Afrique noire
Déclaration d'intellectuels,
hommes et femmes de culture sur la
rébellion au nord du Mali
Dimanche 19 février
2012
Etat des lieux
Comment comprendre la rébellion armée
qui, aujourd’hui, endeuille le Mali et
condamne des dizaines de milliers
d’innocentes et d’innocents à
l’insécurité et au déplacement forcé,
lorsqu’on ne veut pas s’en tenir au
schéma réducteur du conflit ethnique ?
La rébellion qui a débuté le 17 janvier
2012 crée dans notre pays une situation
de guerre civile.
L’heure est grave : l’intégrité du
territoire national et la cohésion
sociale sont aujourd’hui menacées.
L’honnêteté intellectuelle et la rigueur
qu’exige la gravité de la situation
actuelle du Mali imposent de lire cette
rébellion à la lumière du système
mondial et de ses crises.
Les réformes structurelles mises en
œuvre à partir de la décennie 80 en vue
de corriger les dysfonctionnements du
modèle néolibéral, n’ont pas atteint les
objectifs visés en terme d’amélioration
des conditions de vie des
populations, notamment l’accès à
l’alimentation, l’eau, l’éducation, la
santé et l’énergie domestique. Ce
constat, qui est valable pour l’ensemble
du pays, revêt des conséquences
particulières au Nord.
Enjeux
Le Nord Mali se caractérise par
l’extrême complexité des enjeux
géopolitiques, économiques et
stratégiques, sans la compréhension
desquels aucune paix durable n’y est
envisageable.
Le septentrion malien a souvent été le
théâtre de soulèvements d’une partie de
la population qui revendique son
autonomie par la voie des armes. Tous
les régimes, coloniaux et postcoloniaux
ont été confrontés à cette situation. De
l’indépendance à ce jour, les réponses
de l’Etat, qui ont été à la fois
militaires, politiques et
socio-économiques, n’ont pas pu y
instaurer la paix sur une base durable.
La mauvaise gestion, le clientélisme et
la corruption que l’on relève
dans
la gestion des affaires publiques,
exacerbent les frustrations et le
sentiment d’exclusion à l’échelle du
pays sans pour autant justifier la
violence armée dans les autres régions.
Par ailleurs, la manière de gérer la
libération des otages occidentaux a
conforté AQMI dans la création au Mali
d’un sanctuaire en liaison avec le
terrorisme international.
Nous sommes dans un processus programmé
de désintégration de l’Etat et de
cristallisation des identités ethniques
et régionales. De ce point de vue, nous
questionnons même la genèse de
l’appellation
« régions
du Nord ».
N’y a-t-il pas une volonté d’affaiblir
des Etats de la CEDEAO et l’Organisation
elle-même ?
N’allons-nous pas vers une résurgence du
vieux projet de l’Organisation des Etats
Riverains du Sahara (OERS) ?
Après le découpage du Soudan, nous
sommes en droit de nous interroger sur
l’intention des pays de l’OTAN de
procéder à une nouvelle balkanisation de
l’Afrique. Ne sommes-nous pas de fait en
présence d’un processus de dépossession
des ressources
agricoles et
minières
africaines, qui constituent aujourd’hui
une partie importante des réserves
mondiales pour la relance de la
croissance économique globale ?
De l’approche globale que nous
privilégions, il ressort que l’issue à
cette guerre fratricide récurrente n’est
ni militaire ni financière mais
politique, économique, sociale,
culturelle et diplomatique.
Face à cette situation :
Nous, intellectuels, hommes et femmes de
culture du Mali, signataires de ce
document déclarons
que :
-
L’intégrité du territoire, l’unité
nationale et la cohésion sociale du Mali
sont des acquis sacrés.
-
Le septentrion n’est pas une planète à
part, mais bel et bien une région du
Mali, particulièrement vulnérable, qui
n’en a pas moins subi les politiques
néolibérales qui ont aggravé les
inégalités, les injustices, la
corruption et l’impunité. De Kayes à
Kidal, les Maliens paient cher pour le
dépérissement de l’Etat que nous voulons
plus responsable, comptable et
souverain ;
-
La Paix véritable et durable dans le
Nord de notre pays et sur l’ensemble du
territoire, est au prix d’une nouvelle
compréhension de la situation du Mali et
de la bande Sahélienne qui intègre les
enjeux sous-régionaux et mondiaux;
-
Nous réfutons le discours réducteur de
la guerre ethnique ;
-
Nous déplorons le déficit de
communication et de dialogue sur
les
causes internes et externes des
questions majeures qui engagent le
destin de la nation ;
-
Nous condamnons le recours à la violence
armée comme mode de revendication dans
un contexte démocratique et déplorons
les pertes en vies humaines ;
-
Nous condamnons avec énergie les
agressions physiques, la destruction des
biens et la stigmatisation de nos
compatriotes Kel-Tamasheq et de peau
blanche, nos frères et sœurs, alliés et
voisins de quartier, de ville qui aiment
et se reconnaissent dans le Mali, leur
patrie, notre patrie commune à tous ;
-
Nous soutenons résolument nos forces
armées et de sécurité dans leur mission
sacrée de défense du territoire
national ;
-
Nous sommes
Un Seul et Même Peuple, uni par une
longue histoire multiséculaire de
rencontres, de brassages et de
résistances à l’adversité ;
-
La paix s’impose d’autant plus que les
femmes et les enfants sont pris dans
l’étau dans un conflit qui n’est pas le
leur ;
-
Les élections de 2012 sont donc une
occasion historique de renouveler la
réflexion sur un projet de société
adapté à nos réalités, davantage fondé
sur la culture de l’être et des
relations humaines à même de garantir la
prospérité, la paix, la stabilité et la
sécurité pour tous.
Nous signataires de la présente
Déclaration, présentons nos condoléances
les plus attristées aux familles des
victimes et à toute la nation malienne.
Nous exprimons notre solidarité à toutes
les familles déplacées victimes de
violences.
Bamako le 07 février 2012
Signataires
-
Aminata Dramane TRAORE, Essayiste
-
Abdoulaye NIANG, Socio-Economiste
-
Adama SAMASSEKOU, Linguiste
-
Filifing SAKO, Anthropologue
-
Hamidou MAGASSA, Socio-Economiste
-
Ismaïl DIABATE, Artiste-Peintre
-
Jean-Bosco KONARE, Historien
-
Mohamédoun DICKO, Historien
-
Mariam KANAKOMO,
Communicatrice
-
Ousmane TRAORE, Administrateur civil,
Juriste
-
Doulbi FAKOLY, Ecrivain
-
Kaourou DOUCOURE, Universitaire
-
Abderhaman SOTBAR, Professeur
-
Cheick PLEAH, Professeur
-
Mohamed COULIBALY, Ingénieur
-
Abdoul MADJIDOU HASSAN, Gestionnaire
-
Mahamadou H. DIALLO, Imam
-
Boubacar COULIBALY, Gestionnaire
-
Mme SiSSOKO Safi SY, CAHBA
-
Mme TOURE Alzouharata, Gestionnaire
-
Mme Awa MEITE VAN TIL, Designer
-
Dr Daba COULIBALY, Enseignant-Chercheur
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