FORUM POUR UN AUTRE MALI (FORAM)
Mali. Chronique
d'une recolonisation programmée
Vendredi 6 avril 2012
« Que les
chèvres se battent entre elles dans
l’enclos est préférable à
l’intermédiation de l’hyène ».
Proverbe bamanan.
1. Le Mali dans
l’ordre cynique du monde
Mis en lumière par
l’amputation des deux tiers de son
territoire, le coup d’Etat du 22 mars
2012 et l’embargo total de la CEDEAO,
l’extrême vulnérabilité du Mali tient
d’abord à la trahison des élites. Elles
se voilent la face, réfutent tout débat
de fond sur les enjeux de la
mondialisation capitaliste. Désormais,
tout est clair : la recolonisation du
pays à travers les politiques
néolibérales entre dans une nouvelle
phase qui obéit au schéma libyen avec
l’intervention directe de l’OTAN en
moins.
L‘impérialisme
collectif avait besoin d’exploiter,
comme à Benghazi, les rancœurs et les
rancunes d’une partie de la population
qui a le sentiment d’être marginalisée.
La rébellion touareg faisait
parfaitement l’affaire. La revendication
des deux tiers du territoire malien par
le Mouvement National de Libération de
l’Azawad (MNLA) vient d’être satisfaite
avec la complicité de la
« communauté internationale ».
L’os malien étant
bien moins dur à briser que l’os libyen,
il suffisait de mettre à profit l’état
de déliquescence de l’armée nationale et
de fermer les yeux sur la progression
des assaillants lourdement équipés
d’armes sophistiquées en provenance des
arsenaux libyens pour que le tour soit
joué.
Tout cela s’est
passé rapidement, entre le 17 janvier
2012 et le 04 avril 2012. Les puissants
membres de la «
communauté internationale » n’ont
donc pas eu à se salir les mains. Ils
pensent avoir l’honneur sauf pour avoir
fait des déclarations de principes sur
l’inviolabilité de l’intégrité
territoriale du Mali. Or, c’est lorsque
les rebelles du MNLA ont déclaré qu’ils
ont atteint leurs objectifs que les
Etats-Unis d’Amérique leur ont demandé
de « cesser » les
opérations militaires.
Les enjeux
énergétiques, sécuritaires, migratoires
et idéologiques de la guerre globale
trouvent leurs expressions dans cette
recolonisation que les dirigeants
politiques maliens n’ont pas vu venir et
que certains d’entre eux refusent
toujours d’admettre. La France espère
obtenir de la future République laïque
et démocratique de l’Azawad ce que le
Président malien Amadou Toumani Touré
(ATT) n’a pas su ou voulu lui accorder :
la base de Tessalit hautement
stratégique au plan économique et
militaire ; de la fermeté dans la lutte
contre l’émigration «
clandestine »et Al Qaeda au Maghreb
(AQMI).
Plus ou moins
indifférente au sort du peuple malien
face à la double agression de la
rébellion et de la CEDEAO, l’opinion
publique occidentale est ébranlée après
avoir appris la participation de Ançar
dine et de AQMI à cette recolonisation
du Mali.
2. La violence de
la CEDEAO contre le peuple martyr du
Mali
Ebranlés et
meurtris à l’idée d’être un peuple sans
Etat et sans armée digne de ce nom face
à des combattants lourdement armés,
faisant tomber les villes les unes après
les autres, les Maliennes et les Maliens
subissent à présent le traitement de
choc de l’embargo total de la part de la
Communauté Economique des Etats de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
C’est lors du
Sommet extraordinaire du 27 Mars 2012 à
Abidjan (Côte-d’Ivoire) que
l’organisation sous-régionale a pris la
décision d’envoyer à Bamako une
délégation de très haut niveau pour
demander au Capitaine Amadou Haya Sanogo
qui a pris le pouvoir 22 Mars 2012 de
restaurer, le plus rapidement possible,
l’ordre constitutionnel. Elle a du
rebrousser chemin face à la mobilisation
des victimes de la démocratie formelle
et corrompue qui vivent ce coup d’Etat
comme une délivrance. C’est à l’aéroport
d’Abidjan que les Chefs d’Etats de la
CEDEAO ont donné aux nouvelles autorités
maliennes un ultimatum de 72 heures pour
s’exécuter au risque de voir le Mali
subir un embargo.
