Première partie
"Il faut que ce soit clair qu'il n'y a pas de place pour
deux peuples dans ce pays... La seule solution est la terre
d'Israël, du moins la terre occidentale d'Israël, sans Arabes.
Il n'y a pas de solutions médianes, ici. Il n'y a pas d'autres
moyens sinon le transfert (l'expulsion) des Arabes d'ici vers
les pays voisins, les transférer tous... Il faut qu'il ne reste
aucun village, aucune tribu, tous doivent être transférés
vers l'Irak et la Syrie, et même à l'est du Jourdain. Pour exécuter
cet objectif, il nous faut beaucoup d'argent. Après le
transfert, le pays peut intégrer des millions de nos frères et
la solution juive trouvera une fin et une solution (Yosef Weitz,
al-Quds, 9 décembre 1940).
Cette étude a pour objet de suivre et d'analyser les attitudes
des dirigeants et théoriciens du mouvement sioniste, depuis
Herzl jusqu'à Sharon, sur ce que les sionistes appellent
"le problème démographique". Dans ce cadre, cette étude
se penchera sur les solutions proposées par les dirigeants et
théoriciens du sionisme à ce "problème", qui se
sont concrétisées par la politique du transfert et sa mise en
pratique sur le terrain. Cette étude nous conduira à étudier
les éléments qui ont amené Sharon à adopter l'institution du
système de l'apartheid dans les territoires palestiniens.
Les racines de l'idée de transfert
Les racines de l'idée de chasser le peuple arabe palestinien de
sa patrie sont celles du fondement du sionisme. Cette idée est
celle du mouvement sioniste, elle a accompagné l'évolution du
projet sioniste en Palestine, dès la fin du siècle dernier (XIXème
siècle) jusqu'à aujourd'hui. Les buts essentiels du sionisme
n'auraient pu se réaliser sans l'expulsion massive de tous, ou
de la majorité, des Palestiniens, de la Palestine. La simple présence
du peuple palestinien dans sa patrie représente une
contradiction fondamentale avec le sionisme et ses buts en
Palestine. Pour comprendre cela, il faut nous arrêter sur les
buts du sionisme.
Les chercheurs, qu'ils soient adeptes ou opposés du sionisme,
sont d'accord pour dire que les buts essentiels du mouvement
sioniste sont représentés dans les points suivants : d'abord,
la négation de ce que les sionistes appelent "l'exil"
et le rassemblement de la "diaspora" juive du monde en
Palestine et aux alentours; ensuite, la création d'un Etat juif
en Palestine et ses alentours; puis, cet Etat devrait être le
refuge de la sécurité pour les Juifs.
Si la Palestine avait été une terre inhabitée, ou si les pères
du sionisme avaient trouvé une région dans le monde inhabitée,
le mouvement sioniste n'aurait pas fait face à des problèmes
entravant son objectif. Car il aurait été possible, surtout
avec la diffusion de l'antisémitisme en Europe, de transporter
les Juifs, ou quiconque d'entre eux, vers le pays souhaité.
Mais, comme il était impossible de trouver une région sur
cette terre, inhabitée, le mouvement sioniste a commencé à exécuter
ses objectifs en Palestine, tout en instaurant une vision
officielle et formelle, secrète ou déclarée, niant la présence
des Palestiniens, et essayer, dans les faits et de façon non
officielle, de chasser ce peuple "inexistant".
Le principe du refus de l'"exil" et du rassemblement
de la "diaspora" est en totale contradiction avec la
présence du peuple arabe palestinien dans son pays. De ce fait,
fut adoptée la politique d'expulsion de ceux qui existaient,
soit en dispersant les Palestiniens, soit en les arrachant
à leur pays. Tout comme le principe de la formation d'un Etat
juif en Palestine et aux alentours fut et est en contradiction
avec les aspirations du peuple palestinien à fonder son Etat
indépendant en Palestine. Par conséquent, le mouvement
sioniste s'est appuyé sur la négation du droit des
Palestiniens à fonder leur Etat dans leur pays, la Palestine.
Quant au troisième objectif du sionisme, qui est de faire de l'Etat
juif un refuge de sécurité pour les Juifs, il en est résulté
la négation d'un lieu de sécurité pour les Palestiniens et la
transformation de la majorité des Palestiniens en réfugiés
vivant dans une insécurité permanente.
