Motivé par des « raisons de sécurité » et présenté comme « provisoire », cet exil forcé dure depuis cinquante-cinq ans. Toutes les tentatives, « légales » et « illégales », de Nuri et des siens pour se réimplanter sur la terre d’Elarakib se sont heurtées à une répression brutale. « Cinq décennies de dépossession, d’exploitation et de pauvreté, et nous en sommes encore à demander justice. Et ça continue. Chaque fois que, depuis 1973, je reviens ici, la police vient m’arrêter. Mais il y a pire que le harcèlement dont je suis victime. Venez voir ! »
Un peu plus loin, Nuri Elkobi pointe du doigt un petit chemin de terre barré d’un monticule de gravats : « Ce chemin mène à notre cimetière, la police vient de nous en interdire l’accès. » Quelques kilomètres de plus et, après avoir roulé à travers la « forêt » naissante, apparaît le petit village de Twail Abou Jarwal. Ou plutôt ce qu’il en reste.
Ce qui s’offre au regard est un spectacle de désolation : un enchevêtrement de tôles, de bois, de tissus, de bassines et de meubles, disséminés ici et là sur les flancs de la colline. La veille, aux premières heures du jour, une centaine de policiers ont investi le village, brutalement réveillé et chassé hommes, femmes et enfants de leur foyer. Les bulldozers ont alors pu méticuleusement détruire les dix-neuf habitations « illégales » du village « non reconnu ». Même du pigeonnier et des abris pour les chameaux, il ne reste rien. Dans l’urgence, une tente a été remontée, sous laquelle femmes et enfants sont rassemblés pendant que les hommes s’affairent à reconstruire les lieux d’habitation. Les gamins jouent tranquillement, les bébés dorment, les femmes sont occupées à coudre de grands sacs en plastiques qui serviront pour les abris de fortune en cas de pluie. Les autorités n’en étaient pas à leur premier coup d’essai : depuis un an, quelques unes de ces maisons ont déjà été détruites plusieurs fois (et reconstruites par les propriétaires). Le harcèlement s’est poursuivi : obstruction fréquente des chemins d’accès par des rochers ou des barrières et destruction des cultures - d’abord par aspersion chimique, puis, lorsque la justice, tout de même, eut fini par interdire cette pratique, en labourant quelques semaines avant les dates de moisson…
« La première priorité est de reconstruire, il y a urgence. Les enfants doivent pouvoir retrouver un rythme de vie et de sommeil leur permettant de retourner à l’école rapidement. Quand nous aurons absorbé le choc et retrouvé nos esprits, nous nous organiserons et déposerons une plainte devant le tribunal de Beersheva, avec l’aide du Forum pour la coexistence et l’égalité des droits civils dans la région du Néguev et l’Association d’aide et de défense des droits des Bédouins en Israël. Notre réponse sera résolument non violente et nous utiliserons tous les recours légaux possibles pour faire valoir nos droits. » Ainsi s’exprimait, vingt-quatre heures après la destruction totale du village, le représentant de la communauté.
A Jérusalem, le ton est légèrement différent. M. Roni Bar-On, le ministre de l’intérieur, s’est réjoui de ces destructions et, au cours d’une session à la Knesset, a déclaré qu’« un criminel doit être puni, et donc que les maisons bédouines du Néguev, si elles sont illégales, doivent être détruites [1] ». Et d’ajouter que son « ministère avait prévu la destruction de 42 000 maisons bédouines, y compris celles construites avant 1948 », date de la création de l’Etat d’Israël. Ces Bédouins - faut-il le préciser ? - sont des citoyens israéliens…