De Santa Cruz au Zulia
L'empire étasunien à l'assaut des
Etats-Nations latino-américains
Romain Migus
13 mai 2008 Le 4 mai 2008, s’est tenu dans le
département bolivien de Santa Cruz, un referendum pour approuver
un statut d’autonomie pour le département. Précisons avant
d’aller plus loin, que la Cour Nationale Electorale bolivienne,
organe qui régie les élections selon la Constitution avait
déclaré illégale cette consultation. Il s’agissait donc au mieux
d’une enquête. Aucun observateur international n’était présent,
l’Organisation des Etats Américain (OEA) s’étant même prononcé
pour le respect de l’unité de la Bolivie. Le
président Morales avait appelé ses partisans à ne pas légitimer
une élection illégale et donc à ne pas participer à cette
mascarade de referendum. Au soir des résultats (85% pour le OUI,
15% pour le NON), la chaîne commerciale d’opposition Canal 7,
annonçait 40% d’abstention, dans un pays où lorsqu’une élection
est légale, elle est obligatoire. Ce chiffre pourtant annoncé
par une télévision en connivence avec l’opposition de Santa Cruz
aide à relativiser ce que l’on nous présente comme un raz de
marée en faveur du statut d’autonomie. D’autres exits pools,
manié par le gouvernement de Evo Morales font état de 70%
d’abstention. Dans un cas comme dans l’autre, le raz de marée
indépendantiste est surtout celui d’une minorité.
L’autonomie des départements bolivien n’est pas
chose nouvelle. La loi de décentralisation de 1995 conférait à
ces territoires une autonomie au sein de la République. Cette
loi sur l’autonomie fut d’ailleurs le résultat d’un travail du
Département d’Etat étasunien, par le biais de la USAID,
organisme qui gère ses financements internationaux. Le 18
décembre 2005 eurent lieu les premières élections
départementales, remporté dans leur majorité par des partis de
droite. L’arrivée au pouvoir d’Evo Morales à la présidence de la
République de Bolivie en 2006 va coïncider avec une demande
accrue ’d’autonomie’ de la part des dirigeants des régions les
plus riche. Pourquoi une telle coïncidence ?
Autonomie ou Séparatisme ?
Dés la prise de pouvoir de Evo Morales, la
USAID, qui était présente depuis des décennies en Bolivie, va
rompre unilatéralement les programmes de coopération avec le
gouvernement bolivien pour centrer son travail sur le
financement des partis politiques d’opposition, sur un programme
d’autonomie régionale, et sur la stratégie à mener pour miner la
nouvelle Assemblée Constituante.[1](1)
Dans le même temps, la National Endowment for
Democracy (NED), qui finance l’opposition vénézuelienne et des
organisations politiques comme Reporters Sans Frontières, va
augmenter ses financements aux groupes d’opposition de la région
de Santa Cruz et des 3 autres départements demandant l’autonomie
(Tarija, Beni, Pando).
Ces dons de la USAID et de la NED s’élèvent à
120 millions de dollars par an depuis que Evo Morales est
président ! A titre de comparaison, le directeur général de
l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO) a proposé un fond de 500 millions de dollars
pour régler le problème de la faim dans le Monde. Autrement dit,
selon ces chiffres, seulement 4 ans de financement des
Etats-Unis à l’opposition bolivienne putchiste suffirait à
résoudre la famine mondiale.
D’autres organisations étasuniennes comme la
Freedom House travaillent aussi à la déstabilisation de la
Bolivie. Et le leader d’Otpor-Venezuela[2] (2), Yon Goicochea, a
été envoyé pour former les étudiants de Santa Cruz aux
techniques de Coup d’Etat soft de l’Albert Einstein
Institution.[3] (3)
Mais c’est avec l’arrivée du nouvel ambassadeur
étatsunien en Bolivie que les choses vont s’accélérer. Le 22
septembre 2006, Philip Goldberg est nommé officiellement à La
Paz. Goldberg ne fut pas choisi au hasard. De 1994 a 1996, il
était l’assistant spécial de Richard Holbrook, secrétaire d’Etat
aux affaires européennes pour cette même période. Les deux
hommes qui vont diriger la délégation étasunienne aux accords de
Dayton, furent les artisans chargés de conclure l’éclatement de
la Yougoslavie.
Philip Goldberg va être nommé en 2004 chef de la
Mission diplomatique des Etats-Unis au Kosovo, dans le but de
préparer l’indépendance de ce territoire serbe.
C’est fort de cette expérience en matière de
séparatisme que Goldberg arrive à La Paz, et travaille avec
l’aide de la USAID et de la NED, à l’élaboration des statuts
autonomes de Santa Cruz et de la Media Luna.
Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas
d’autonomie mais bien de séparatisme. Pour s’en rendre compte,
il suffit de regarder le contenu des Statuts d’autonomie rédigés
par les élites de Santa Cruz.[4] (4)
Ces statuts rédigés comme une véritable
Constitution quitte au pouvoir national bolivien toutes les
attributions qui sont propre à un Etat. Il ne s’agit pas
simplement, comme veulent nous faire croire les media
occidentaux, de s’arroger le droit de gérer ses ressources et de
créer une police régionale.
Selon ces statuts illégaux, Santa Cruz
contrôlerait exclusivement les domaines de l’éducation, les
transports, les infrastructures, la culture, les ressources
naturelles (dont le gaz, première richesse de Bolivie), la
répartition des terres (donnant aux pouvoirs régionaux la
possibilité de vendre les terres des parcs nationaux décrétés
par le gouvernement bolivien), la légalisation des syndicats,
les télécommunications (dont les media ; l’attribution de
fréquences serait organisée par le gouvernement régional),
l’économie, etc… La région disposerait de Pouvoirs Exécutif,
Législatif, et Judiciaire qui lui sont propre. Cerise sur le
gâteau du séparatisme. Santa Cruz aurait son propre Hymne, son
Drapeau et son Blason.
Le précédent de Santa Cruz fera ses émules
puisque 3 autres départements ont déjà annoncé qu’ils
convoqueront le même type d’élections illégales pour approuver
le même type de statuts. Le travail de Philip Goldberg a porté
ses fruits…
De Santa Cruz à la région pétrolière du Zulia
La réponse de l’opposition vénézuélienne à cette
tentative de sécession en Bolivie a été immédiate. Dés le
lendemain du référendum illégal à Santa Cruz, le Conseil
Législatif de l’Etat du Zulia (CLEZ) a annoncé la tenue d’une
session spéciale de l’Assemblée parlementaire régionale sur le
thème de l’autonomie. L’orateur invité n’est autre que Nelson
Suarez représentant de l’organisation Rumbo Propio. Comme pour
donner une dimension nationale à cette tentative de sécession,
l’ancien gouverneur de l’Etat de Carabobo et candidat à
l’élection présidentielle contre Chavez en 1998, Henrique Salas
Römer, affirmait le 7 mai 2008, dans les colonnes du journal El
Universal, que l’autonomie est une alternative au gouvernement
de Chavez et déclarait : ’Ainsi, les revenus pétroliers ne
passeront plus par le pouvoir central et iront directement aux
régions.’[5] (5) Sans commentaires.
Il n’est pas anodin que le parlement du Zulia
agit ainsi. C’est l’Etat le plus riche du Venezuela grâce
notamment à ses revenus pétroliers, et il est contrôlé par
l’ancien candidat présidentiel Manuel Rosales[6] (6). Le fait
d’inviter l’organisation Rumbo Propio s’inscrit dans cette
tentative de la part des Etats-Unis et des élites vénézuéliennes
de détruire l’Etat-Nation vénézuélien.
L’ancien ambassadeur des Etats-Unis au Venezuela
(ancien consul à Maracaibo et aujourd’hui en poste à Bogota),
William Brownfield, avait déclaré lors d’une visite à Maracaibo
en compagnie de Manuel Rosales : ’comme vous le savez, j’ai
toujours beaucoup aimé la République Indépendante du Zulia’.
Manuel Rosales n’avait alors pas dit un mot pour défendre
l’intégrité de la Nation vénézuélienne.
L’avant-garde de cette tentative d’indépendance
est assumé par Rumbo Propio qui, à l’instar de ses collègues de
Santa Cruz, a déjà rédigé les statuts ’d’autonomie’ du Zulia.[7]
(7)
Outre la proposition de ’privatisations
populaires’ (sic), ces ’statuts’ d’orientation clairement
néolibérales proposent d’abolir les impôts pour les entreprises,
de privatiser l’éducation, les retraites, la santé, de réserver
le maniement des ressources naturelles (comprendre le pétrole)
au gouvernement régional et aux multinationales, privatiser
toutes les entreprises de l’Etat au profit des entreprises
internationales et du gouvernement régional ’autonome’.
L’article 10 précise même ’tout ce qui est à l’Etat doit être
privatisé’.
Le versant social est transféré aux entreprises
privés qui émettront des coupons (sorte de ticket-restaurant)
gratuit pour aller chez le médecin o payer les frais de
scolarité privée. Autrement dit, le gouvernement régional
achètera ces coupons à des entreprises privés (généralement chez
une entreprise amie, ou mieux dans sa propre entreprise) pour
les distribuer seulement à ceux qui souffrent d’extrême pauvreté
(moins de un dollar par jour). Ceux qui survive dans la misère
avec 1.5 dollars (soit l’équivalent de 4 baguettes de pain ou du
prix d’une bouteille de shampoing) par jour n’y auront pas
droit !!!