Contrairement aux autres mouvements colonialistes, le but
principal du mouvement sioniste n'était pas d'exploiter la
population autochtone en tant que source de main d'oeuvre bon
marché et en tant que marché pour ses produits. Les
dirigeants sionistes avaient conclu que l'adoption d'une
telle forme de colonialisme n'aboutira pas à un Etat Juif mais
à un Etat où les colons juifs seraient une minorité à la tête
de la société, alors que les Palestiniens, qui seraient les
couches les plus inférieures de la société, représenteraient
la majorité de la population, ce qui constituerait, à long
terme, un danger pour le projet sioniste. C'est pourquoi les
dirigeants sionistes ont agi pour se "débarrasser"
des Palestiniens, et les expulser hors de la Palestine. Il faut
rappeler que les sionistes, et notamment les "modérés"
d'entre eux, ont évité, la plupart du temps, d'utiliser le
terme "expulsion", car il porte les caractéristiques
de la sauvagerie et de la violence, le remplaçant par des
termes portant la même signification, tout en la rendant
acceptable, comme "transport", "échange de
populations", "ré-implantation" et "allègement
de la densité de la population".
Opinions des théoriciens sionistes
Tout en traçant les larges lignes du programme sioniste visant
à fonder l'Etat en Palestine et ses alentours, le fondateur du
mouvement sioniste, Théodore Herzl a écrit en 1897, dans ses mémoires,
à propos de l'attitude du mouvement envers les Arabes
Palestiniens, disant : "Nous essayerons de transporter les
couches les plus pauvres au-delà des frontières,
tranquillement, sans susciter de remous, en leur fournissant du
travail dans les Etats où ils seront transportés. Mais nous ne
leur accorderons pas du travail dans notre pays" (Oeuvres
de Théodore Herzl, (en hébreu), Tel Aviv, 21 juin 1897,
premier volume.)
Ce qu'a écrit Herzl, dans son journal, calmement et sans précipitation,
sans citer le terme "arabes" ou
"palestiniens", a été exprimé avec fougue par
Yisrael Zengwill, l'un de ses premiers collaborateurs. En 1897,
Zengwill a visité la Palestine et a observé la situation,
remarquant la présence du peuple arabe palestinien.
Et, partant de l'idée que la Palestine et ses alentours doivent
être un pays pour les Juifs seulement, il a appelé à l'expulsion
des Palestiniens par la force. Il a indiqué, dans un de ses
discours publics, à New York, que la "terre d'Israël est
habitée par les Arabes".
Il a ajouté "Nous devons nous préparer à les expulser du
pays par la force des armes, tout comme l'ont fait nos pères
avec les tribus qui y vivaient, sinon, nous nous trouverons face
à un problème, représenté par la présence d'une population
d'étrangers, nombreuse, à majorité musulmane, qui se sont
habitués à nous mépriser depuis des générations.
Aujourd'hui, nous ne représentons que 12% de l'ensemble de la
population, et nous ne possédons que 2%, seulement, de la
terre".
L'attitude sioniste hostile et appelant à l'expulsion des
Arabes ne s'est pas limitée à Herzl et Zengwill, elle a également
été partagée par le courant sioniste de gauche. Un an après
la fondation du mouvement sioniste, Nahman Sirkin a publié en
1898 un pamphlet portant le titre de "la question juive et
l'Etat juif socialiste", qui a posé les fondements du
"sionisme socialiste", courant qui a dirigé le
mouvement sioniste dans les années trente et qui a fondé et élargi
l'Etat juif par la suite.
Abordant la question des moyens à suivre pour réaliser les
objectifs du sionisme et fonder l'Etat juif, Sirkin propose le
transfert des Arabes palestiniens vers les Etats voisins.
Il demande aux sionistes de contacter les peuples soumis au
pouvoir turc, de collaborer avec eux pour les libérer de leur
oppression. Et après leur libération du pouvoir turc, "il
y aura un échange de population de façon pacifique, en
divisant le pays sur la base de nationalités. Et la terre
d'Israël qui n'est pas surpeuplée, et où les Juifs
constituent près de 10% de la population, doit être vidée
pour eux" (Sirkin, oeuvres, en hébreu, tome premier, Tel
aviv, 1939).
