Liban
Les élections
législatives libanaises
La loi de 1960 et les résultats prévus
Marie Nassif-Debs
Mardi 9 juin 2009
Le lundi 8 juin, à midi,
le ministre libanais de l’intérieur a publié les résultats
officiels des élections législatives, annonçant la victoire de
la majorité sortante, alliée des Etats-Unis et connue sous le
nom de « Forces du 14 mars », sur l’opposition, alliée de la
Syrie et de l’Iran et connue sous le nom de « Forces du 8 mars ».
La différence étant de 14 sièges : 71 à 57.
Cette annonce a mis fin à
une période d’escalade confessionnelle qui durait depuis plus de
dix mois et dont la conséquence fut l’exacerbation des divisions
qui suivirent l’agression israélienne de juillet 2006 et se
répercutèrent dans des affrontements populaires et armés
généralisés ; le point culminant fut, sans aucun doute, la
bataille du 7 mai 2008 qui donna lieu à l’Accord de Doha et, par
suite, à la loi selon laquelle se déroulèrent les élections du 7
juin 2009.
L’Accord
de Doha et la loi de 1960
Cet accord, signé le 16
mai 2008, est formé de trois points essentiels :
1-L’élection d’un
président de consensus, mettant fin ainsi à plus de huit mois de
vide constitutionnel.
2-La formation d’un
gouvernement dit « d’unité nationale » dans lequel le groupe du
8 mars serait représenté par le tiers, ce qui constituerait une
garantie pour ce groupe et lui donnerait le droit de veto au cas
où la majorité tenterait de faire passer des projets sur
lesquels il ne serait pas d’accord.
3-Le retour à la loi de
1960, basée sur le vote majoritaire et divisant le pays en 28
petites circonscriptions ayant, chacune, une couleur
confessionnelle dominante. Un seul changement : un nouveau
découpage des circonscriptions de la capitale, afin de permettre
au mouvement de Saad Hariri de faire main basse sur tous les
sièges sunnites.
Et, si les leaders
présents à Doha avaient, dans leur majorité écrasante, dénigré,
dès leur retour au pays, la loi de 1960, cependant ils ne firent
rien pour s’en séparer ; bien au contraire : tous entérinèrent
sans rechigner les clauses de l’accord, y compris celle se
rapportant à la formation d’une liste commune entre le
« Mouvement du futur » (14 mars), le Hezbollah et le « Mouvement
AMAL » (8 mars) dans la seconde circonscription de Beyrouth.
Ajoutons que, vu les couleurs confessionnelles des
circonscriptions, il était aisé de savoir, bien avant les
élections, les résultats de quelques 100 sièges sur les 128 qui
forment le parlement ; ce qui signifie que le peuple libanais
n’a pas voté et que la majorité écrasante des députés étaient
nommés et non élus.
Cette situation fait qu’il
était quasi impossible de bien veiller sur la démocratie des
élections, puisque la loi elle-même fausse les suffrages. A cela
il faudra ajouter l’argent, l’abus de pouvoir et, cette fois,
les quelques cent mille émigrés libanais (dont certains ne
savent pas un mot d’arabe) appelés à la rescousse (à l’aide de
billets payés à l’avance) dans les circonscriptions où les
forces étaient égales.
Tous
les moyens sont bons
En plus de toutes les
formes d’ingérences, nous devrions noter les appuis
internationaux aux deux camps, à celui du « 14 mars » notamment.
Citons à titre
d’exemples :
1-Les Etats-Unis ne se
sont pas contentés de l’activité de leur ambassadrice et de son
prédécesseur, Jeffry Feltman, devenu, depuis, le responsable du
Moyen Orient ; ils ont, au contraire, supervisé la participation
de l’émigration libanaise aux élections ; et, surtout, ils ont
triplé la mise, à commencer par la visite de la ministre des
Affaires étrangères Hillary Clinton suivie par celle du vice
président Bayden, qui a réuni toute l’équipe du « 14 mars », et,
enfin, celle de du président lui-même qui a tenu à parler de la
minorité maronite du Liban dans le discours prononcé à
l’université du Caire.
2-Israël a utilisé toutes
les armes politiques et militaires qu’il détient. Ainsi, durant
plus d’un mois, ses éditorialistes et autres personnalités
médiatiques ont « alerté » l’opinion libanaise sur les dangers
que pourrait revêtir la victoire du Hezbollah. Il est allé même
jusqu’au recours à des manœuvres dont le but réel était de dire
que Tel Aviv se sentait prêt à intervenir directement dans la
bataille.
3-Presque tous les
gouvernements européens avaient exprimé leur anxiété quant à
l’évolution de la situation au Liban, à tel point qu’ils avaient
oublié les élections européennes qui avaient lieu le 7 juin… De
même, tous ont exprimé leur soulagement à la suite de la
« victoire » des amis des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite
4-L’envoi par les
gouvernements du Golfe, arabes et autres, de délégations dont le
rôle consistait à convaincre, par différents moyens, tel ou tel
responsable (ou parti) politique de changer de cap (comme cela
s’est passé avec la Jamaa islamiya à Saїda.
5-Les visites
ininterrompues de certains responsables du « Groupe du 8 mars »
à Damas, dans le but de discuter des listes.
6-L’appel du patriarche
maronite à voter pour des forces politiques spécifiques.
7-La non application des
clauses de la loi sur l’information et la publicité électorales.
