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Affaires Stratégiques
Le commando de Bombay et la piste
pakistanaise
François-Bernard Huyghe
François-Bernard Huyghe - Photo IRIS
1er décembre 2008
Comment des terroristes censés appartenir à un groupe inconnu
peuvent-ils mener une opération qui dure plus de 48 heures,
frapper une dizaine d’objectifs simultanément dans une ville
comme Bombay/Mumbai, tuer près de 200 personnes et mettre en
échec l’armée et la police indiennes ? Tout cela sans s’être
fait repérer, en débarquant par la mer en secret, en ayant caché
tout le matériel nécessaire, et après avoir parfaitement repéré
les lieux, en sachant utiliser des armes lourdes, en se
coordonnant et s’informant minute par minute ? On pourrait
continuer longtemps la liste des « performances » de ce groupe
dont on dit maintenant qu’il était composé de dix personnes, des
exploits de ce commando qui sembleraient exagérés dans un film
de Bruce Willis. Outre que les responsables du « 11 septembre
indien » pourraient avoir été plus nombreux et avoir un peu plus
de complicités, il est difficile de douter de la qualité de leur
préparation et de leur entraînement. Pour
expliquer cette surprenante réussite, les autorités indiennes
ont déjà pointé vers l’ennemi traditionnel, le Pakistan. Le
ministre des Affaires étrangères indien, Pranab Mukherjee, le
dit explicitement. Mais de quoi exactement serait responsable le
Pakistan dans cette affaire ? D’avoir laissé prospérer Lashkar-e-Taïba,
groupe basé au Cachemire côté pakistanais, que Russes et
Américains s’accordent à pointer comme véritable coupable (sous
le masque d’un groupe islamiste supposé du Deccan) ?
L’affiliation de ces islamistes basés au Pakistan à Al-Qaïda ne
fait de doute pour personne, et il est maintenant question des
« camps d’entraînement d’Al-Qaïda » à la frontière
indo-pakistanaise. Le Pakistan serait-il responsable d’avoir
aidé ce groupe au Cachemire ? D’avoir directement commandité
l’action de Bombay ? Et qui au fait exactement au Pakistan ?
L’ISI dans son ensemble, le service secret pakistanais connu
pour ses sympathies islamistes ? Ses éléments « durs » que
l’actuel pouvoir pakistanais semblait avoir commencé à chasser ?
Faudrait-il, au contraire, chercher les responsables plus haut à
Islamabad ? On imagine qu’il n’est pas facile de répondre à ces
questions, surtout dans l’état de décomposition actuel du pays.
De ce point de vue, le débat médiatique pour savoir si les
terroristes de Bombay ont suivi le modus
operandi d’Al-Qaïda est un peu surréaliste. D’abord parce
que la méthode d’Al-Qaïda, ou des groupes qui s’en réclament,
est dans l’innovation perpétuelle : voiture piégée, attaque par
mer, détournement d’avion, bombes dans les transports publics...
Ils ont à peu près tout essayé. Alors pourquoi pas une attaque
simultanée avec armes automatiques et prise d’otages ? Ensuite,
parce que le Lashkar-e-Taïba, alias "l’armée des pieux", fondée
il y a une quinzaine d’année, déjà soupçonnée d’avoir mené
l’attaque des islamistes contre le Parlement indien en 2001,
semble capable de réaliser des opérations de ce type, tout en
entretenant des liens très lâches avec la structure centrale
d’Al-Qaïda. Personne ne pense vraiment que les terroristes
communiquaient avec Ben Laden sur leurs Blackberrys et que
l’opération a été planifiée par des Arabes salafistes quelque
part dans les zones tribales, comme le onze septembre avait été
planifié par la « direction ».
Quelles leçons (très provisoires) retenir en l’état (très
imparfait) de notre information ?
La
relativité de la perception médiatique : les événements de
Bombay devraient nous rappeler que le problème terroriste n’est
pas un monopole du Moyen-Orient et que le Sous-continent indien
en souffre peut-être davantage. Cela ne date pas d’hier : qui se
souvient des attentats de Bombay du 11 juillet 2006 (sept
explosions simultanées, 180 morts, déjà des accusations contre
le Pakistan) ?
À titre de comparaison, on notera que le même jour que les
attaques de Bombay, le 26 novembre dernier, le même nombre de
gens (200 environ) étaient massacrés dans un autre conflit
religieux et sans que les médias européens en fassent leur gros
titre, victimes des affrontements entre musulmans et chrétiens
au Nigeria (nombre qui s’est encore accru depuis) n’intéressent
visiblement personne.
La
technique de prises d’otage multiples et de dispersion des
attaques sur une même ville, employée par les supposés Lashkar-e-Taïba,
est redoutable. Cela fait réfléchir beaucoup de monde, à
commencer par les services français qui se préparent déjà à un
scénario de ce type.
Le
débat sur le « déclin d’Al-Qaïda » est peut-être passablement
dépassé : la capacité offensive de divers groupes islamistes à
travers le monde reste intacte, quelle que soit leur allégeance
purement formelle à « l’émir ». Et c’est cela qui compte.
À
supposer même que l’Inde et le Pakistan ne se soient pas à
nouveau déclarés la guerre entre temps, Barack Obama est
confronté à un énorme problème le 21 janvier 2009 au matin : le
pouvoir ou l’absence de pouvoir à Islamabad. Si le nouveau
président américain a très justement pointé l’importance du
problème afghan et a non moins judicieusement suggéré que sa
solution, comme pour l’Irak, se trouve au Pakistan, un bon
diagnostic ne fait pas une ordonnance. Si quelqu’un sait en
effet comment gérer le problème d’un pays qui a la bombe
atomique et pas d’État véritable, il est demandé d’urgence à la
Maison Blanche.
François-Bernard Huyghe
anime le site www.huyghe.fr. Dernier ouvrage : Les maîtres du
faire croire, Vuibert 2008
Tous les droits des auteurs des Œuvres
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Publié le 1er décembre avec l'aimable autorisation de
l'IRIS.
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