Nurit Peled, israélienne, dont la
fille de 14 ans a été tuée dans un
attentat suicide, appelle à mettre
fin aux ghettos, à l’apartheid, au
racisme et à la peur instaurés par
l’Etat d’Israël.
Discours prononcé par Nurit Peled
le 9 Juin 2012
Je dédie mes paroles ce soir à
trois grévistes de la faim . Mahmoud
Sarsak qui jeûne depuis 83 jours. Un
excellent joueur de football de
Gaza, il a été arrêté il y a trois
ans en raison de la Loi contre les «
Combattants illégaux » qui a permis
qu’il soit emprisonné à vie, sans
procès et sans charges retenues
contre lui. Akram Rikhawi ,
emprisonné depuis 2004 et qui est en
grève de la faim depuis le 12 avril
en protestation contre son maintien
en détention en dépit de son état de
santé fragile. Et Samer al-Barq, qui
a recommencé sa grève de la faim
après l’avoir arrêtée en raison de
la signature de l’accord car comme
beaucoup de ceux qui ont été
relâchés, il a été l’objet d’une
nouvelle mesure de détention
administrative.
Ces prisonniers sont encore en
vie car « quand une fois la liberté
a explosé dans une âme d’homme, les
dieux ne peuvent plus rien contre
cet homme-là » ( Sartre, les Mouches
acte 2, 2ème tableau, scène 5). Ni
le dieu de la puissance Sioniste. Ni
l’ange de la mort Israélien. Ces
prisonniers et des milliers d’autres
comme eux, dont plus de 20 membres
du parlement et le Président du
parlement de Dr Aziz Dweik, sont
détenus sans procès ou aide
judiciaire dans des conditions
humiliantes depuis des années sans
visites et sans espoir. Ils sont les
combattants pour la liberté de ce
pays ,qui nous rappellent encore et
encore que nous vivons tous sous
occupation et que seule leur
libération pourrait restaurer notre
propre liberté.
Les citoyens Arabes d’Israël
vivent sous occupation depuis 65 ans
maintenant et les citoyens Juifs
d’Israël vivent en état de siège,
siège qu’ils se sont imposés à
eux-mêmes. Nous sommes tous
assujettis à un régime colonial ce
qui veut dire l’appropriation des
terres et des ressources en eau, le
nettoyage ethnique, la destruction
des paysages et la destruction de
l’esprit humain. Une langue et une
culture dont ils n’ont rien à faire
sauf pour exprimer leur statut
d’êtres conquis ont été imposées aux
Arabes dont la langue et la culture
ont été délibérément et
institutionnellement effacées des
vies des Juifs , et ainsi nous ne
pouvons pas enseigner à nos enfants
et rappeler à leur enfants « qu’il
peut aussi y avoir une histoire
d’amour entre un poète arabe et
cette terre. » ( Mahmoud Darwich ).
Ainsi, depuis sa création, Israël
a sans cesse perpétué, comme le font
les régimes d’oppression, une
société aliénée et une culture
coupée de cette région, de ses
habitants, de ses odeurs, de ses
saveurs. Même les arbres et les
fleurs de nos jardins sont aliénés,
étrangers et ne sont pas natifs
d’ici. Cette aliénation témoigne
encore et encore que depuis le jour
de sa création, Israël a posé comme
un blason sur son drapeau les
symboles de l’apartheid et du
racisme et évacué les symboles de la
liberté et de la fraternité qui sont
les gages d’une démocratie.
Cette année, le régime
d’apartheid de l’Etat des Juifs a
prouvé sa loyauté entière au racisme
et aux symboles du racisme.
Vingt-cinq projets de lois racistes
ont été soumis et plus de dix lois
racistes ont été votées cette année,
et à peine une poignée de citoyens
juifs sont descendus dans la rue.
