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Parti Communiste Libanais
Le Liban pris en otage
Entre
le 13 avril 1975 et le 13 avril 2008
Marie Nassif-Debs
Beyrouth, le 11 avril
2008
Le dimanche 13 avril 1975, la guerre civile, qui
couvait sous la cendre depuis un an, ou presque, éclatait à Aïn
Ar-Roummanah, une des régions à l'Est de la capitale libanaise
Beyrouth. Le prétexte : le passage d'un bus transportant des
Palestiniens et des Libanais loin des routes « permises » pour
leur déplacement entre le camp de Tal Zaatar, au Nord, et les
deux camps de Sabra et Chatila, au Sud. Cette guerre meurtrière,
qui dura quinze ans, ne laissa sur son passage que mort et
destruction[1] ;
surtout qu'elle fut secondée par trois grandes agressions
israélienne, dont l'une, celle de l'été 1982, s'étendit jusqu'à
Beyrouth et permit, pour un court laps de temps, l'arrivée au
pouvoir d'un chef de guerre inféodé aux Etats-Unis et ami
inconditionnel d'Israël, Béchir Gemayel, frère cadet d'un autre
président, Amine Gemayel, non moins inféodé à Washington.
Quel était l'objectif principal de cette guerre
civile et quels liens tisse-t-elle avec ce qui se passe
actuellement au Liban ?
Les projets de Rogers et de Kissinger
La réponse à la première partie de la question
réside dans les plans étasuniens pour la région arabe tout
entière, qui était, à ce moment-là, divisée entre l’influence de
Washington et celle de Moscou. Elle réside aussi dans les
développements qui précédèrent et suvirent de près la « Guerre
des six jours », en 1967[2],
dont les deux plus importants étaient : la mainmise de
Washington sur le pétrole du Golfe[3],
à l’exception de celui de l’Irak, et le regroupement des forces
de l’OLP[4]
au Liban, suite à une guerre sanglante, commanditée par les
Etats-Unis et menée, en septembre 1970, par le régime hachémite
de Jordanie.
Les plans « Rogers » et « Kissinger », du nom de
ceux qui les avaient élaborés, visaient à redessiner les
conflits inter arabes, afin de pouvoir redessiner les frontières
des pays arabes orientaux (Le Liban, la Syrie et la Jordanie)
dans le sens des intérêts d’Israël et d’asseoir l’emprise des
grandes sociétés pétrolières étasuniennes sur l’ensemble des
gisements arabes de l’or noir.
Le « Plan Kissinger », surtout, était très
explicite sur les priorités de Washington dont, en premier lieu,
le morcellement de l’Orient et du Golfe arabes en une mosaïque
de mini-Etats branlants et antagonistes ayant besoin pour
survivre de l’appui de l’Administration étasunienne qui, avec
l’aide d’Israël et aussi du Chah d’Iran, pourrait dominer toute
la région de la production du pétrole et les routes de son
acheminement vers l’Occident, à travers le pipeline de Haïfa (en
plus de celui de Tripoli). Ce plan avait, d’ailleurs, réalisé
une percée notoire quelques années après la mort du leader
égyptien Gamal Abdel-Nasser, puisque le nouveau président de ce
pays avait, d’abord, à la suite de la guerre du Kippour en 1973,
mis fin à l’alliance avec Moscou pour se rendre, ensuite, à Tel
Aviv, afin d’y rencontrer son homologue israélien et d’aller
signer à Camp David une paix séparée avec Israël, mettant ainsi
hors jeu la plus grande puissance militaire et économique
arabe.
L’OLP et la gauche libanaise
Un seul accroc était toujours en travers du
projet de Washington : le Liban du refus et ses deux
composantes, l’OLP et la gauche libanaise.
La première s’était installée, depuis 1970, sur
toute la frontière Sud jouxtant à Israël. La seconde était
devenue assez importante dans le pays, notamment au Sud où elle
avait gagné des villages entiers à partir desquels elle avait
créé successivement la « Garde patriotique » et les « Forces des
Ansar »[5],
afin de défendre le territoire libanais contre les incursions
militaires israéliennes.
Comment éliminer ces deux obstacles sinon par la
guerre civile? Surtout que certains des leaders de l’OLP avaient
commis une grande erreur en s’immisçant dans les affaires
intérieures libanaises, créant ainsi des animosités certaines
dans les rangs de la minorité « chrétienne » qui commença, dans
un pays basé sur le confessionnalisme politique, à voir dans
l’OLP une armée « musulmane » pouvant basculer l’équilibre
installé par le Mandat français, en 1943, et menacer, par suite,
les privilèges dont jouissaient les Chrétiens libanais au sein
du pouvoir.
Le « Moyen Orient nouveau »
Si nous rappelons, aujourd’hui, ces faits, c’est
parce que la région se trouve à nouveau soumise à une situation
proche de celle qui avait prévalu durant les années
Soixante-dix.
