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Nouvelles d'Irak
Libye: Al-Qaïda vous salue bien
Gilles Munier
Gilles Munier
Mardi 3 mai 2011
(Afrique Asie – mai 2011)
Nicolas Sarkozy voulait sa guerre : il l’a eue. Mais comme les
Américains en Irak, il a ouvert la Boîte de Pandore en Libye.
L’intervention militaire occidentale va déstabiliser le bassin
méditerranéen et la région du Sahel pour longtemps.
Quand Mouammar Kadhafi a déclaré qu’Al-Qaïda était
partie prenante du soulèvement libyen, en Occident personne ne
l’a cru. Il a fallu que Abdel-Karim al-Asidi, chef militaire
rebelle de la région de Darnah, dise au quotidien italien Il
Sole 24 Ore, que des djihadistes, de retour d’Irak,
combattent sur le front anti-gouvernemental, et que les membres
d’Al-Qaïda sont de « bons musulmans », pour
que des parlementaires américains s’émeuvent et avec eux les
médias anglo-saxons. Ce n’était pourtant pas un secret, sauf
peut-être pour Nicolas Sarkozy et Bernard-Henry Lévy, son
« conseiller » pour les affaires libyennes. Hillary Clinton
et l’amiral James Stavridis, commandant les forces de l’OTAN,
savent ce qu’il en est, car la CIA côtoie les organisations
islamiques libyennes radicales depuis le djihad anti-soviétique
des années 80 en Afghanistan. Les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne ont soutenu le Groupe islamique de combat en
Libye (GICL) - créé en 1991 par Abou Laith al-Libi, un proche
d’Oussama Ben Laden - quand il a tenté de renverser et
d’assassiner Kadhafi en 1996. Les tortionnaires de la CIA ont
débriefé sans ménagement les « terroristes islamiques »
libyens dans les prisons secrètes américaines disséminées dans
le monde, ainsi qu’à celle de Guantanamo.
Le Code du Djihad
Le 17 février dernier, date du soulèvement à Benghazi, la
configuration militante dans l’est libyen était celle dépeinte
en décembre 2009 dans un rapport des services de renseignements
canadiens. La Cyrénaïque y était décrite comme « l’épicentre
de l’islamisme extrémiste », une région fourmillant de
petites cellules djihadistes indépendantes, affiliées ou non à
Al-Qaïda. A une différence de taille près, au plan
doctrinal : les dirigeants du GICL détenus à la prison
Abou Salim à Tripoli, en discussion avec Saïf al-islam, fils
cadet du Guide libyen avaient élaboré un Code du Djihad
se démarquant des fatwas d’Al-Qaïda et du terrorisme
sauvage à l’origine de la déconfiture d’Al Qaïda au Pays des
deux fleuves dans la région d’Al-Anbar, et prononcé la
dissolution de leur organisation. Le document religieux de 417
pages qu’ils ont publié, après trois ans de conciliabules,
ordonne notamment aux djihadistes de respecter la vie des
non-combattants et de bien traiter leurs prisonniers de
guerre. Dans la foulée, Saïf al-islam fit libérer plusieurs
centaines de prisonniers du GICL, dont l’émir Abdullah
Sadeeq, son adjoint Abou Hazem, et Abou Mundhir al-Saadi, chargé
des questions religieuses de l’organisation. Pour mettre un
terme à la guerre civile en Libye, il ne manquait plus qu’à
relancer l’enquête sur la terrible mutinerie de la prison d’Abou
Salim en juin 1996 - environ 1200 morts, dont 200
gardiens – et à inculper les responsables du massacre,
comme l’avait promis Saïf al-islam en 2008. Cela n’a pas été
fait.
Al-Qaïda en Méditerranée
Considéré par les militants islamiques jusqu’au-boutistes comme
sans intérêt, car écrit sous la contrainte, le Code du
Djihad fait néanmoins date dans ces milieux. Non seulement
Iman al- Zawahiri, « n°2 d’Al-Qaïda », ne l’a pas mis à
l’index, mais il l’a obligé à changer de stratégie. Deux
idéologues influents du courant benladéniste – Abou Yahia
al-Libi et Saïf al-Adil – estiment désormais que
l’extrémisme a déconnecté leur organisation des réalités des
sociétés musulmanes. Ils ne sont plus hostiles à une alliance
avec les Frères musulmans et sont d’accord pour
s’intégrer, profil bas, aux processus révolutionnaires en cours
dans les pays arabes.
D’une certaine façon, le GICL est à l’origine du
soulèvement du 17 février à Benghazi, puisqu’il fait suite à une
manifestation nocturne pour la libération de Fethi Tarbel,
défenseur des familles des prisonniers tués en 1996. Bien que
remis en liberté, les partisans de l’avocat n’avaient pas quitté
les lieux quand ils ont été rejoints par les jeunes ameutés par
Facebook et, surtout, par les agitateurs libyens
signalés aux services spéciaux français et britanniques par
Nouri Mesmari, chef du protocole du colonel Kadhafi, réfugié en
France en octobre 2009*.
Le CNT (Conseil national de transition) est un
panier de crabes sans grande représentativité et efficacité. Les
seuls combattants dignes de considération sont les shebab
– les jeunes - et les anciens du GICL. Les
« contras » de la soi-disant Armée nationale libyenne
du colonel dissident Khalifa Haftar, formés par la CIA en
Virginie, manquent de détermination. Il n’y avait pas à
s’étonner du jugement porté par Abdel-Karim al-Asidi sur les
militants d’Al-Qaïda. Il n’est pas le seul, dans son
camp, à déclarer : «Je haïssais les Américains à 100%,
maintenant à moins de 50% ». A ses côtés, Salah al-Barrani,
ancien du GICL, et Sufyan Ben Qumu, emprisonné à
Guantanamo pour avoir travaillé dans une société créée par Ben
Laden au Soudan, pensent la même chose. Pour eux, demain est un
autre jour... Cela faisait dire, début avril, à un responsable
des services de sécurité algériens : « si le régime Kadhafi
tombe… Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) se redéploiera
jusqu’à la Méditerranée ».
Lire à ce sujet : Comment Sarkozy a orchestré la révolte
libyenne, par Franco Bechis (AFI-Flash n°113)
http://www.france-irak-actualite.com/article-comment-sarkozy-a-orchestre-la-revolte-libyenne-revue-de-presse-70337045.html
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 3 mai 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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