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Parti Communiste libanais
La bourgeoisie au
gouvernement et dans l'opposition :
Le Liban passe... Nous demeurons
Marie Debs
25 mai 2008
Les réunions de
Doha, au Qatar, sur le Liban ont abouti au même résultat déjà
promulgué par les accords successifs allant de celui du Caire (à
la fin des années 1960) à celui de Taëf (en 1989) : Un consensus
passé entre les décideurs, à savoir les Etats-Unis et son projet
pour le « nouveau »Moyen Orient et ses Arabes « modérés », d’une
part, et l’Iran et la Syrie, d’autre part. Ce consensus fut,
ensuite, traduit en cinq points par les forces politiques
libanaises. Et la guerre cessa, en attendant… Ainsi, et comme chaque fois
que les grandes puissances et les puissances régionales ne sont
pas d’accord sur la répartition des rôles et des intérêts entre
eux, dans un Moyen Orient considéré comme la région centrale
dans la stratégie internationale, une guerre
interconfessionnelle éclate au Liban ; et la « révolte » des
belligérants ne se calme que si les grands joueurs leur donnent
le mot de passe qui annonce, en réalité, une trêve plus ou moins
longue en fonction des intérêts réalisés et des rôles échus à
partir d’un consensus international très branlant.
Une fois de plus, donc, les
Libanais, après avoir pâti du combat des « Horace » et des
« Curiace » locaux, divisés en « 14 mars » et « 8 mars », ont pu
admirer l’entrée du Qatar, à la place de l’Arabie saoudite ou de
l’Egypte et de la Syrie, dans l’arène des solutions difficiles,
et ce à la suite de recoupements entre les différentes forces
internationales et régionales sur l’Irak, ou ailleurs. Et ils
furent soulagés de voir les chefs libanais s’incliner devant le
principe dit « lâ ghaleb wa lâ maghloub » (ni vainqueur, ni
vaincu), bien qu’ils aient noté une régression visible dans la
place désormais tenue par certains belligérants locaux en faveur
d’autres, nouveaux, dont l’importance était devenue notoire
depuis l’an 2000 et dont le rôle au sein du pouvoir n’avait pas
évolué dans le sens qui convient avec cette notoriété.
Et c’est ainsi que les
réunions de Doha, précédées par celles de Beyrouth le 15 mai,
ont abouti à un accord sur la nouvelle répartition des forces
politiques libanaises, à partir de deux points : le premier
relevant des changements dans les relations entre les forces
influentes en Irak ; quant au second, il part de la situation
sur le terrain libanais où il fallait à tout prix arrêter (pour
le moment ?) la guerre civile qui a fait plus de 80 morts en
quelques jours seulement.
L’histoire se répète au
Liban, depuis les années 1860 : des quotas répartis entre les
confessions religieuses par les forces colonialistes, d’abord,
puis par les forces de tutelle qui se sont succédées depuis. Le
peuple libanais n’avait pas une véritable appartenance
patriotique, vu qu’il était divisé entre les confessions
religieuses, anciennes et nouvelles. Telle était la situation
pendant le pouvoir du « féodalisme politique », qui gouverna
jusqu’en 1975 au nom et à la place de la bourgeoisie naissante,
et telle est la situation nouvelle, depuis que la bourgeoisie a
pris en main les rennes du pouvoir, même si l’Accord de Taëf
(1989) a repris le pouvoir des mains de la bourgeoisie d’origine
« maronite » pour le remettre entre les mains de la bourgeoisie
« sunnite » et même si la bourgeoisie « chiite » revendique sa
part du pouvoir à travers le mot d’ordre « nous voulons le
partenariat » lancé par l’opposition, à la suite de la victoire
de la Résistance, dirigée par le Hezbollah, en 2006.
Il est vrai que la science
politique bourgeoise et la logique même du combat politique au
sein de la bourgeoisie parlent de la passation du pouvoir à
travers des critères et des principes, dont, en premier lieu,
les élections. Cependant, le régime politique libanais n’a rien
à voir avec ces critères ; c’est un régime bâtard, de tendance
bourgeoise mais basé sur des pratiques confessionnelles. Ce qui
veut dire qu’il n’y a pas de passation véritable du pouvoir
selon les normes bourgeoises de la démocratie.
