Haaretz, 15 mai 2006
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=715981
Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/715820.html
L’arrêt de justice sur la question de la Loi de
Citoyenneté est un chef-d’œuvre, une merveille de dénégation
Pour
exprimer la position majoritaire dans l’arrêt de justice portant
sur la question de la Loi de Citoyenneté (décret temporaire), arrêt
de justice permettant de refuser aux citoyens arabes les droits
qu’ont les Juifs – le juge Mishael Cheshin écrit :
« Si un jour le
Parlement promulguait une loi sur l’immigration dont un des
objectifs serait de conserver une majorité juive dans l’Etat d’Israël,
il se pourrait que la Cour se voie requise de débattre en
profondeur de la question démographique. La Cour abordera alors le
sujet et en viendra à bout. Mais telle n’est pas la situation
dans notre affaire puisque nous n’avons pas été sollicités à débattre
de ce sujet ». Si bavard soit-il, ce texte ne peut écarter
la grande ombre suspendue hier au-dessus de la Cour Suprême,
l’ombre d’Avigdor Liberman. Il y a de quoi fortement douter que
la Cour Suprême soit en mesure d’assurer protection à la minorité
arabe d’Israël face à de nouvelles avancées dans la législation
raciste.
« La
question démographique » ne cesse de résonner à
longueur de pages dans cet arrêt de justice, essentiellement sous
la forme de la dénégation. Cet arrêt de justice, il faudrait
l’enregistrer comme un chef-d’œuvre, une merveille de dénégation.
Sans doute la juge Ayala Procaccia, représentant l’opinion
minoritaire, écrit-elle à propos de la question démographique :
« Même s’il ne
s’agit pas de discréditer le facteur sécuritaire, il pourrait y
avoir ici de quoi passer au crible sa portée et son intensité… »
(le juge Salim Joubran écrit également dans cet esprit-là), mais
l’essentiel du déni se trouve dans les propos d’Aharon Barak [le
Président de la Cour Suprême - NdT] qui s’obstine à écrire
que ce n’est pas la question de la « majorité
juive » qui a motivé le législateur à amender la loi.
Pourquoi Aharon Barak s’obstine-t-il à intégrer dans son arrêt
la dénégation du mobile démographique ?
Peut-être
la contribution du Président vise-t-elle à repousser toute
critique pouvant être portée contre la Cour Suprême dans la
communauté des juristes étrangers. Peut-être a-t-il cherché à
garantir que cet arrêt de justice ne fournira pas au législateur
une base juridique pour, à l’avenir, continuer à approfondir la
législation d’apartheid. Car depuis la création de l’Etat, le
motif sécuritaire a servi en quelque sorte de façade pour abriter
d’autres considérations. L’identification même qui est faite
de la « sécurité de l’Etat » avec la notion de « majorité
juive » est le produit de cette longue tradition que
l’on peut voir dans la législation détaillée et tortueuse en
matière de propriété sur les terres. Là aussi, les mots « sécurité
de l’Etat » ont servi de masque pour garantir le privilège
de la majorité juive. La Cour Suprême ne peut plus s’en laver
les mains. En outre, le débat public à propos de la loi et ce
qu’en ont dit ses défenseurs enthousiastes – touchant précisément
à la question du « maintien
de la majorité juive » – ne peuvent être balayés
d’un revers de la main.
L’arrêt
de la Cour rendu hier mêle les deux questions de « majorité juive » et de « sécurité de l’Etat » sous l’aspect formel d’une
« politique de
l’immigration » tout en usant, par dissimulation, de la
législation européenne contre l’immigration en provenance des
pays du tiers-monde. A cette fin, le juge Mishael Cheshin a eu
recours à un article détaillé, écrit par le Professeur Amnon
Rubinstein et Liav Orgad (« Droits
de l’Homme, sécurité de l’Etat et majorité juive – le cas
de l’immigration pour les besoins du mariage ») et publié
au début de l’année dans le périodique « L’avocat ».
Même le titre de l’article pointe le lien entre la « sécurité »
et la question de la « majorité juive ».
Le
juge Mishael Cheshin écrit : « Ce
qui apparaît au-delà, c’est le droit de l’Etat de ne pas
autoriser des habitants d’un pays ennemi à entrer sur son
territoire en temps de guerre… ». Pourtant les
Palestiniens qui vivent dans les Territoires occupés ne sont pas
les « habitants d’une
pays ennemi ». Ils ne sont les habitants d’aucun pays.
Cela fait plus d’une génération qu’ils sont les sujets
de l’occupation israélienne. Ils n’ont en outre pas d’autre
pays et déjà lorsqu’à l’occasion de l’examen de leur requête
en février, le juge Mishael Cheshin a proposé à des plaignants
« d’aller à Jénine »[i],
il savait parfaitement à quoi il condamnait les Palestiniens des
Territoires, comme aussi les citoyens arabes de l’Etat d’Israël :
se presser dans l’espace qui leur est offert, vivre à côté de
Juifs arrivés de tous les pays du monde par dizaines de milliers,
s’accommoder du fait que sur le million des arrivants des 15 dernières
années, un tiers n’est pas juif sans pour autant menacer la
« majorité juive »,
non pas du fait qu’ils ne font pas « partie
d’un pays ennemi » mais parce qu’ils ne font pas
partie du peuple palestinien. Aucun formalisme ne peut forcer la
question palestinienne à entrer dans une formule faussement
innocente comme « immigration
vers un pays européen » ou « immigration en provenance d’un pays ennemi » (il ne s’agit
pas d’une immigration venant de Syrie). Il s’agit de la vie
d’une communauté dont une partie vit dans un pays qui exerce une
discrimination et dont l’autre partie vit sans défense sous une
occupation de longue durée.
La
seule consolation que quelqu'un d’équitable peut retirer de cet
arrêt de justice se trouve dans les sobres propos écrits par
Aharon Barak : « Il
n’y a aucune possibilité de maintenir une distinction tranchée
entre le statut des droits de l’homme en temps de guerre et leur
statut en temps de paix. La frontière est étroite entre le
terrorisme et le calme. Il en est ainsi partout. Il en est ainsi
bien évidemment en Israël. Il n’y a aucune possibilité de
maintenir cette distinction durablement. Nous devons nous référer
aux droits de l’homme sérieusement aussi bien en temps de guerre
qu’en période de calme. » Et Aharon Barak d’ajouter :
« Nous devons nous libérer
de la croyance naïve qu’une fois le terrorisme passé, il sera
possible de ramener en arrière les aiguilles de l’horloge ».
D’un autre côté, qui peut bien encore garder une croyance aussi
naïve à la lecture d’une telle décision de justice ?
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
[i]
Lors d’un débat devant
la Cour Suprême qui devait statuer sur un recours en annulation
de l’amendement à la Loi de la Citoyenneté, Mishael Cheshin
avait déclaré que des citoyens israéliens qui épousaient des
Palestiniens devaient aller vivre à Jénine. (NdT)
|