Ce qui fait que les têtes de listes, propriétaires des chaînes
télévisées, ont déployé toutes leurs armes confessionnelles
devant les Libanais, tandis que les candidats indépendants
étaient presque inexistants.
8-Les différences, par
milliers de voix, existant entre les listes de votants envoyées,
quelques mois plus tôt, aux municipalités et celles remises aux
bureaux de vote le jour des élections.
9-Le rôle que certains ont
voulu faire endosser au président de la République dans les
listes pro « 14 mars » à Jbeil et dans le Kesrouan ; et, ce, en
prévision de la formation de ce qu’on a commencé à appeler « le
groupe du centre ».
Le
Parti Communiste libanais
Il est vrai que le Parti
Communiste libanais fut le premier à refuser la loi de 1960 ;
d’abord, à partir de sa position de principe en ce qui concerne
la nécessité de créer au Liban une société civile non
confessionnelle ; ensuite, parce qu’il croit que le point de
départ de tout changement démocratique réel se trouve dans une
loi électorale basée sur la proportionnelle qui constitue la
base de la meilleure représentativité.
Il est vrai aussi que le
PCL a affirmé à plusieurs reprises qu’il mènerait une bataille
politique contre la loi de 1960, à partir de cinq principes qui
sont : la proportionnelle, la suppression du confessionnalisme,
le Liban une seule circonscription, le quota féminin temporaire
et le vote à 18 ans.
Il est vrai, enfin, que le
PCL a précisé qu’il pourrait faire des recoupements avec
certaines forces politiques sur la base d’un programme minimum
politique (la loi électorale) et socio économique (la
suppression des taxes nouvelles et des mesures antisociales
votées lors de la troisième conférence de Paris).
Cependant, et vu que ses
appels n’ont pas trouvé de réponses concrètes, ses candidats
sont restés seuls dans les cinq circonscriptions où ils se sont
présentés. Et, là, nous devrions dire que le PCL a commis une
erreur tactique ; il aurait dû se retirer de la bataille
électorale tout en poursuivant la bataille politique contre la
loi. Parce qu’en plus de la défaite, le parti n’a pas pu
regrouper tout son électorat dont une partie a préféré « le vote
utile ».
Les
résultats et les prévisions
Certains pensent que les
résultats des élections législatives furent bien contrôlés par
les Grands électeurs internationaux et régionaux qui ne sont pas
pressés de rompre le statu quo né de l’Accord de Doha.
Cependant, ces élections, ainsi que la campagne électorale qui
les a précédées, ont exacerbé encore plus la division verticale
de la société libanaise. Le discours confessionnel et les
ingérences extérieures ont accentué les problèmes déjà
existants, de telle manière qu’il n’est pas faux de dire que le
pays peut reprendre la route de la violence, à un moment où des
dizaines de cellules d’espionnage pro israéliennes continuent à
être démantelées. Ajouter à cela les répercussions de la crise
capitaliste mondiale sur un pays très endetté et dont les
secteurs économiques productifs battent de l’aile, sans que
l’alliance de classe au pouvoir ait tenté de trouver des
solutions valables, se contentant de suivre les directives du
Fonds monétaire international en ce qui concerne la suppression
du secteur public et des services de base. D’ailleurs, les deux
groupes de la bourgeoisie, celui du « 8 mars » comme celui du
« 14 mars », ont proclamé à plusieurs reprises leur attachement
aux privatisations à outrance et aux clauses des trois
conférences de Paris : Le président de la Chambre, Nabih Berri,
l’a bien spécifié lors d’une interview trois jours seulement
avant les élections. Il a aussi proclamé qu’il était candidat au
poste qu’il venait de quitter.
Certains ont vu dans ses
déclarations socio économiques et politiques des signes
précurseurs d’un accord possible qui le grouperait, en plus de
Saad Hariri et Walid Joumblatt, dans une nouvelle formation
politique, le Centre droit, dont l’image de marque serait « la
modération » à l’exemple de celle préconisée puis réalisée par
l’ex ministre des Affaires étrangères étasuniennes Condoleeza
Rice entre l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis
et la Jordanie.
Voilà pourquoi la
bourgeoisie libanaise (surtout celle des finances et des
affaires) et une partie des représentants du féodalisme
politique pensent qu’une telle formation redonnerait du tonus au
régime libanais branlant et près de s’effondrer. Voilà pourquoi,
profitant du retour, précaire, à la normale dans les relations
entre Riad et Damas, mais aussi le flirt entre Washington et
Damas, et craignant de ne pas pouvoir sauver leur régime à
temps, ils croient que cette solution, en plus d’un peu de lest
« démocratique » jeté aux jeunes (le vote à 18 ans), leur
épargnerait les changements brusques qu’ils avaient cru avoir
enterré pour toujours quand ils avaient liquidé le mouvement
syndical, dans la première moitié des années
quatre-vingt-dix…Surtout que le mouvement de la gauche libanaise
et les démocrates, en général, n’ont pas pu encore émerger de la
crise existentielle qui les avait secoués à la fin de la guerre
civile : ils restent prisonniers des slogans réformistes assez
éloignés des appels au changement qu’ils avaient lancés dans les
années soixante-dix du siècle dernier.
Marie Nassif-Debs
Responsable
des relations internationales du PCL
Beyrouth, le 9 juin 2009
Ces appellations sont dues à deux manifestations faites à la
suite de l’assassinat de l’ex président du Conseil Rafic Hariri,
l’une en l’honneur de la politique syrienne, l’autre contre
elle.
© Lebanese Communist Party - 2006
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