Le pouvoir politique au
Liban, contrairement à toutes les formes de la démocratie
bourgeoise appliquée un peu partout dans le monde, est régi par
les équilibres qui se font, à un moment donné, entre les
différentes confessions qui ne forment et ne pourront former, en
aucun cas, une nation. Cette pratique, appelée communément la
« démocratie consensuelle », constitue une entente sur
l’imposition du confessionnalisme en politique ; par contre, les
parts du gâteau confessionnel peuvent changer en fonction du
rôle économique, d’abord, mais aussi de l’évolution
démographique et des développements régionaux et internationaux,
c’est-à-dire des forces extérieures qui peuvent aider à changer
le statu quo intérieur.
Pour toutes ces raisons, le
Liban connaît des explosions de violence cycliques qui peuvent
se prolonger ou non selon le changement voulu dans l’équilibre
des forces confessionnelles et, surtout, de la confession de la
partie de la bourgeoisie qui tente d’opérer le changement à son
profit.
Les
motifs et le changement dans les quotas
A partir de ce qui vient
d’être dit, analysons les motifs de ce qui s’est passé le 7 mai
2008, à la suite de la décision prise par le gouvernement
présidé par Fouad Sanioura concernant le réseau de
télécommunication utilisé par le Hezbollah.
Cette décision constitua le
détonateur dans une situation en crise depuis la fin de
l’agression israélienne contre le Liban, en juillet 2006. En
effet, elle prit la forme d’une tentative (vouée d’avance à
l’échec) visant à faire le lien entre de gros intérêts
internationaux (étasuniens et israéliens, notamment) et ceux,
intérieurs, du groupe du « 14 mars », parce qu’elle visait en
même temps, aux dires de beaucoup d’observateurs, à donner aux
Nations Unies le prétexte de déployer les forces renforcées de
la FINUL au Sud Liban le long des frontières avec la Syrie,
répondant ainsi à l’attente déclarée des Etats-Unis et de
plusieurs gouvernements européens, dont celui de Berlusconi, et
aussi à utiliser la politique de grignotage dans les zones
d’influence du Hezbollah, dans le but final d’appliquer la
clause concernant les armes de ce parti et contenue dans la
résolution 1559.
Au même moment, dans le
groupe du « 8 mars », deux tendances se sont recoupées : celle
de la priorité de défendre les armes de la Résistance et celle
demandant un rééquilibrage des forces au sein du gouvernement
sur la base du nouveau poids acquis par le Hezbollah à la suite
de sa seconde victoire consécutive sur l’armée israélienne.
Donc, les motifs anciens,
accumulés depuis l’agression israélienne de 1996 (appelée « les
raisins de la colère »), se sont mélangés aux nouveaux
développements, dont l’avenir des armes du Hezbollah, et
ont abouti à la déflagration qui prit, cette fois, un aspect de
conflit sunnite-chiite, allant dans le sens de ce qui se passe
en Irak, suite à l’occupation étasunienne, surtout que la
bourgeoisie d’origine « chrétienne », qui fit la guerre en 1975,
est aujourd’hui divisée en deux après l’échec de son projet de
mainmise sur le Liban ; échec bien inscrit dans les articles de
l’Accord de Taëf.
Et, là, il est nécessaire
de s’arrêter pour dire que la fracture qui a eu lieu dans les
derniers affrontements confessionnels restera, malheureusement,
bien visible pour très longtemps ; et ce, malgré l’Accord de
Doha passé entre la bourgeoisie chiite et sunnite et aussi le
traité entre l’administration de Bush et le gouvernement irakien
(pro iranien) de Maliki, signé le 25 mars passé, ou encore
l’entente tacite entre les Etats-Unis et l’Iran sur la nécessité
de reconstruire l’Etat irakien (entente traduite, par rapport à
certains, par ce qui advint de la résistance menée par Moktada
Sadr), ou enfin ce qui vient d’être divulgué sur le rôle joué,
depuis deux ans, par la diplomatie turque afin de relancer les
négociations de paix entre la Syrie et Israël, même si ces
négociations prennent actuellement une tournure indirecte.
Le
tournant dans le conflit arabo-israélien
Nous nous trouvons, donc,
face à un tournant historique, nouveau, sur le plan de la région
arabe tout entière. Ce tournant annonce, après soixante ans de
la « nakba », une nouvelle étape dans la le conflit entre Arabes
et Israéliens et, par suite, une redéfinition de la carte
géopolitique de la région et du rôle étasunien dans le nouveau
Moyen Orient.