Plus de 300 personnes emprisonnées
sans procès ont entamé une grève de
la faim absolue pendant deux mois et
plus, et à peine une poignée de
citoyens juifs sont descendus dans
la rue. Des milliers d’enfants ne
vont pas à l’école à Jérusalem-Est
parce que le ministre juif de
l’éducation n’ouvre pas les classes
et parce que la loi raciste de
citoyenneté fait d’eux des citoyens
de nulle part et personne ne descend
dans les rues. La séparation des
familles, l’expulsion des habitants,
la confiscation des terres, les
enfants tirés de leur lit et
interrogés cruellement, les familles
expulsées de leurs maisons et jetées
à la rue, les fermiers torturés par
des brutes portant Kippa agissant
sous la protection de l’armée et
sous les ordres du gouvernement – et
à peine quelques-uns descendent dans
la rue. Voilà le sommet de la
réussite du mouvement sioniste.
L’Etat d’Israël qui a été déclaré
officiellement comme un Etat
d’Apartheid se distingue par ce qui
a toujours été la méthode la plus
typique et la plus aboutie du
racisme : la classification des
êtres humains. La langue hébraïque
qui est en train de devenir de plus
en plus repoussante sous les
auspices de l’armée d’Occupation et
de la bureaucratie de l’Occupation
est pleine de classifications : il y
a les gens qui sont un cancer au
cœur de la Nation, il y a les
personnes qui sont un danger pour la
sécurité , et il y a les gens qui
sont une plaie ou un cauchemar
démographique et il y a des gens qui
sont un danger sanitaire, eux tous
sont classifiés et rangés en
catégories d’une façon telle que
même le plus ignorant et le plus
rustre des ministres israéliens est
capable d’apprendre ces catégories
par cœur.
Nous sommes tous sujets à
classification. Nous sommes tous
contrôlés par les lois racistes de
cet endroit et volontairement placés
dans des ghettos. Le ghetto sioniste
a appris à ne rien voir et à ne rien
entendre qui vienne d’au-delà les
murs qui l’entourent : les murs
réels fait de béton, et les murs
imaginaires faits d’obéissance, de
haine et de peur viscérale. Nous
n’osons pas protester contre les
lois racistes, nous n’osons pas
défier les signes racistes qui nous
interdisent a bouger sous peine
d’amende, nous n’osons pas défendre
les enfants torturés, nous n’osons
pas abattre les murs de Gaza, et
nous n’osons pas aller à Hébron et
Dheisheh , à Jenine et Ramallah pour
prendre des nouvelles de nos
voisins. C’est ça la grande victoire
de l’Occupation. Sous le couvert de
l’Occupation, nous choisissons
encore et encore de plier sous la
férule de criminels de toutes
sortes, criminels de guerre,
ignorants et rustres.
Ainsi, nous nous punissons
nous-mêmes pour notre impuissance et
le dessèchement de notre esprit.
Année après année, nous accompagnons
nos enfants aux portes des écoles,
et nous les laissons étudier dans un
système scolaire qui brûle les
livres d’histoire et de citoyenneté
et autorise les livres qui incitent
au meurtre des enfants.
Nous les abandonnons au lavage de
cerveaux et au mensonge au sujet de
la guerre de libération que nous
avons gagnée et le Jour de Jérusalem
qui signifie notre conquête , et la
parade de la Samarie , qui est à
nous , et nous les laissons être
conduits à Hébron , la Cité de nos
Patriarches, et à la Cité de David-
notre roi qui n’est pas en vie, et
peut être n’a jamais existe.
Les professeurs dans ce système
ne sourcillent même pas quand on
leur demande d’empoisonner le
cerveau de leurs élèves avec des
histoires fallacieuses à propos de
nos droits historiques sur les
terres de nos voisins, à propos de
l’héroïsme et de la victoire , quand
c’est en réalité du nettoyage
ethnique , suscité et planifié par
les institutions du racisme. Le but
ultime de l’éducation israélienne
est de préparer des enfants à
devenir les soldats obéissants des
forces d’occupation d’Israël.