Ils ont mis cette
menace à exécution à partir du lundi 02
Avril 2012, alors qu’à l’issue de la
rencontre à Ouagadougou (Burkina Faso)
d’une délégation du CNRDRE avec le
Président du Burkina Faso qui joue le
rôle de médiateur, le Capitaine Amadou
Haya Sanogo a accepté le retour à
l’ordre constitutionnel. Cette avancée,
saluée par la plupart des Maliens et des
Maliennes, n’était pas suffisante pour
certains des Chefs d’Etat de la CEDEAO
particulièrement intransigeants.
Les sanctions dont
il s’agit se traduisent en autres par :
la suspension du Mali de toutes les
instances de la CEDEAO,
le rappel des ambassadeurs de
l’organisation pour consultation,
la fermeture des frontières,
le gel des avoirs du Mali à la Banque
Centrale des Etats de l’Afrique de
l’Ouest (BCEAO) et le non
approvisionnement des banques
nationales,
la suspension des programmes d’aide au
développement
Le levier militaire
pourra se traduire par «
la montée en puissance de la Force en
attente de la CEDEAO pour parer à toute
éventualité… »Plus importants que
l’aide extérieure pour les familles qui
en bénéficient, les fonds de la diaspora
dont une partie passe par Western Union
et Money Gram manqueront également aux
Maliennes et aux Maliens.
La cherté de la vie
qui, à elle seule, a créé un climat
quasi insurrectionnel avant la rébellion
et le coup d’Etat s’aggrave. Les prix
flambent dans les régions occupées où
les pillages portent surtout sur les
aliments et les médicaments qui
commencent à manquer.
3. Le sens du coup
de force du 22 mars 2012
Les femmes, en
l’occurrence les mères et les épouses
des soldats qui montaient, sous équipés,
au Nord pour défendre le Mali ont été
les premières à manifester leur colère.
Elles sont allées directement vers le
Président Amadou Toumani Touré et lui
ont demandé, plus d’une fois, des
comptes. La dégradation de la situation
s’est ensuite traduite par des
manifestations portant atteinte aux
biens des personnes et personnalités
appartenant à l’ethnie Touareg.
Le pourrissement de
la situation est à l’origine du
soulèvement d’Amadou Haya Sanogo et ses
camarades qui a débouché sur le coup
d’Etat du 22 mars 2012.
La « communauté
internationale » ne s’est pas émue,
outre mesure, des atrocités commises à
Aguelhok contre des militaires désarmés
ni de l’occupation des villes du Nord
les unes après les autres. Mais elle est
immédiatement montée au créneau pour
condamner un coup d’Etat qu’elle juge
d’autant plus inacceptable qu’il
survient dans l’un des «
pays phare de la démocratie » à la
veille d’une élection présidentielle à
laquelle ATT n’était pas candidat.
Simpliste mais
surmédiatisée, cette lecture arrange
tous ceux et celles qui se laissent
convaincre que le Mali était jusqu’ici
une démocratie exemplaire. Le point de
vue des déçus et des laissés-pour-compte
de la démocratie est superbement ignoré
voire méprisé.
4. Quand l’ordre
constitutionnel « normal » sert de
paravent
«
Nous ne voulons pas d’ancien, rien que
du neuf » scandaient les
manifestants maliens lors des événements
sanglants de Mars 1991 pour traduire
leur aspiration profonde à un changement
démocratique véritable. Ils étaient
persuadés que le Président Moussa Traoré
était le seul et unique fautif du
naufrage de la nation et que son
éviction suffisait à instaurer la
démocratie et la justice. Il n’en a rien
été.
En vingt ans de «
transition démocratique
», assistée et encensée par la
« Communauté
Internationale », la montagne a
accouché d’une souris. Le peuple est
désemparé mais inaudible. Le coup d’Etat
est survenu à cinq semaines du premier
tour de l’élection présidentielle, dans
un contexte quasi insurrectionnel.