Borkhov, l'autre axe du courant sioniste de gauche, a partagé
avec Sirkin sa négligence des Palestiniens arabes et sa négation
de leurs droits nationaux en Palestine. En 1906, Borkhov
publie quatre articles avec pour titre "notre
programme", qui ont contribué à développer les bases théoriques
de ce qui fut nommé "le sionisme socialiste". Si
Borkhov ne demandait pas l'expulsion des Palestiniens, comme l'a
proposé son collègue, il a négligé leur présence et les a
"évacués" de la Palestine et de leurs droits
nationaux. Les Palestiniens, selon Borkhov, "ne résisteront
pas au projet sioniste", car "ils sont dépourvus de
toute structure économique ou civilisationnelle indépendante,
ils sont divisés et morcelés... ils ne constituent pas un
peuple". Plus, "ils savent s'adapter avec une grande
facilité, et rapidement, avec une civilisation plus avancée
que la leur, qui leur vient de l'extérieur". Borkhov
conclut que "les Palestiniens, avec le temps, seront intégrés,
économiquement et civilisationnellement, au sein des colons
sionistes, et par conséquent, ne constitueront pas un problème
arabe à l'intérieur de l'Etat juif" (Borkhov, Oeuvres, en
hébreu, premier volume, 1955).
Tous les dirigeants et théoriciens du mouvement sioniste furent
unanimes, et notamment au cours des premières décennies du XXème
siècle, pour ignorer le peuple palestinien, négliger sa présence
et ses droits nationaux sur sa patrie. Cette ignorance et négligence ont
atteint un tel point que l'écrivain et penseur juif, Isaac
Ipstein a été obligé de lancer un cri d'alarme, ce qui
l'a placé en situation minoritaire et l'a exposé à une
attaque virulente de la part des dirigeants colons sionistes. En
1906, Ipstein écrit un article dans un journal hébreu en
Palestine, ayant pour titre "la question inconnue" où
il critique violemment la politique et les pratiques du
mouvement sioniste envers les Palestiniens, et notamment les
moyens d'arracher la terre aux Palestiniens et leur expulsion.
Il a critiqué avec virulence les dirigeants sionistes qui
"se préoccupent de questions élevées" alors que
"la question de ce qui existe en Palestine, ses ouvriers,
ses paysans, ses maîtres réels, n'a pas été soulevée, ni
dans la pratique, ni en théorie", et cela parce que les
dirigeants sionistes nient qu'il "existe dans ce pays un
peuple entier qui s'y accroche depuis des centaines d'années,
et qui n'a pas du tout l'intention de s'en aller ailleurs"
(Ipstein, la quetion inconnue, 1907).
La tentative infructueuse d'Ipstein, fut une quête de
la conscience égarée et une mise en garde adressée aux colons
sionistes de la négligence des Arabes, ce qui conduirait à des
résultats dont les conséquences seraient désastreuses, mais
elle fut accueillie par la colère des colons, surtout qu'il n'a
pas hésité à louer les qualités des Arabes. Plusieurs
écrivains et dirigeants sionistes lui ont répondu, considérant
ses idées comme un danger national, et proclamant de nouveau
leur attachement aux objectifs sionistes visant à constituer
une majorité juive et une "patrie nationale" en
Palestine.
Dans ce climat, Arthur Rubin présente au comité exécutif du
mouvement sioniste, suite à un voyage effectué en Palestine en
1907, un plan où il propose la formation d'une majorité juive
dans plusieurs régions de la Palestine, puis de les relier
entre elles par le biais de la colonisation.
Les conséquences de la déclaration Balfour
La déclaration Balfour, ainsi que la mise en place du mandat
britannique, a renforcé la position du mouvement sioniste,
notamment celle qui consiste à ignorer la présence
palestinienne et à nier leurs droits nationaux. La déclaration
Balfour a fait la promesse de fonder "un Etat
national" pour les Juifs en Palestine, ignorant les droits
nationaux du peuple arabe palestinien, qui représente la
majorité absolue de la population du pays. Max Nordau, dont
l'influence était grande au sein du mouvement sioniste et qui
était le bras droit de Herzl, fut le premier à avoir
formulé l'attitude du sionisme envers les Arabes Palestiniens,
après la déclaration Balfour. Au cours des trois années
suivant la déclaration, Nordau a posé les principes de base
que Jabotinsky, fondateur du mouvement révisionniste, a
plus tard développé.
