Nouvelles d'Irak
Entretien
n°12 - FBI-Saddam Hussein
Gilles Munier
Gilles Munier
Jeudi 6 mai 2010
Baghdad Operation Center
5 mars 2004
Entretien conduit par George L. Piro
Rapport traduit de l’arabe en anglais par le FBI
Traduction en français : Xavière Jardez
Titres, sous-titres et notes : Gilles Munier
Guerre du Golfe - janvier1991
James Baker à Tarek Aziz :
« Nous vous ferons retourner
à l’ère
pré-industriel »
Saddam Hussein (Détenu de Haute Valeur n°1) a été
interviewé le 5 mars 2004 dans un bâtiment de détention
militaire à l’Aéroport International de Bagdad (AIB),
Bagdad, Irak. Hussein a fourni les informations suivantes :
Avant le début de l’entretien, Hussein a été informé que cette
session serait la suite des discussions précédentes sur le
Koweït.
Hussein a reconnu que le ministre irakien des Affaires
étrangères, Tarik Aziz, avait rencontré le Secrétaire d’Etat
américain, James Baker, à Genève, Suisse, en janvier 1991. Du
point de vue de la direction irakienne, le but de cette réunion
était d’exploiter les chances de paix à propos du Koweït. Quand
une occasion s’est présentée de discuter de ce problème avec un
représentant américain, l’Irak l’a saisie. Tout résultat obtenu
au cours de cette réunion aurait « du poids » face à la
communauté internationale.
Selon Hussein, Baker n’a offert aucune solution. Au contraire,
il a dicté à Tarik Aziz certaines mesures que les Etats-Unis
voulaient que l’Irak prenne en priorité. Baker a ajouté : « Autrement,
nous vous ferons retourner à l’ère pré-industriel ». Aziz a
dit à Baker que ces mesures étaient impossibles à exécuter
(1).
« Nous désirions la paix ».
Hussein a exposé que la question koweitienne aurait dû être
replacée dans le contexte du droit international. Elle n’aurait
pas dû être réduite de telle sorte que la partie la plus
forte (les Etats-Unis) dictait au plus faible
(l’Irak) les termes de l’accord. L’Irak cherchait une
présentation qui ne le décrive pas comme ayant été battu, mais
plutôt qui manifestait du respect pour l’armée et le peuple
irakiens.
Hussein a déclaré : « Nous désirions la paix ». Dans un
document daté d’août 1990, l’Irak exprimait ce désir à travers
sa première proposition. Comme mentionné lors d’un précédent
entretien, aucun membre de la communauté internationale ne
l’avait acceptée. L’Irak demandait des garanties confirmant
qu’aucune agression future ne soit dirigée contre lui et que
l’embargo prenne fin.
Sans référence au cadre du droit international, l’Irak aurait
été vu comme ayant été vaincu dans le conflit irako-koweitien.
Hussein a considéré cette proposition irakienne pour une
solution pacifique comme légitime. Comme toute proposition, tous
les articles pouvaient ne pas être adoptés. Elle ne fut,
cependant, jamais discutée. Hussein a demandé si la question
koweitienne était plus importante que la question palestinienne.
Il a considéré que le Koweït était jugé, par les Etats-Unis et
la communauté internationale, plus important parce que l’Irak
était l’adversaire et que le pétrole se trouvait au Koweït.
Comme déjà dit au cours d’un entretien précédent, le Koweït a
« été pris » à l’Irak. Il a ajouté que le monde ne
s’est pas « assemblé pour stopper » le Yémen quand il a
été réunifié, après des années de séparation (2).
Poursuivant la discussion sur la proposition irakienne du 12
août 1990, Hussein s’est étonné qu’il ait semblé étrange que
l’Irak ait demandé que les résolutions des Nations unies sur les
territoires saisis par Israël et la Syrie soient appliquées. Si
elles l’avaient été, les Irakiens auraient été convaincus que le
droit international avait été mis en œuvre, en toute
équité, s’agissant de l’Irak, en 1991. Hussein a
déclaré que personne n’a jamais notifié à l’Irak que certains
paragraphes ou sections de la proposition irakienne devaient
être modifiés ou supprimés. Il a déclaré que l’Irak avait
sérieusement exploré toutes les pistes pouvant conduire à la
paix.
La guerre a ses fortunes et déboires,
telle est la volonté de Dieu
A la question de savoir si les dirigeants irakiens avaient été
surpris du nombre de prisonniers de guerre irakiens, estimés à
86 743, capturés par la coalition, au cours de la guerre de
1991, Hussein a répondu : « Non. C’est la guerre ».
Selon Hussein, ils n’ont pas été faits prisonniers au sens
propre du terme. De nombreux facteurs expliquent leur capture :
la perte de leurs lignes de communication et de transport, la
pénurie de rations alimentaires et une perte d’orientation.
C’est pour cela que beaucoup de soldats irakiens ont pris la
route de l’Arabie saoudite, pour s’y réfugier, où ils ont été
pris. Hussein a démenti que la direction irakienne eut été
contrariée par ce grand nombre de prisonniers de guerre
irakiens. Hussein a dit : « Rien ne pouvait ébranler notre
détermination ». Il a remarqué que la guerre a ses fortunes
et déboires et que telle est la volonté de Dieu. Il a démenti
que le grand nombre de prisonniers ait joué sur la capacité de
l’Irak à poursuivre les combats. Hussein a soutenu que le
nombre de prisonniers n’indique ni la situation ni l’issue d’une
guerre. Il a déclaré que l’Irak avait gagné la guerre contre
l’Iran alors que ce dernier avait capturé un plus grand nombre
de prisonniers. Selon Hussein, le nombre de prisonniers capturés
n’affecte pas nécessairement la volonté de combattre, ni ne
l’oblige à prendre certaines décisions militaires. Hussein a
reconnu que ces prisonniers irakiens ont été libérés par les
forces de la coalition en 1991 et sont retournés chez eux après
la signature du cessez-le-feu.