Les Etats-Unis, à la suite de l’implosion de
l’Union Soviétique, viennent de relancer le « Projet
Kissinger », mais transformé et rajeuni, sous le nom du « Projet
du Moyen Orient nouveau ». Ils croyaient que l’occupation de
l’Irak leur ouvrirait toutes les voies vers sa réalisation,
puisqu’il ne resterait que la Syrie en dehors, momentanément, de
leur zone d’influence.
Cependant, ils avaient compté une nouvelle fois,
sans les deux Résistances toujours présentes dans la région, la
libanaise, dirigée maintenant par le Hezbollah, et la
palestinienne, avec à sa tête le mouvement Hamas et le Jihad
islamique ; toutes deux amies de la Syrie et de l’Iran et
possédant une large audience parmi les masses arabes, y compris
chez le peuple de gauche toujours à l’écoute du changement.
Ces deux Résistances, en plus du mouvement de la
gauche et du progrès au Liban, se sont bien manifestées en 2006,
résistant à l’agression la plus virulente jamais menée dans la
région et supervisée directement par Washington.
Voilà, donc, pourquoi nous assistons
aujourd’hui, de la part des Etats-Unis et d’Israël, à une
concentration de toutes les cartes possibles, afin de pouvoir
mettre fin à ceux qui disent « non » à leur projet.
Pour ce faire, ils tentent, par
l’internationalisation à outrance du conflit intérieur libanais
et, aussi, par l’introduction du conflit sunnite-chiite essayé
en Irak sur l’arène libanaise, de fermer toutes les issues qui
pourraient sortir le Liban de la crise dans laquelle il se débat
depuis 2005.
Il est vrai que la Syrie possède aussi une
épingle, et non des moindres, dans le jeu libanais, à travers
des forces « amies ». Cependant, son rôle est moins décisif
actuellement face au projet étasunien et aux moyens mis à son
service, à commencer par une forte concentration de
représentants du FBI et de la CIA au Liban et jusqu’à la
présence de navires de guerre face aux côtes libanaises (le
dernier en date étant le destroyer USS Cole). Sans oublier, non
plus, ni les déclarations presque quotidiennes de G. W. Bush et
de toute son équipe sur « l’appui inconditionnel » au
gouvernement de leur « ami » Fouad Sanioura, ni, surtout, les
dernières manœuvres israéliennes[6]près
des frontières libanaises, présidée par un officier supérieur
étasunien et agrémentée par des menaces proférées par les
différentes personnalités du gouvernement israélien d’Ehud
Olmert contre le Liban, en général, et le Hezbollah, en
particulier.
Un avenir en noir ?
A partir de ce panorama, comment les Libanais
conçoivent-ils l’avenir ?
La couleur dominante est le noir. Puisque les
milices ont fait leur réapparition un peu partout, sous des
formes et des couleurs différentes, explicitant ainsi les
déclarations guerrières proférées par les différents leaders
politiques, tant dans la majorité (pro étasunienne et
saoudienne) que dans l’opposition (pro syrienne), mais aussi vu
que le Liban va, depuis plus de six mois déjà, à la dérive : il
n’a plus de président de la République ; son parlement est
« fermé » et son gouvernement tronqué est devenu illégal selon
la Constitution.
Chaque jour, il y a des rixes et des accrochages
dans différentes régions du pays, spécialement dans les
quartiers de la capitale Beyrouth. Et, si nous ajoutons à cela
les menaces de Washington et de Tel Aviv, mais aussi le poids
d’une crise économique de plus en plus aiguë, nous obtenons un
pays qui étouffe et qui se vide. Un exemple significatif : les
autorités disent avoir délivré pour le seul mois de mars 40 000
passeports.
En plus de tout cela, les Arabes (le secrétaire
général de la « Ligue arabe », en premier) et les Libanais
évoquent, tantôt, un « été chaud » dont la chaleur viendra du
Sud, d’Israël, tantôt, des événements sanglants. Et, en
attendant, toutes les solutions restent bloquées… peut-être
jusqu’aux élections présidentielles étasuniennes. Donc, tout
peut arriver pendant cette attente longue et cruciale…
Le 13 avril 1975, la guerre civile fut le moyen
choisi par Washington pour arriver à un but qui s’est avéré
impossible.
Le mois d’avril 2008 sera-t-il, à nouveau, un
mois fatidique ou bien apportera-t-il le début d’un consensus,
en attendant… l’an prochain ?
Ce que nous savons sur la politique de G. W.
Bush et de son Administration ne laisse pas présager une détente
prochaine. Bien au contraire, nous pensons, et les troupes de la
FINUL renforcée le pensent avec nous, que les dernières
manœuvres étaient une préparation, non une action préventive.
La grande inconnue reste la position de l’Union
européenne et, avec elle, la Chine et la Russie. Vont-elles se
soumettre, une fois de plus, au diktat de Washington et laisser
passer la nouvelle agression contre nous ou bien tenteront-elles
de mettre au point une autre politique ?
©
Lebanese Communist Party - 2006
Publié le 19 avril 2008
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