Haaretz, 15 mars 2006
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=694419
Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/694230.html
Lorsqu’en
1960, la Loi fondamentale sur l’Administration des Terres d’Israël
est passée au Parlement, le Ministre de la Justice de l’époque,
Zerah Warhaftig, a expliqué son importance, en séance plénière :
« Car que voulons-nous ? », a-t-il dit, « Nous
voulons quelque chose qu’il est difficile de définir. Nous
voulons qu’il soit clair que la terre d’Israël appartient au
peuple d’Israël. Le peuple d’Israël, c’est une notion plus
large que le peuple installé à Sion, parce que le peuple d’Israël
se trouve dans le monde entier. D’un autre côté, chaque loi que
nous adoptons vise le bien de tous les habitants du pays ; or
tous les habitants du pays, cela comprend aussi des gens qui
n’appartiennent pas au peuple mondial d’Israël… La terre ne
sera pas vendue à tout jamais…[i]
La terre d’Israël, les terres d’Israël ne seront pas vendues
à tout jamais. »
Le
bégaiement de Warhaftig, repris des « Procès-verbaux du
Parlement », ne découle pas d’une difficulté
d’expression, mais de la phrase centrale de son discours :
« Nous voulons quelque
chose qu’il est difficile de définir ». L’Israël démocratique
n’a jamais réussi à parler d’égalité pour tous, sans bégayer.
Tout le tortueux appareil législatif, qui empêche les Arabes d’être
propriétaires de terres au-delà de ce qu’il leur est resté une
fois transformés en minorité, fait partie de ce dont on ne parle
pas et qui pourtant guide notre comportement.
Même
à bout d’arguments portant sur la sécurité de l’Etat (comme
dans l’affaire de l’amendement de la loi sur la citoyenneté,
actuellement débattue devant la Cour suprême, et dont l’objet
est la discrimination des citoyens arabes pour tout ce qui touche à
l’unification familiale) ou encore lorsqu’il n’y a aucun lien
avec la discrimination institutionnalisée au profit de la majorité
juive, même alors, une large discrimination, ancrée dans la loi,
et qui vise les citoyens arabes vient porter son ombre sur tout.
Depuis
1950, les Arabes restés à l’intérieur des territoires de l’Etat
d’Israël ont résidé sur 3% à 3,5% des territoires du pays, la
majorité des terres ayant été expropriées. En outre, seuls 2%
environ étaient affectés à l’habitat ; 1% leur restait
pour l’agriculture. La majorité des Arabes était condamnée à
devenir des journaliers. Jamais industrie n’a été établie dans
leurs villages ; l’industrie, en Israël – tant dans le
secteur privé que public – a toujours été établie avec
l’aide de l’Etat.
Mais
l’essentiel réside dans des chiffres qui ne peuvent être contestés :
1.340.000 personnes vivent aujourd’hui exactement sur ces mêmes
terres qui leur avaient été « allouées »
quand ils étaient 160.000 et avaient été expulsés de leurs
terres. Aucune description de la discrimination ne serait complète
sans une description de la densité de population dans les localités
arabes. Ils ont été enfermés dans une zone où il n’y a pas
beaucoup d’espoirs d’un développement égalitaire.
Dès
lors, bien qu’il y ait beaucoup de mesures que l’Etat a la
possibilité de prendre même sans modifier la Loi fondamentale, il
est difficile de parler d’égalité en matière d’enseignement,
de santé ou de culture sans parler de l’appareil législatif qui
veille minutieusement à interdire aux Arabes toute possibilité
d’être maître de leur sort, comme citoyens égaux aux citoyens
juifs. On ne peut pas non plus, chaque fois que la question est
soulevée, repousser le débat au prétexte de « trahison
du rêve sioniste » ou avec l’accusation de « post-sionisme ».
C’est
ici qu’entre dans le tableau l’interview de Tzipi Livni à
Haaretz (12 mars 06). Un Arabe citoyen d’Israël pourra-t-il, une
fois mise en œuvre l’égalité de « Kadima » (« comme
pour les Juifs aux Etats-Unis », a dit Tzipi Livni),
s’acheter un lopin de terre ? Les jeunes d’un village
surpeuplé de Galilée pourront-ils s’établir sur la colline, en
face de leur village ? Ou bien les collines en dehors du
village continueront-elles d’être l’emplacement
d’avant-postes, quartiers chics et banlieues pour Juifs seulement ?
Tout ceci est trop sérieux pour en faire une promesse électorale.
Tout ceci est trop douloureux pour la minorité arabe pour en faire
une sorte d’appât : votez pour nous, bien que nous n’ayons
aucun candidat pris parmi vous, et nous vous arrangerons quelque
chose.
Le
jour où a été publié le nouveau rêve libéral de Tzipi Livni en
faveur de l’égalité, a également été publiée la décision du
gouvernement d’une « discrimination
positive » à l’égard des Arabes. Le nouveau parti au
pouvoir promet l’égalité, comme si pas un seul de ses ministres
n’avait été au gouvernement une semaine plus tôt, comme si ce
n’était pas le même gouvernement, pas les mêmes ministres qui
avaient décidé de « zones
de préférence nationale » dans le cadre desquelles ils
avaient cherché à octroyer aux seuls Juifs des avantages dans
divers domaines, principalement dans le secteur de l’enseignement.
On doit à la seule Cour suprême d’avoir annulé ce plan il y a
quelques jours parce qu’il était fondé sur une discrimination
raciale.
Voici
une proposition concrète adressée à Tzipi Livni : avant
toute chose, mettre sur pied une commission nationale
d’investigation sur la discrimination des citoyens arabes en Israël.
Non pas pour identifier des coupables, mais pour passer tout en
revue : mortalité infantile, moyenne d’âge, nombre
d’accidents de la route et de condamnations devant les tribunaux,
taux de chômage, investissements dans l’enseignement, dans la sécurité
sociale et dans les infrastructures. Voilà qui pourrait constituer
une nouvelle ouverture.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
[i]
Lévitique XXV, 23-24 : « Nulle terre de sera aliénée irrévocablement, car la terre est à moi,
car vous n’êtes que des étrangers chez moi. Et dans tout le
pays que vous posséderez, vous accorderez le droit de rachat
sur les terres. » (trad. fr. sous la dir. de Z. Kahn,
Librairie Colbo)
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