La permanence de ces statuts ’d’autonomie’ est
assuré par l’article 2§d qui affirme ’le droit à une démocratie
limitée : aucune majorité populaire, aussi grande qu’elle soit,
est autorisée à intervenir contre les libertés et les droits que
ces [statuts] garantissent aux citoyens’. Nous nous demandons
légitimement quelles seront alors les personnes en charge de
définir ’les limites de la démocratie’ : les propriétaires
terriens, les patrons, ou les multinationales ?
A la différence de la Bolivie, le Venezuela est
une république fédérale. Le Zulia a déjà son Hymne, son Blason,
son Drapeau et ses propres Pouvoir Exécutif et Législatif. Qu’à
cela tienne, Rumbo Propio propose dans ces statuts ’d’autonomie’
la création d’une monnaie propre au Zulia. Pour voyager dans
d’autres régions du Venezuela, les habitants de la région du
Zulia devront passer par des bureaux de change. Il n’est pas
précisé si ces bureaux changeront en dollars ou en Bolivars…
Alors, autonomie ou séparatisme ? Déjà, en 2001,
le Plan Balboa, un exercice de simulation militaire mené par les
forces armés espagnoles et planifié par les Etats-Unis,
prévoyait une intervention directe dans la région et
l’occupation militaire du Zulia.[8] (8)
Internationale du Séparatisme
Comme les tentatives de Coup d’Etats ou de
déstabilisations économiques s’avèrent infructueuses dans les
pays qui entendent rompre avec la domination étasunienne, les
séparatismes doivent être vu comme une nouvelle stratégie des
Etats-Unis pour affaiblir les Etats-Nations progressistes de la
région et se réapproprier les ressources naturelles.
Déjà, se met en place, une internationale du
Séparatisme. En septembre 2006, comme le note l’avocate Eva
Golinger, ’Guayaquil fut le lieu du Premier Forum International
sur la Liberté et l’Autonomie Régionale’[9] (9) où assistèrent
parmi de nombreux participants, le maire de Quito et celui de
Guayaquil pour Equateur, le secrétaire général de la Préfecture
de Santa Cruz et un représentant de Rumbo Propio, l’organisation
séparatiste du Zulia. Cette réunion n’a été possible que grâce
aux financements de la NED et de la USAID.
Face à cette Internationale du Séparatisme
financé par Washington, les peuples des pays concernés ont déjà
affirmé leur rejet d’une balkanisation de l’Amérique Latine. Les
grandes manifestations en faveur de l’unité de la Bolivie qui
ont eu lieu dans ce pays mais aussi au Venezuela montrent bien
que, plus que jamais, les citoyens des pays latino-américains
sont décidés à défendre leur souveraineté et leur intégrité.
Au Venezuela, une enquête du Procureur Général
de la République était ouverte depuis 2006 contre Rumbo Propio
pour trahison à la Patrie. Malgré le fait que les preuves sont
publiées sur le site web de l’organisation, l’enquête piétine…
Qu’importe, le Peuple veille !
Notes :
[1] Interview de Eva Golinger pour Radio
Venezuela en Vivo, 04/05/08.
[2] Voir Romain Migus,
’Réforme Constitutionnelle et Déstabilisation : Chronique(s)
d’une Révolution en marche’, Le Grand Soir :
http://www.legrandsoir.info/article...
[3] Voir la vidéo de ces
formations sur le site du think tank ultralibéral Cato
Institute :
http://www.elcato.org/node/3228
Yon Goicochea vient de recevoir le prix
’Milton Friedman pour la liberté’ (sic) doté d’un montant de
500.000 dollars.
[4] Estatutos del
Departamento Autónomo de Santa Cruz (en espagnol) :
http://www.asamcruz.org/Estatuto%20...
[5] Reyes Theis, ’Salas Römer propone proyecto
de autonomías como alternativa’, El Universal, 07/05/08.
[6] Pour se faire une idée
sur le personnage, voir Romain Migus ’Le Rose Brun’, Le grand
soir :
http://www.legrandsoir.info/article...
[7] Voir
http://www.rumbopropio.org.ve/rumbo...
et
http://www.rumbopropio.org.ve/rumbo...
[8] Voir
http://www.aporrea.org/tiburon/n629...
[9] (9) Eva Golinger, ’EE
UU promueve la desestabilización regional’, 23/03/08 :
http://www.aporrea.org/tiburon/a536...
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