On a questionné Hussein sur les 45 prisonniers de guerre de la
coalition et sur l’apparition, apparemment forcée, de deux
pilotes britanniques à la télévision irakienne. L’interviewer a
noté que les pilotes semblaient avoir été maltraités
physiquement et que leur présentation à la télévision était
contraire à la Convention de Genève. Hussein a dit que les
prisonniers de guerre, notamment les pilotes, devaient
certainement avoir fourni des détails divergents sur leur
capture. Certains disaient avoir été capturés par des paysans ou
des villageois, d’autres par un « groupe de gens ». Ces
Irakiens ont dû célébrer la capture de ces combattants de la
coalition en les frappant et les bousculant. L’armée irakienne
n’avait pas toujours le contrôle ou n’était pas au fait des
circonstances de leur capture puisque les lignes de
communication entre les unités militaires avaient été détruites
par les forces de la coalition.
Saddam dit qu’il souscrivait
à un document plus ancien
que la Convention de Genève :
le Coran
Sur les prisonniers de guerre (POW) de 1991, Hussein a
dit ne pas savoir si des mauvais traitements avaient été
infligés par des hommes servant dans les forces militaires ou
par le gouvernement. Cependant, il a clarifié cette déclaration
en disant qu’il admettait que d’autres pouvaient s’être
« mal comportés ». Il fournirait cette information s’il
était personnellement au courant. Il a ajouté qu’il souscrivait
à un document plus ancien que la Convention de Genève, à savoir
le Coran. Le Coran et la tradition arabe croient qu’il est
« noble » de bien traiter un prisonnier (3). Il
croit que les principes énoncés dans la Convention de Genève
devraient être respectés par le monde entier quelles que soient
les circonstances ou la nationalité.
Hussein n’a ni confirmé ni nié les rapports faisant état de
tortures des prisonniers de guerre alors qu’ils étaient sous la
garde de l’Irak. En revanche, il a déclaré que cette information
« est sur la conscience » de ceux qui l’ont rapportée
et ont mené l’enquête. Hussein a expliqué que les chefs dirigent
au moyen « d’instruments de communication ». Les chefs
d’un niveau inférieur dirigent « par le regard ou la voix ».
Sans moyens de communication appropriés, chaque entité se
comporte selon la manière « dont elle voit les choses ».
Hussein a répété que les systèmes de communication étaient
inopérants au cours de la guerre de 1991. Il a ainsi spéculé que
certains des actes de violence physique rapportés, comme les
cheveux brûlés d’un prisonnier de guerre, avaient dû être le
geste d’ « un simple d’esprit ». Quand on lui a fait
remarquer que les violences infligées aux forces de la coalition
pouvaient raisonnablement conduire à penser qu’elles étaient une
pratique courante de l’armée irakienne dans son ensemble,
Hussein a dit : « J’ai répondu ».
Hussein maintient qu’il ne met pas en doute les récits des
mauvais traitements des prisonniers de guerre, mais qu’il n’a
pas d’information pour les confirmer ou les infirmer. Cependant,
d’un point de vue pratique, il ne doute pas que le peuple, après
avoir été bombardé par les pilotes de la coalition, a pu les
maltraiter, particulièrement, s’ils ont pris part à leur
capture.
Notes :
(1)
Au cours de la réunion, qui s’est tenue à l’hôtel
Intercontinental le 9 janvier 1991, James Baker a remis à Tarek
Aziz une lettre personnelle adressée par George Bush (père) à
Saddam Hussein. Après y avoir jeté un coup d’œil, Tarek Aziz
refusa de transmettre la missive, estimant son ton menaçant,
voire insultant. Bush lui écrivait : « Si vous ne vous
retirez pas du Koweït et sans condition, nous perdrez bien plus
que le Koweït ».
(2)
Le Yémen venait de se réunifier. La République du Yémen est née,
le 22 mai 1990, de la réunion du Yémen du Sud (République
démocratique et populaire du Yémen) avec le Yémen du Nord
(République arabe du Yémen).
(3)
Plusieurs versets du Coran
abordent la question du traitement des prisonniers de guerre,
telle la sourate 8, Al-Anfal (Le Butin),
verset 71 :
« Ô prophète! Dites aux prisonniers qui sont entre vos mains :
Si Dieu voit de la droiture dans vos cœurs, il vous donnera des
richesses plus précieuses que celles qu’on vous a enlevées, et
il vous pardonnera, parce qu’il est clément et miséricordieux ».
En 662, le calife Abou Bakr rappela aux armées musulmanes
s’apprêtant à conquérir la Syrie qu’il fallait respecter les
« commandements de Dieu ». Extraits: « Lorsque vous
envahissez un pays, ne tuez ni les vieillards, ni les enfants,
ni les femmes. Ne forcez pas le stylite à déserter sa tour et ne
tourmentez pas le solitaire : ils sont au service de Dieu. Ne
coupez pas les arbres fruitiers, n’endommagez pas les récoltes
et ne mutilez pas les animaux domestiques, peu importe leur
taille. Si une ville ou un peuple vous accueille à bras ouverts,
engagez-vous solennellement à les gouverner selon les lois et
les pratiques qui étaient leurs avant votre arrivée… Mais faites
la guerre à ceux qui ne vous font pas bon accueil. Ce faisant,
assurez-vous de respecter toutes les lois et les commandements
de Dieu qui vous seront dictés par la bouche de nos prophètes,
faute de quoi vous risquez d’attirer la colère de Dieu ».
© G. Munier/X.Jardez
- Traduction en français et notes
Publié le 7 mai 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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