Paris (IRIS) – Barah Mikaïl, chercheur à l’IRIS (Institut de
relations internationales et stratégiques), spécialiste du
Proche-Orient, nous donne son avis sur les conséquences de
l’hospitalisation de Ariel Sharon mercredi soir, sur la vie
politique israélienne et sur le conflit israélo-palestinien.
Ariel Sharon a été hospitalisé mercredi soir dans un état très
grave, et les communiqués relatifs à sa situation sont loin d’être
rassurants. Peut-on parler de la fin de la carrière de cet homme ?
Le Premier ministre israélien avait donné beaucoup de signes
d’affaiblissement physique ces dernières semaines, mais tentait
tant bien que mal de donner une image d’homme résistant et apte
à continuer l’exercice de ses fonctions politiques. Or il en va
autrement maintenant. La délégation de ses fonctions au
vice-Premier ministre Ehud Olmert, ce dès l’hospitalisation
d’A. Sharon, semble prouver en tous cas que l’ère transitoire
israélienne est initiée. Les Israéliens peuvent donc d’ores et
déjà se préparer à vivre un après-Sharon, situation
d’ailleurs lourde d’incertitudes étant donné que les hommes de
la trempe de ce dernier sont extrêmement rares, pour ne pas dire
inexistants, sur la scène politique israélienne.
Des élections législatives anticipées étaient de toutes façons
prévues en Israël le 28 mars 2006. L’hospitalisation de Sharon
modifie-t-elle cette donne ?
A priori non, du moins pour ce qui relève de la date du scrutin.
Selon la Loi israélienne, en cas d’incapacité du Premier
ministre à exercer ses fonctions, c’est le vice-Premier ministre
qui prend en charge l’intérim pour une durée de 100 jours. Au
terme de cette période, de deux choses l’une : soit le Président
israélien désigne un nouveau Premier ministre après consultation
des principaux dirigeants politiques du pays ; soit des élections législatives
ont lieu. C’est néanmoins cette deuxième option qui semble
pouvoir s’imposer, d’autant plus que le Parlement israélien ne
semble pas aujourd’hui en mesure de créer la surprise en
prolongeant le mandat du gouvernement actuel jusqu’à son terme
initialement prévu, en novembre 2006. Ce qui suscite bien sûr
beaucoup de questionnements. Sharon n’est en effet plus l’homme
du Likoud, mais celui de Kadima, parti qu’il vient de créer. Or
celui-ci, crédité jusqu’ici du plus grand nombre d’intentions
de vote de la part des Israéliens, doit son succès exclusivement
à la personnalité de Sharon, qu’a considérablement popularisé
le plan de retrait israélien de la bande de Gaza de l’été
dernier. Kadima, parti qui avait contribué à déplacer le curseur
politique israélien vers le centre, survivra-t-il à Sharon ? Rien
n’est moins sûr. Les membres les plus connus de ce nouveau parti,
Ehud Olmert et Shimon Pérès, restent en effet bien moins fédérateurs
que Sharon. Dans ce contexte, on ne peut évidemment pas totalement
exclure les conséquences d’un vote émotionnel des Israéliens en
faveur de Kadima. Mais pour ce qui relève des tendances globales,
il y a de fortes chances que le séisme provoqué par
l’aggravation de la santé du Premier ministre israélien remette
à l’ordre du jour la traditionnelle bipolarité entretenue autour
du Likoud d’une part et du Parti travailliste de l’autre.
Quelles conséquences peut-on prévoir sur le plan du conflit
israélo-palestinien ?
Un peu plus d’un an après la disparition de Yasser Arafat,
c’est au retrait d’un autre des dinosaures de la scène israélo-palestinienne
que l’on assiste. Sharon avait certes amplement contribué à redéfinir
les options politiques et stratégiques de son pays en procédant au
retrait unilatéral de la bande de Gaza, synonyme entre autres
d’une renonciation du pays au rêve du « Grand Israël ». Mais
cela s’était fait sans concertation aucune avec l’Autorité
palestinienne. C’est ainsi que les incertitudes liées aux évolutions
de la scène politique interne israélienne semblent devoir se voir
opposer en contrepartie un gel de la situation politique sur le plan
israélo-palestinien. Une situation qui devrait d’ailleurs
perdurer jusqu’à la convocation des prochaines élections législatives
tant israéliennes que palestiniennes, qui sont prévues quant à
elles pour le 25 janvier prochain. C’est en fonction des résultats
de ces deux scrutins que se dessinera la nouvelle donne entre les
deux parties. Tout ce que l’on peut dire pour l’heure, c’est
que la consécration par les Palestiniens d’un Parlement dominé
par des membres du Fatah est le minimum requis pour garantir les
conditions d’une reprise des pourparlers avec les Israéliens. Si
les incertitudes israéliennes brouillent quant à elles, dans
l’immédiat du moins, la tendance effective amenée à s’imposer
au pays, il est cependant évident que l’éventualité de l’accès
du nationaliste Benjamin Netanyahu au poste de Premier ministre
serait plutôt de mauvais augure pour l’avenir des relations israélo-palestiniennes.
Les primaires du Likoud, prévues le 12 janvier 2006, qui
interviennent à un moment où le Parti travailliste n’est pas
pour sa part en très bonne posture, seront en tous cas un
indicateur précieux de l’avenir vers lequel Israël s’engage.
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