Nordau a appelé à renforcer et à développer la colonisation
sioniste en Palestine, en s'écartant et en isolant sa
population autochtone. Il a distingué entre le niveau pratique
que le mouvement sioniste doit appliquer envers les Palestiniens
et entre la position de principe sur la souveraineté en
Palestine et aux alentours. Sur le plan pratique, Nordau a essayé
de calmer les Palestiniens en les "rassurant" sur le
fait que le sionisme ne vise pas à les arracher, pour éviter
de les mobiliser contre le projet sioniste. Quant à la position
de principe, Nordau a insisté très fermement sur le fait que
les Juifs avaient un droit historique et la souveraineté sur la
Palestine. Et pour réaliser "ce droit historique", ce
qui signifie la souveraineté juive sur la terre palestinienne,
il a appelé à apporter plus d'un demi-million de colons juifs,
immédiatement, en Palestine, afin que les Juifs deviennent la
majorité dans le pays, ajoutant "tant que les Juifs ne
constituent pas la majorité, en Palestine et ses
alentours, leur "droit historique" et leur souveraineté
sur le pays sera toujours l'objet d'interrogation" (les
positions de Nordau sont expliquées dans ses oeuvres, tome
quatre, al-Quds, 1962).
Deuxième partie : la commission Peel et l'idée de
transfert
Benjamin Jabotinsky, fondateur et dirigeant du courant révisionniste
dans le mouvement sioniste, - courant qui s'est opposé au
courant travailliste et a pris ses distances de l'organisation
sioniste mère, en fondant une organisation sioniste parallèle,
pour une période, et qui a pris le pouvoir en Israël en 1977,
sous la direction de Menahim Begin, "élève" et
"successeur" de Jabotinsky - a repris les opinions de
Max Landau tout en les développant et les modifiant.
En 1923, Jabotinsky publie deux articles intitulés "à
propos du mur de fer" et "la moralité du mur de
fer", où il fonde les bases théoriques du mouvement révisionniste,
définit l'attitude envers la Grande-Bretagne, l'attitude envers
les Arabes et la politique de l'administration sioniste.
Jabotinsky a considéré qu'il ne pouvait parvenir à un accord
entre le mouvement sioniste et les Arabes Palestiniens, ni en
son temps, ni dans un avenir proche, par rapport à sa génération,
à cause de la nature humaine et les leçons de l'histoire. Il
n'y a jamais eu, dans l'histoire humaine, un accord de plein gré,
de la part d'une population autochtone, pour accepter des colons
venant de l'extérieur, et renoncer à leur souveraineté sur
leur pays. Il a affirmé que ce principe s'appliquait aux Arabes
palestiniens qui connaissent les buts et les dangers que représente
le sionisme pour eux, qui s'y opposent et qui résistent contre
ses premières manifestations, en Palestine.
Il se moquait des sionistes qui considéraient que pour réaliser
le sionisme, les Arabes devaient être d'accord. Il les appela
à admettre qu'une telle condition était impossible à réaliser,
à moins d'abandonner le sionisme. Il a même exposé son idée
de manière plus vive, lorsqu'il a affirmé que la colonisation
sioniste devrait soit être stoppée soit être poursuivie sans
prendre en compte ni s'arrêter à l'attitude des habitants
autochtones. Il atteint son but en déclarant qu'il "était
possible à la colonisation de se développer, sous protection
d'une force non liée aux habitants autochtones, derrière un
mur de fer, que les habitants autochtones ne pouvaient
percer". Le mur de fer dont Jabotinsky parlait était
la force militaire juive officielle.
Jabotinsky a posé comme conditions pour la réalisation des
buts sionistes et la création d'un Etat Juif en Palestine et
aux alentours la fondation d'une force militaire juive
officielle qui impose le projet sioniste aux Arabes. Il a affirmé
que le but du sionisme était et restera la formation d'une
majorité juive sur la "terre d'Israël". Pour réaliser
ce but, Jabotinsky a appelé à renforcer la collaboration avec
la Grande-Bretagne et l'instauration d'un "mur de
fer", qui assurera la protection pour accueillir 50.000
immigrants juifs par an, pendant trente ans, à partir du milieu
des années 20. Il a proposé d'accorder une autonomie aux
Arabes Palestiniens lorsque les Juifs deviendraient une majorité
et fonderaient leur Etat juif.
