Avant-hier, Ariel Sharon, pour qui personne ne peut
savoir combien de temps il faudra, a en fait annulé sa rencontre prévue
avec Mahmoud Abbas. La raison : Abbas « ne fait rien
contre le terrorisme ». Un prétexte habituel, mais il semble
que cette fois, l’annulation elle-même ne soit pas de pure
routine. La longue campagne pour l’élimination de Mahmoud Abbas
rentre dans sa phase finale.
Au regret de Sharon et consort, Abbas ne peut pas être
« éliminé » de la façon habituelle, comme le Sheikh
Ahmad Yassin et beaucoup d’autres dirigeants palestiniens. Dans le
cas d’Abbas, il n’est même pas permis d’utiliser le mot
« élimination » - terme officiel de l’armée israélienne,
tiré du dictionnaire de la Mafia.
La promotion d’Abbas après la mort de Yasser
Arafat - toujours restée mystérieuse - a déclanché un voyant
rouge dans le bureau de Sharon, car ses projets sont fondés sur le
slogan « Il n’y a personne avec qui discuter ». Abbas,
lui, regarde le monde et même acquiert une certaine place dans
l’opinion israélienne - comme un dirigeant palestinien
d’envergure avec lequel on peut discuter. Pire, Abbas regarde vers
le Président Bush.
Cela exige de Sharon nécessairement une approche
prudente. Avec précaution, dissimulant sa colère, il a serré la
main d’Abbas à Aqaba, en présence de Bush. Il a vu, avec une
inquiétude grandissante, comment le dirigeant palestinien était reçu
à la Maison blanche, et entendu Bush louer les élections démocratiques
tenues par les Palestiniens. Le risque augmente pour que les Américains
réalisent un vieux cauchemar des gouvernements israéliens :
une « paix imposée » qui contraindrait Israël à
repasser plus ou moins la frontière d’avant 1967.
Par conséquent, Sharon a adopté une tactique en
douceur : gagner du temps, attendre que les circonstances
soient meilleures, et en attendant, se faire plaisir, en transperçant
d’aiguilles l’effigie d’Abbas. Il était impossible de lancer
une campagne de diabolisation contre lui, comme cela fut fait avec
Arafat en osmose avec tous les Israéliens et les médias juifs dans
le monde. Mais dans chaque média, un message quotidien est lancé :
Abbas est un pantin, Abbas ne vaut rien, Abbas n’est pas capable
de supprimer les « infrastructures du terrorisme », ça
ne sert à rien de discuter avec lui.
Cette semaine, la méthode s’est affinée. Non par
pitié à l’égard du pauvre Abbas, faisant en vain de son mieux,
mais dans une attaque pure et simple contre lui. Abbas, disait-on,
ne veut pas vraiment mettre fin au terrorisme. Tous les journaux, du
Maariv à Ha’aretz, ont été mobilisés sur cette campagne. Les
stations de radio et les chaînes de télévision y ont participé
avec enthousiasme.
Dans le même temps, une nouvel affrontement
surgissait violemment.
Qui avait commencé ? Cela dépend à qui on
pose la question. Comme toujours, chaque partie prétend que la
nouvelle confrontation a commencé avec les atrocités de l’autre
camp. Si on y tient, on peut revenir 120 ans en arrière, à la
première pierre lancée par un berger palestinien sur le premier
colon juif - ou le premier coup porté par le premier colon juif sur
la tête d’un berger palestinien qui menait ses chèvres sur sa
terre.
En fait, la confrontation ne s’est pas arrêtée
un moment. Les Palestiniens ont déclaré la Tahidiya (« le
calme »), mais c’était seulement un accord qui valait entre
eux. L’armée israélienne n’y était pas partie prenante et
elle a continué avec une grande énergie ses raids dans les villes
et villages palestiniens, procédant à des arrestations de
militants « recherchés » et assassinant certains
d’entre eux, ici ou là.
Le nouvel affrontement a commencé avec la mort de
Luay Sa’adi, militant du Jihad islamique dans la région de
Tulkarem, qui avait déjà passé 5 de ses 25 jeunes années dans
les prisons israéliennes. L’armée l’a décrit comme un très
grand commandant, une énorme « bombe à minuterie ». Le
Jihad a lui-même repris cette déclaration grotesque avec
empressement, parce qu’elle justifiait de grandes représailles.
En privé, les Palestiniens ont dit qu’il était simplement un
militant local.
De toute façon, quand Sharon, entre le petit-déjeuner
et le déjeuner, a donné son accord à l’exécution, il savait
qu’il envoyait en même temps des Israéliens à la mort - il était
certain que le Jihad se vengerait. La conclusion s’impose, c’était
bien le but recherché.