Totalement dévoyée,
la démocratie servait de paravent aux
affaires. Jugeons-en :
Le multipartisme que nous appelions de
tous nos vœux, au lieu de favoriser le
débat d’idées et la confrontation de
projets de société entre formations
politiques, s’est traduit par la
prolifération des partis dont le nombre
dépasse 140 actuellement pour un pays de
14 millions d’habitants. Coupés de leur
base électorale, les dirigeants
démocratiquement élus sont occupés à
plein temps par toutes sortes de
stratégie de captation de
« l’aide au
développement » et des opportunités
d’affaires que le système néolibéral
offre.
Ce sont les gagnants de ce système
économique et politique mafieux qui, en
« démocrates
milliardaires » s’apprêtaient à se
disputer la place d’ATT en achetant tout
ce qui peut l’être, du bulletin de vote
à la conscience des électeurs/trices.
« Enrichissez-vous et
taisez-vous » est la règle non
écrite du jeu politique, pendant que les
opérations cosmétiques de bonne
gouvernance dont le Bureau du
Vérificateur Général entretiennent
l’illusion de l’exemplarité
démocratique.
Leurs enfants qui, avec ostentation,
fêtent leurs milliards ajoutent à
l’indignation des jeunes déshérités qui
n’ont droit ni à une école de qualité ni
à l’emploi et au revenu ni à un visa
pour aller tenter leur chance ailleurs.
Aucun parti politique ne peut se
prévaloir aujourd’hui d’une base
électorale éduquée et imprégnée des
enjeux et des défis du changement de
manière à choisir leurs dirigeants en
connaissance de cause et à les contrôler
dans l’exercice de leurs fonctions. Les
électeurs/trices ne sont contactés que
sporadiquement mais assaillis à la
veille des scrutins par des candidats
toujours prêts à payer leurs voix.
La société civile, dont le rôle est
d’éduquer, de contrôler et d’interpeller
la classe politique vit de compromis et
de compromissions. C’est en évitant les
sujets qui fâchent, qu’elle parvient à
bénéficier des financements des
partenaires techniques et financiers
(PTF).
La liberté d’expression chèrement
acquise est sous surveillance dans les
médias publics. Elle se traduit par
l’existence d’un paysage médiatique
dense (journaux et radios privés) qui,
pour survivre, se comporte comme la
société civile : savoir se vendre. Quant
à l’unique chaine de télévision
nationale, l’ORTM, elle est
« la voix de son maître
».
Les entrepreneurs véritables, les locaux
comme ceux de la diaspora qui ont envie
d’investir dans leurs pays sont
démotivés par une administration
corrompue, prête à entraver les
meilleures initiatives quand elle n’y
trouve pas son compte.
5. Il est encore
possible de sauver véritablement le Mali
et sa bande Sahélo-saharienne
Le Mali n’est pas
en danger du fait d’un « putsch
militaire » mettant en péril un
processus de démocratisation exemplaire,
mais du fait de la démocratie formelle
et des enjeux géopolitiques, économiques
et stratégiques dont les citoyens
ordinaires n’ont pas la moindre idée.
Face au rôle de pompier pyromane de la
France dans la crise malienne, nous ne
pouvons pas nous empêcher de penser à la
loi N° 57-27 du 10 janvier 1957 créant
une Organisation Commune des Régions
Sahariennes (OCRS). Elle visait
« l’expansion économique
et la promotion sociale des zones
sahariennes de la République française
et à la gestion de laquelle participent
l’Algérie, la Mauritanie, le Soudan
(l’actuel Mali), le Niger et le Tchad ».
Pour sauver
véritablement le Mali, il convient de :
mettre ce drame national à profit pour
renouer avec la pensée critique et le
courage politique. Il est illusoire et
suicidaire de croire que nous sommes un
pays libre et indépendant, qui a juste
besoin de dirigeants démocratiquement
élus pour aller de l’avant. Les
défenseurs de cette thèse sont les
gagnants de l’ordre injuste et violent
du monde, plus soucieux de leurs
intérêts que du sort du peuple malien ;
repenser l’indispensable démocratisation
du Mali en termes de seconde libération.