La commission Peel et l'expulsion
Suite à la révolution de 1936 dont l'ampleur s'était accrue,
le gouvernement britannique pris l'initiative de constituer
la commission d'enquête Peel, pour étudier la situation en
Palestine, surnommée commission Peel, du nom de son fondateur,
Lord Peel.
La commission proposa dans son rapport présenté au
gouvernement britannique, adopté au mois de juillet 1937, le
partage de la Palestine en deux Etats, un Etat Juif qui
occuperait 20% de la surface de la Palestine et un Etat arabe
sur le reste de la surface de la Palestine et la région à
l'est du Jourdain. Bien que les recommandations de la
commission Peel échouèrent comme les suivantes, elles
prirent cependant de l'importance, à cette époque, car elles
ont ajouté le caractère légal à trois questions essentielles
:
1 - La demande de l'instauration d'un Etat juif en Palestine, ce
que le mouvement sioniste n'avait pas osé demandé,
officiellement, même s'il avait appelé à la fondation d'une
"patrie nationale juive" en Palestine.
2 - Le rattachement des régions palestiniennes non incluses
dans l'Etat juif proposé à l'est du Jourdain.
3 - La demande d'un échange de population entre l'Etat juif et
l'Etat arabe.
La commission Peel a mentionné qu'il se trouve, à l'intérieur
de la superficie qu'elle a réservée à l'Etat juif, plus de
225.000 Arabes alors qu'il se trouve à l'intérieur de l'Etat
arabe proposé 1250 Juifs. La commission a considéré que la présence
de ce nombre d'Arabes à l'intérieur de la superficie réservée
à l'Etat Juif ne peut qu'entraver la création d'un Etat Juif,
et de ce fait, la partition. Elle a donc proposé une solution
pour réussir la partition, qui serait l'expulsion de la majorité
des Arabes par la force sous couvert d'"échange de
population".
L'attitude de David Ben Gourion
Les recommandations de la commission Peel ont suscité un
vif débat au sein des dirigeants sionistes. Les premières réactions
sionistes furent fortement opposées aux recommandations qui
divisent "la terre d'Israël" et accordent aux Juifs
"une petite part" seulement, mais l'opposition va
aller s'amenuisant, progressivement, jusqu'à devenir un soutien
réservé à la réalité de la recommandation du comité, soit
l'expulsion des Arabes Palestiniens de l'Etat juif proposé.
On peut remarquer la transformation de l'attitude sioniste
en suivant celle du dirigeant du courant sioniste travailliste,
David Ben Gourion. Au début, Ben Gourion a nettement refusé
les recommandations de la commission Peel, lui collant tous
les attributs négatifs, mais cette attitude a progressivement
changé pour adopter un soutien réservé. Cette
transformation de son attitude était due à sa
conviction que si les sionistes exerçaient des pressions sur le
gouvernement britannique pour exécuter l'expulsion, il n'y
aurait plus d'entraves véritables à la fondation d'un Etat
Juif.
Ben Gourion a accordé une grande importance aux recommandations
d'expulsion faites par la commission Peel, et a affirmé que le
mouvement sioniste devait s'appuyer sur "la recommandation
tout comme nous nous sommes appuyés sur la déclaration
Balfour, comme nous nous appuyons sur le sionisme lui-même. Il
nous faut tenir à cette recommandation, de toutes nos forces,
notre volonté et nos espoirs, car cette recommandation, parmi
les autres, contient les indemnités des parties du pays qui
nous sont arrachées... L'article de l'expulsion est, à mon
avis, plus important que l'ensemble de nos revendications pour
augmenter la superficie... Si nous n'avons pas les moyens de
sortir les Arabes qui sont parmi nous, et les transférer vers
les régions arabes, ce que propose la commission britannique,
nous ne pourrons plus le faire avec cette facilité (si nous
avions pu le faire) après la création de l'Etat, lorsque le
monde hostile sera en train de nous regarder, pour surveiller
notre comportement envers notre minorité". (Ben Gourion, mémoires).