En effet, si le projet du
« Nouveau Moyen Orient » bat de l’aile actuellement, à cause du
développement de la résistance dans plusieurs pays arabes, mais
aussi de l’entrée des Etats-Unis dans l’après Bush, il serait
mortel pour les résistances de penser que ce projet est mort et
enterré. Surtout si nous prenons en considération la possibilité
d’une guerre étasunienne contre l’Iran, malgré l’entente
actuelle, après l’arrivée au pouvoir à Washington du candidat
« républicain », et le volte-face du Parti démocrate qui a
délaissé sa position appelant à ne pas financer la guerre de
Bush en Irak en votant un nouveau crédit de 160 milliards de
dollars.
Ajouter à cela ce qui se
prépare contre les Palestiniens, au projet dit de « transfert »
qui disperserait à nouveau des dizaines de milliers de familles
palestiniennes, y compris des familles vivant dans les
territoires occupés par Israël en 1948, au projet de la
liquidation du droit de retour dont les prémices se trouvent
dans la déclaration de Georges Bush, le 16 mai 2008, concernant
l’appui inconditionnel de Washington à la relance de la
construction de Kibboutzim sionistes nouveaux dans les
territoires palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de
Gaza, et ce, afin d’accélérer la réalisation du projet de
« judaïsation » de toute la Palestine.
L’Accord
de Doha et le rôle nouveau prévu pour le Liban
Le tournant se dessine de
plus en plus clairement, de même que le rôle futur prévu pour le
Liban qui devra se transformer en un Etat acceptant les
Palestiniens à qui Israël refuse déjà le droit de retour, au cas
où le projet étasunien et israélien triomphe…
Ce nouveau rôle va
compliquer la situation intérieure, non seulement à partir de la
fracture confessionnelle évoquée entre Sunnites et Chiites mais
aussi à partir du rôle grandissant de certaines formations
fondamentalistes subventionnées par des pays du Golfe arabique
et dont le regroupement au Liban fut facilité par certaines
forces politiques.
L’exemple du communiqué
publié par Fath Al Islam, dernièrement, constitue un spécimen ;
et c’est peut-être pour cela que l’Accord de Doha fit suite à
celui de Beyrouth en exprimant plus clairement, dans son article
5, la nécessité « d’appliquer la loi et de respecter la
souveraineté de l’Etat sur toutes les régions libanaises, de
manière à interdire la présence de zones investis par des
hors-la-loi et afin de traduire en justice tous ceux qui
commettent des crimes ou qui violent la loi ».
Quant à l’accord passé
entre les belligérants et dont le caractère confessionnel cache
les véritables luttes de classes et retarde le véritable
changement, il constitue une trêve dont le but est d’éviter un
nouvel été « chaud », si possible, tout en faisant des promesses
en l’air à la majorité des Libanais, les marginalisés, les
chômeurs et tous ceux dont les salaires ne suffisent pas à
procurer le pain qu’ils mangent pétri dans le sang. Des
promesses que les beaux jours vont bientôt revenir sur les ailes
de la paix civile qui leur vient, cette fois encore, du côté du
Golfe… Et ce, en attendant l’aboutissement des pourparlers
arabo-israéliens, des changements en Irak et en Afghanistan et
leurs répercussions sur l’équilibre des forces intérieures
libanaises…
Quant à la loi électorale
adoptée à Doha, sur la base du retour à la petite
circonscription de 1960, le « caza », avec les changements
nécessaires opérés à Beyrouth, afin d’accorder les
circonscription de la capitale avec l’atmosphère générale
confessionnelle à outrance, elle constitue le nouveau détonateur
qui mettrait le feu aux poudres… Et, il est impossible de savoir
sur quoi se sont basés les metteurs en scène du nouvel accord
pour affirmer qu’une telle loi électorale garantirait la
stabilité pour très longtemps.
Tout le monde sait que la
loi électorale de 1960 fut à la base des divisions qui avaient
abouti à la guerre civile de 1975 et tout ce qui s’en suivit
comme catastrophes.
Tout le monde sait que les
tensions, tant internes que régionales, demandent des solutions
radicales déjà reconnues, en principe, par la bourgeoisie
elle-même dans certaines parties de l’Accord de Taëf, dont, en
premier lieu, la suppression du confessionnalisme de la vie
politique et des statuts civiles.
Et tout le monde sait que
la loi électorale constitue la porte d’accès obligatoire vers la
stabilité, la paix civile et la transformation du Liban en une
patrie véritable.
Mais le consensus toujours
passé entre les différentes factions de la bourgeoisie se résume
dans la phrase suivante : la patrie passe… Nous demeurons.
Beyrouth, le 25 mai 2005
Jour
anniversaire de la Libération
(Pour le numéro du
vendredi 30 mai du bimensuel « An Nidaa »)
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