Cela s’est confirmé très rapidement. Un militant
du Jihad voisin du village palestinien a commis un attentat suicide
sur le marché de Hadera, ville israélienne, et 5 Israéliens ont
été assassinés. (Dans le langage médiatique israélien, comme on
l’a déjà signalé, les Israéliens sont toujours « assassinés »
pendant que les Arabes « trouvent la mort » ou, au
mieux, sont « tués »). Le village du porteur de bombe
est séparé de Hadera par le haut mur de séparation, mais il
semble que cela ne l’ait pas gêné. Avant sa mort, dans une vidéo,
il a déclaré qu’il vengeait la mort de Sa’adi, niant que cette
bombe avait pu être préparée avant le meutre et qu’elle
n’avait rien à voir avec lui.
Comme si elle n’attendait que l’indignation qui
en a suivi, l’armée est intervenue immédiatement, comme dans une
action bien planifiée. Un bouclage général hermétique a été
imposé dans le nord de la Cisjordanie. Toutes les villes et tous
les villages furent isolés à nouveau ; parfois, après
quelques heures seulement, des barrages ont été enlevés sur
l’insistance de Condoleezza Rice. Une recherche générale contre
les activistes du Jihad était engagée, avec une nette impression
que le tour des militants du Hamas et du Fatah ne tarderait pas.
Dans la Bande de Gaza, une escalade identique
s’est enclenchée. Hors de toute solidarité avec les camarades de
Cisjordanie, des roquettes Qassam furent tirées sur les localités
israéliennes, sans faire de victimes. Et la réplique était déjà
prête : l’armée a complètement isolé du monde la Bande de
Gaza, tous les passages furent fermés. La Bande a été bombardée,
pilonnée, par terre, air et mer. Les hélicoptères lance-missiles
ont tué le militant du Jihad, Shadi Muhanna, avec son assistant et
4 passants, dont un garçon - un acte qui pourrait être imputé au
chef d’état-major, Dan Halutz, un nouveau pas pour lui qui le
rapproche de la Court pénale internationale de La Hague. La
vengeance assurée, et aussi, la vengeance pour la vengeance.
Pendant que les éloges dans le monde encensent le
« désengagement » et Sharon, l’Homme de paix,
celui-ci lance une offensive générale pour annexer la plus grande
partie de la Cisjordanie.
La semaine dernière, sur tous les Territoires
palestiniens, leurs misérables conditions de vie s’étaient
encore empirées, en subissant cette punition collective, acte
interdit par la 4ème Convention de Genève. Mais en réalité,
c’est même pire encore : le but est de semer le désespoir
chez les Palestiniens, de vouloir les mettre à genou, les obliger
à accepter le diktat de Sharon - se satisfaire de 42% de la
Cisjordanie (11% de la Palestine historique) en plusieurs enclaves,
et en fin de compte, les obliger à quitter les lieux.
Sharon se comporte comme un torero, plantant ses
banderilles entre les deux épaules du taureau afin de le mettre en
rage et de l’exciter, jusqu’à ce qu’il rue dans toutes les
directions.
Pendant que l’attention est attirée sur
l’action militaire globale, les colonies s’agrandissent de façon
fébrile, et de nouvelles colonies surgissent. La construction du
mur se poursuit vigoureusement, sans tenir compte de l’attentat de
Hadera qui a montré que sa valeur sécuritaire était douteuse. Le
démantèlement d’une centaine d’« avant-postes »
qui s’étaient montés depuis 2001, comme prévu dans la Feuille
de route, n’est même pas programmé. L’armée n’a fait
qu’enlever 5 nouveaux « avant-postes » montés cette
semaine, avec beaucoup de bousculade de part et d’autre, mais sans
employer le gaz, ni des balles de sel ou de caoutchouc, ou des
grenades assourdissantes, lesquels sont apparemment réservés aux
militants israéliens pour la paix.
La demande du représentant du Quartet, James
Wolfenson, d’ouvrir absolument un passage, vital, entre la Bande
de Gaza et la Cisjordanie, a été reçue avec mépris. mais depuis,
Wolfenson est bien vu par Bush et Condoleezza Rice, cela a une
signification particulière.
Les gens de Sharon suivent de près les évènements
à Washington. Ils savent que Bush a de sérieux ennuis, qu’il est
rapidement devenu un canard boiteux. Et Condi, derrière lui, boite
avec lui.
Uri Avnery - Ha’aretz
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