Berl Katznelson, le théoricien de la gauche sioniste dont les
partisans défendent les qualités morales et les positions de
principe, a approuvé les opinions de Ben Gourion concernant
l'expulsion. Dans le feu des discussions sur les recommandations
de la commission Peel, il a mentionné, dans une réunion du
comité exécutif de l'organisation sioniste, que "la
question de l'expulsion a suscité une discussion vive parmi
nous, est-elle permise ou interdite ? Ma conscience est très
tranquille. Un voisin éloigné est meilleur qu'un ennemi
proche. Eux ne perdront pas après leur transfert, et nous, évidemment,
nous ne perdrons pas. Cette question est, en dernière analyse,
une réforme politique coloniale, pour l'intérêt des deux
parties. Je considère que c'est la meilleure solution. Et au
moment de la révolte, je fus certain que cette question devait
être suscitée un jour. Mais, je n'avais pas pensé que le
transfert serait vers l'extérieur de "la terre d'Israël",
je pensais plutôt à la région près de Nablus, et je suis
encore convaincu qu'ils seront transférés, dans l'avenir, vers
la Syrie et l'Irak"
Unanimité nationale pour le transfert
Avec l'accentuation du conflit entre sionistes et Palestiniens,
une unanimité "nationale" fut constituée, au sein
des partis sionistes en Palestine, pour expulser le peuple
palestinien vers les Etats arabes, et notamment vers la Syrie et
l'Irak. Cette unanimité fut dirigée par le parti Mapaï qui a
dirigé le mouvement sioniste, puis l'Etat d'Israël, dès
1933 jusqu'en 1977, et qui a regroupé dans ses rangs, dans les
années trente, le parti Ahadot Hafoda, plus dur envers les
Arabes, qui a fait scission du Mapaï pour se retrouver avec le
Mapam dans les années 40, puis qui a quitté ce dernier pour être
indépendant dnas les années 50 et revenir au giron du Mapaï
en 1965.
Cette unanimité n'a pas exclu de ses rangs le courant
travailliste sioniste, le parti Mapam, qui s'appelait Hashomer
Hatsaïr (le jeune gardien) à cette époque, et qui chantait la
fraternité arabo-juive, et levait le mot d'ordre de la
fondation d'un Etat binational pour les Arabes et les Juifs. L'attitude
de ce parti peut être comprise à partir de celle de Aharon
Cizling, l'un des dirigeants du parti, qui a affirmé : "je
ne nie pas notre droit moral à proposer l'échange de
population. Il n'y a aucune atteinte morale dans cette
proposition qui vise à rassembler et à développer une vie
nationale... Cela peut arriver dans le cadre d'un nouvel ordre
mondial".
Il a indiqué que la question de l'échange de population n'est
pas pratique dans ces conditions, mais a affirmé que sur le
long terme, il est logique qu'il y ait un échange de population
entre les habitants de "la terre d'Israël" d'une part
et les Etats arabes de l'autre, par le transfert des Juifs de
ces Etats vers la "terre d'Israël".
En plus du courant des partis travaillistes sionistes,
l'expulsion a été soutenue par les dirigeants des partis
sionistes "généralistes", dirigés par Haïm
Weizmann, premier président de l'Etat d'Israël, qui ont visé
à "transformer la Palestine en un Etat Juif entièrement
pur comme l'Angleterre est anglaise".
De même, l'organisation Lehi (les combattants pour la liberté
d'Israël), connue également par la bande Stern, a demandé
l'expulsion des Palestiniens. L'article 14 des principes
fondamentaux du mouvement, écrits par son fondateur et théoricien
Abraham Stern, qui fut remplacé à sa mort, par une direction
tripartite, dont Ishaq Shamir, est explicite à ce propos
parlant de la "résolution du problème des étrangers par
le biais de l'échange de population".
A la fin des années trente, une unanimité sioniste appelant à
l'expulsion fut constituée, avec l'adhésion de Jabotinsky à
cet appel, dans une lettre envoyée à la veille du décès de
l'un de ses collaborateurs en Palestine. Dans ces conditions,
quelques activistes indépendants ont affirmé leurs points de
vue spécifiques sur cette question. Le plus connu étant
Abraham Sharon, auteur de la théorie "du sionisme
sauvage" qui a appelé à l'expulsion définitive des
Arabes en direction de l'Irak, "afin qu'il ne reste dans
notre Etat qu'un faible nombre d'individus et de catégories
qu'il est impossible de transférer d'une quelconque manière".
Pour avoir plus d'informations à ce sujet, lire, en anglais
A historical survey of proposals to transfer Arabs from
Palestine : 1895-1947
et
Traduit par Centre d'Information
sur la Résistance en Palestine