Nous courbons la tête, quand
l’organisation terroriste la plus
institutionnalisée du monde nous
prend nos enfants et les recrute
dans ses rangs et leur apprend
comment classer les personnes,
comment classer les enfants, comment
classer les bébés, comment classer
les souffrances et comment classer
les morts. Et tout ça en vue
d’endurcir leurs cœurs et de
ralentir leur raison afin qu’ils
puissent malmener, détruire et tuer
avec une conscience propre. Nous
sommes à tel point sous occupation
que même lorsque l’être humain se
vide de son sang, nous continuons à
classer sans comprendre que tous,
les morts et les vivants, nous
sommes les victimes de l’Occupation.
Nous ressentons la douleur des
parents d’un seul soldat juif captif
et nous ne laissons pas la douleur
des milliers de parents d’enfants
palestiniens kidnappés nous
atteindre, ces parents qui ne sont
pas autorisés à rendre visite à
leurs enfants incarcérés pendant des
années car le prix exigé d’eux pour
une visite est la collaboration avec
l’oppresseur. Nous ignorons la
souffrance des enfants de Gaza qui
vivent dans les faubourgs de la
mort, victimes de malnutrition, de
manque de soins médicaux, sans
électricité, sans le droit à
l’éducation et aux moyens
d’existence, sans une chance et sans
un espoir.
Comme chacun le sait aujourd’hui,
la guerre de 1967 n’était pas une
guerre pour laquelle nous n’avions
pas le choix. C’étaient de jeunes
généraux qui se sont rués hors de
l’enclos, des poulains au sang chaud
qui ont germé et grandi dans le
ghetto sioniste et ont appris à
rêver des rêves de conquête. Ils se
sont entraînés jusqu’à en être
capables et ils ont profité d’un
moment de stupidité de la part des
voisins pour défoncer chaque
obstacle , pour abandonner toute
limite et pour conquérir et
s’étendre et détruire joyeusement
avec une raison intoxiquée, avec un
sentiment de suprématie et de
toute-puissance mais sans aucun plan
pour l’avenir , sans aucune pensée
pour le jour d’après et pour les
millions d’êtres humains assujettis
du jour au lendemain.
Afin de justifier la dévastation
et la destruction, les faiseurs de
mythes officiels (mythologues ??)
ont été mobilisés pour attribuer un
verset de l’Ecriture à chaque
meurtre profane et une Nation
entière a été balayée dans un
torrent de pillage et d’exploitation
se surpassant eux-mêmes chaque année
car le génie juif, à partir du
moment où il a été embrigadé pour la
cause de la ruine et de la
dévastation, de la destruction et du
meurtre n’a cessé d’acquérir
toujours plus de compétences.
Aujourd’hui, l’Occupation
commence à montrer ses effets sur la
qualité de vie de la nation
dominante et ils se dressent pour
demander la justice sociale. Mais la
justice sociale elle aussi entre
dans les classifications. La justice
sociale c’est pour les habitants de
ce ghetto-ci et pas de ce ghetto-là.
Les habitants de ce ghetto-là ne
pourraient que salir notre justice
sociale, si nous les incluions dans
nos revendications, si nous leurs
offrions une tribune, si nous
laissions leurs voix être entendues
pour revendiquer ce qui leur
appartient. Car ce ghetto-là est
fait pour des raisons de sécurité et
ses habitants ne sont pas des
victimes d’injustice ou de racisme,
ils sont des problèmes de sécurité
tous et chacun d’entre eux. Et quand
ils sont tués, ça n’est pas par
racisme mais pour des considérations
politiques et nous, nous ne nous
engageons pas en politique. C’est
ainsi que ce mouvement pour la
justice sociale, dont l’échec était
inscrit sur les murs depuis sa
conception, est le plus pur et le
plus spectaculaire produit du
système d’éducation Israélien.
