises et de villes vont servir de couroies de
transmission entre la base et un nouveau parlement
révolutionnaire provisoire qui devrait normalement voir le jour
en lieu et place de celui qui était au service de la dictature.
Pour que le peuple sera apaisé il lui faudrait s’assurer que
son rôle restera au centre des transformations. Il doit lui-même
jeter les bases et le fondement de la nouvelle démocratie sous
laquelle il pourra se mettre à l’abris de tout retour de la
dictature. Parmi les actes révolutionnaires chargés de sens et
lourds de détermination de la part de la population,
l’occupation des locaux d’une maison de coordination du RCD et
sa déclaration espace de liberté. Il ne serait pas étonnant
d’apprendre demain que dans tous les coins du pays ces locaux
synonymes de repères de brigands, les maisons de coordination du
RCD, seront occupés par le peuple et déclarés centre de
coordination des activités populaires. L’union générale
tunisienne du travail, l’UGTT, vise dans le mil en demandant le
démantèlement des cellules du RCD au sein des entreprises.
Le peuple s’est soulevé contre la dictature dans sa totalité
et tout régime nouveau qui la remplacerait mais laisserait,
entre lui et la population, un contentieux et un recours à la
répression, ce nouveau régime se mettra lui-même au centre de la
contestation, et sur la voie du rejet.
Pour finir les voix s’élèvent à l’étranger de la part de
puissances étrangères réclamant le retour au calme et à la vie
normale qui a tant profité à leurs intérêts par le passé. Leur
hypocrisie est sans limite. Ces puissances étrangères sont
inquiètes surtout pour leur crédibilité auprès de leurs alliés
et protégés placés, ici et là, à la tête des États arabes. Ces
puissances et leurs protégés veulent sauver les meubles et ils
feront d’énormes pressions sur l’opposition et ses chefs pour
que le mouvement révolutionnaire tunisien cesse ou se maintienne
dans des limites non effrayantes pour leurs alliés et leurs
intérêts. Mais les cartes, désormais, ne sont plus entre les
mains de quelques dirigeants. Le peuple tunisien est en
révolution, son action est invincible, les tyrans et les lakais
des puissances étrangères n’ont pas tort de s’inquiéter, la
liberté des peuples est irrésistible.
Abdallah Rihani est politologue, installé à
Montréal, Canada
Le dossier
Tunisie
Dernières mises à
jour
|