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On apportera les Tables de la Loi très bientôt
Yitzhak Laor


Haaretz, 11 janvier 2005
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=668938

Version anglaise : The Ten Commandments are on the way
www.haaretz.com/hasen/spages/668699.html


Rien dans la farce politique qui se joue en ce moment n’a commencé avec l’hémorragie. Pendant des mois, des politiciens et les principaux médias se sont comportés comme si Sharon était Moïse au Mont Sinaï.

Chez tout homme, la vue de la souffrance du prochain suscite un sentiment de compassion, à moins qu’il n’ait lui-même puisé sa conception de la souffrance d’autrui dans l’héritage d’Ariel Sharon. Il vous vient un sentiment de compassion à la vue des schémas du cerveau et en entendant les descriptions faites par des chirurgiens à la télévision. En attendant, tout le monde grimpe sur l’ « Altalena » [i] : l’un pleure à la télévision en se rappelant l’aventure de Qalqilyah, un autre était avec lui à Umm Katef, un troisième au Canal de Suez et tous sont évidemment restés en vie pour pouvoir raconter la gloire du vainqueur. Il n’y a qu’à Qibiya que, pour une raison ou une autre, Sharon était tout seul, et pour vous enseigner que l’Histoire a au moins un avantage : il y a des événements auxquels nul ne veut être associé, même après coup.

Mais rien dans la farce politique qui se joue en ce moment n’a commencé avec l’hémorragie cérébrale. Pendant des mois, en Israël, des politiciens et bien sûr les principaux médias se sont comportés comme si Sharon était Moïse au Mont Sinaï et qu’il était sur le point d’apporter les Tables de la Loi. Maintenant on espère qu’à défaut des Tables de la Loi, il y aura au moins quelques bouts de papier sur lesquels l’homme aura noté les candidats de Kadima au Parlement, Tzachi Hanegbi à sa place, Gideon Ezra à la sienne et Avi Dichter bien entendu. En ces moments historiques, devant la télévision, il importe de repérer la nature de l’enthousiasme suscité par Kadima. Ce n’est pas tant l’évacuation des colons de la Bande de Gaza que la peur de voir passer le trésor dans les mains des sociaux-démocrates qui a agi ici avec succès. Même Shimon Peres en tombe d’accord. Rien n’illustre mieux la nature de la démocratie israélienne qu’une situation comme celle-ci. Tout est déjà fixé dans les émissions en direct de la cour de l’hôpital, apparemment.

Le nouveau parti de Sharon est bâti sur la perpétuation de l’instant, quelque chose comme « l’éternité d’Israël peut attendre ». Il est interdit de parler de politique mais approuver le budget est une obligation (si Sharon avait été bien portant, eût-il fallu approuver le budget ?). Il revient à tous ceux qui contribuent à arracher des larmes de perpétuer la situation existante : à commencer par Ehoud Olmert en tant que dirigeant. Telle est la vision de Sharon et dans la vision de Sharon, c’est Sharon qui est la Voie ou « l’héritage ».

Cette vision est ridicule. Même sa « volte-face » doit être lue avec un peu moins d’enthousiasme. Cette volte-face s’accorde – et ce n’est pas un hasard – avec ce dont Bush avait besoin au milieu de son horreur irakienne. Mais c’est cette « vision » qui s’impose actuellement en Israël. Dans cette lutte pour le futur contrôle sur Israël, le passé est effacé à l’aide de ce cirque qui se joue maintenant face aux caméras de télévision. A cette fin, les politiciens et les médias ont inventé le peuple en larmes à côté du poste de télévision. Une chance que nous ayons le téléphone et les courriels pour savoir que les choses ne sont pas « réellement comme ça ».

Comme nous l’avons dit, la maladie grave de Sharon n’est pas très différente de ce qui s’est passé jusqu’ici, tout au long de l’année dernière, la mémoire étant graduellement effacée en recourant, par exemple, à une discussion savante sur la ressemblance entre Sharon et de Gaulle. Nous voilà contraints d’absoudre le passé au nom d’un présent supposé absolument différent du passé. Ce n’est pas au moment de l’accident cérébral que la guerre du Liban est devenue un mot grossier ; ce n’est pas au moment de l’accident cérébral que Sabra et Chatila sont devenus une importunité superflue. C’est vrai, Sharon a construit des colonies  et il en a maintenant démantelé quelques unes. Oui, il fera la même chose en Cisjordanie également. Qu’est-ce que c’est « la même chose » ? Le Mur ? La destruction des moyens de subsistance de dizaines de milliers d’autres Palestiniens ? Leur enfermement à l’intérieur de ghettos dans le style du ghetto de Gaza ? Un bombardement nocturne sous couvert d’un langage orwellien que les médias ont tous ensemble contribué à bâtir ? Ce qu’il y a de plus dangereux dans le culte de Sharon, c’est de faire du présent un « processus de paix ». Y ont collaboré des politiciens et en particulier tous ceux qui s’inquiétaient d’un changement d’ « agenda », ce même miroitement de changement qui a fait irruption dans l’univers avec l’élection d’Amir Peretz à la direction du parti Travailliste.

Dans ce contexte, même le débat sur « l’héritage de Sharon » fait maintenant partie du jeu. Pour le bien de cet « héritage », on est prêt à oublier aussi la petite ambiguïté laissée aux assassins par la société israélienne. Rabin au moins avait donné une place à cette ambiguïté. Il suffit de lire son discours de réception du Prix Nobel pour comprendre que même si l’héritage n’était pas le sien, il comportait une certaine perception sensible touchant à la vallée de sang dans laquelle nous marchions. Sharon est brandi comme un drapeau unique : un gagnant. L’héritage de Sharon, c’est la réussite. Réussite dans quoi ? Dans la guerre et les affaires et la construction d’une image. Voici l’instant historique qu’attendaient les Israéliens : avoir l’air d’une réussite.

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


[i] Le 14 mai 1948, l'indépendance d'Israël a été proclamée et la première guerre israélo-arabe a aussitôt débuté. Mais le 11 juin, l'ONU a imposé un cessez-le feu d'un mois entre les belligérants. Une trêve pendant laquelle est interdite toute arrivée d'armes et de volontaires.
Le 22 juin, l'Altalena, un cargo bourré d'armes et de volontaires juifs de l'Irgoun, un mouvement de droite, responsable de nombreuses actions terroristes, et dirigé par Menachem Begin, vient de s'échouer très près du rivage de Tel Aviv. En dépit de l'interdiction prononcée par le chef du gouvernement israélien, David Ben Gourion, les hommes de l'Irgoun entendent débarquer les armes. Itzhak Rabin, jeune officier de la nouvelle armée régulière israélienne, Tsahal, reçoit l'ordre de s'opposer par la force à cette initiative. Le combat s'engage. De nombreux hommes tombent de part et d'autre. Finalement, un coup de canon dans la coque du cargo met fin à l'engagement. L'Altalena s'embrase et explose.
Pour la première fois en Palestine, des Juifs ont donc tiré sur des Juifs. Cette dramatique affaire laissera des traces profondes. Jamais Begin ne pardonnera à Ben Gourion. Quant à ce dernier, il justifiera son action en affirmant que l'Irgoun comptait se servir de ces armes pour renverser le jeune gouvernement d'Israël…

(D’après www.radiofrance.fr/chaines/france-inter01/emissions/mx/fiche.php?did=1248) NdT

 


 Source : Michel Ghys


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