Cette exigence qui s’imposait au plan
politique, économique, monétaire et
culturel revêt désormais une dimension
territoriale. La tâche est d’autant plus
rude que les enjeux sont colossaux et
les rapports totalement asymétriques ;
privilégier la résistance par le
réarmement moral, la créativité
politique et la solidarité envers les
plus vulnérables en l’occurrence les
femmes, les jeunes et les ruraux. La
tentation de mobiliser immédiatement
cinquante millions de dollars pour
l’achat d’armement ou de faire appel à
la force d’interposition de la CEDEAO,
ouvre la voie à une guerre asymétrique
et sans fin ;
gagner en lucidité et en maturité
politique en nous disant que les
« émergés » qui
dictent leur loi en économie comme en
matière de démocratisation ont d’abord
besoin des immenses richesses de notre
continent, en occultant la violence du
modèle économique qu’ils planétarisent :
pendant que le Mali s’enlise dans la
guerre au Nord et que les Maliens se
demandent comment survivre, le pillage
de l’or, dont leur pays est riche, se
poursuit allègrement au profit des
multinationales. Il nous appartient
d’être perspicaces dans l’analyse des
enjeux et des rapports de force et
audacieux dans la défense des intérêts
de notre pays qui ne sauraient être
confondus avec le compte en banque de
quelques individus légitimés par des
élections frauduleuses ;
faire du Mali un cas d’école pour la
CEDEAO, dont les chefs d’Etat dans leur
intransigeance envers les auteurs du
coup de force du 22 mars craignent
surtout d’être déstabilisés tant dans
leur position de rente que dans leurs
certitudes. La remarque est valable pour
les partis politiques dont le rêve est
de les remplacer dans l’ouverture de nos
économies au marché mondial déloyal ;
rappeler aux puissances occidentales que
ce sont les mêmes politiques
d’assujettissement et de pillage qui
sont à l’origine de l’émigration «
clandestine »,
l’intégrisme religieux et les attentats
qu’ils qualifient de terroristes.
Nous concluons, à
la lumière de ce qui précède, qu’il
n’appartient pas aux Chefs d’Etat de la
CEDEAO d’être juges et partie en
statuant sur l’état de la démocratie
comme dans le cas malien, mais aux
peuples souverains. La gravité de la
situation au Mali et dans la bande
sahélienne exige la convergence des
luttes des peuples agressés du Sud et
celles du Nord dont les dirigeants,
donneurs de leçons de démocratie et
fauteurs de guerres se sentent plus
redevables de comptes aux agences de
notations qu’à leurs électeurs.
Rendre justice au
peuple martyr du Mali dans les
circonstances actuelles, commence par la
levée immédiate de l’embargo qui lui est
infligé et la reconnaissance de son
droit à l’initiative, de penser et de
proposer à la CEDEAO une stratégie
concertée de sortie de crise.
Fait à Bamako, le 4
Avril 2012
SIGNATAIRES
AMINATA D. TRAORE
(ANIMATRICE DU FORAM, ESSAYISTE) ;
SEYDOU BADIAN KOUYATE (ECRIVAIN) ;
ASSETOU FOUNE SAMAKE (ENSEIGNANTE) ;
KARAMOKO BAMBA (MOUVEMENT NKO) ; ISMAEL
DIABATE (ARTISTE PEINTRE) ; DOUMBI
FAKOLY (ECRIVAIN) ; JEAN BOSCO KONARE
(HISTORIEN) ; MANDE ALPHA DIARRA
(ECRIVAIN) ; MADANI KOUMARE (
ECONOMISTE) ; BORIS BOUBACAR DIOP
(ECRIVAIN) ; ABDOULAYE NIANG
(ECONOMISTE) ; BOUBACAR COULIBALY
(EXPERT COMPTABLE) ; NDO CISSE
(UNIVERSITE DES LETTRES) ; NATHALIE
MDELA MOUNIER (ECRIVAIN) ; AISSATA CISSE
(COMMUNICATRICE) ; MARIAM KANAKOMO
(COMMUNICATRICE) ; SAFI SY (EDUCATRICE)
; SYLVIE SANOGO (EDUCATRICE) ; HAOUA
KEITA ; ABDOULAYE SANGARE (AVOCAT)
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