Malheur à nous, dont les enfants
sont les criminels de l’Occupation
d’aujourd’hui, malheur à nous qui
avons aussi succombé au racisme ,
qui avons ainsi laissé les criminels
de l’apartheid occuper nos esprits
et nous couper de tout ce qui est
humain, de tout ce qui est juste, de
tout ce qui est paix et sérénité,
bon voisinage, amour de l’humanité ,
pitié et compassion afin de pouvoir
atteindre leurs vils objectifs.
L’esprit des grévistes de la faim
dans leurs cellules exigües exhalent
libération et liberté et notre
propre esprit est opprimé et
expirant.
Nous vivons dans un ghetto qui
n’a ni cité ni patrie, son langage
n’est pas celui de la région, un
ghetto qui ne s’ouvre sur rien sauf
des routes réservées aux juifs et
interdites aux palestiniens, qui
détournent, traversent sans voir ce
qui est vivant.
Le temps est venu où nous devons
rejoindre nos voisins de tout le
Moyen-Orient pour chanter les hymnes
de la vraie rébellion, temps de
déclarer l’ouverture des frontières
, de faire tomber les portes des
prisons, de rendre les oliveraies et
les vignes à leurs propriétaires, de
laisser rentrer les enfants de
Palestine dans leurs frontières et
dans leurs terres et de tenter de
retrouver ce qui a été foulé aux
pieds par les souliers cloutés des
brutes épaisses. Seulement alors, si
les vrais enfants de cette terre
nous permettent d’apprendre comment
y vivre, nous aussi pourrons nous
libérer nous-mêmes de l’Occupation
et être libérés de la peur.
Car, comme le disait Menachem
Begin : « l’essence de la liberté
est d’être libre de la peur, car la
peur est une loi d’autant plus
terrible qu’elle demeure cachée »
Parmi nous la peur est manifeste,
parmi nous la peur est la force
motrice/motivante de chaque acte.
Peur de refuser de servir dans
l’armée d’Occupation, peur de
s’engager pour soutenir un boycott
légitime des produits des colonies
illegales, peur de visiter les
voisins. Les enfants des jardins
d’enfants qui sont arrivés ici
d’Ethiopie il y a quelques mois
savent déjà qui haïr et de qui avoir
peur. Ils sont glacés de terreur et
de peur des Arabes dont ils n’ont
jamais vu un seul. Ils sont sûrs que
ce sont les Arabes qui ont brûlé le
Temple, assassiné les Juifs en
Allemagne , qui les détiennent à
Gondar, et qui les guettent de tous
côtés. Nous devons libérer nos
enfants des murs de peur et leur
enseigner les bases de la liberté et
de la responsabilité, leur
expliquer, et nous expliquer à nous
aussi, qu’une personne qui obéit à
des ordres qui l’empêchent d’aller
où il veut, même si c’est à Hébron,
Jenin ou Ramallah , n’est pas une
personne libre mais une personne
asservie. Une personne qui invente
des lois pour restreindre l’accès de
ses voisins à l’éducation où à des
moyens d’existence est une personne
opprimée, une personne subissant un
siège. Ce siège peut seulement être
levé par une résistance du type ce
celle dont nous sommes témoins à
Bil’in, Nil’in, Nabi Saleh , Maasara
et par une désobéissance civile
courageuse et un « Non » sans
ambiguïté – ainsi que le font nos
voisins.
Je voudrais conclure par ces
quelques lignes écrites par Almog
Behar , qui a écrit ce qui suit à
Mahmoud Darwich :
« A mon frère Mahmoud Darwish :
Qui a fait de notre histoire un
conflit
Et m’a placé parmi les hautes
tours
Debout, observant au-dessus des
lourdes portes de Gaza
Scrutant les fenêtres des maisons
dans le viseur de fusils
Qui a construit entre nous des
murs de béton et de fer, et les yeux
des caméras
Et nous a partagés entre
conquérants et conquis
Quand nous devrions être frères ?
»
Nurit Peled-Elhanan
Traduction en français : Roseline
Derrien