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Bil’in
Une conférence extraordinaire

Uri Avnery

 


" Il y a quelques semaines, j’étais à Berlin. Dans des magasins, il y avait des morceaux du mur de Berlin en vente. Le jour viendra, comme ici à Bil’in, dans un Etat palestinien libre, où quelqu’un pourra acheter un morceau du mur que nous combattons aujourd’hui. "

Un score final de 1 à 1 ce n’était certes pas le plus impressionnant, mais pour les jeunes de Bil’in, c’était une performance magnifique. Pour eux, le résultat n’était pas le plus important, même pas le match en lui-même (contre une équipe de Betunya, une ville toute proche). Ce qui était important, c’était l’endroit où avait lieu ce match : un terrain de foot improvisé, nivelé hâtivement, sur la terre qui avait été volée au village par le mur de séparation.

Le match faisait partie d’un évènement unique. C’est dans ce pauvre, dans ce petit village avec ses 1 500 habitants, dont on avait bien peu entendu parler avant sa bataille héroïque contre le mur, que s’est tenue « la Conférence internationale sur le Combat non violent contre le mur ». Dans le cadre de cet évènement qui a duré deux jours, toute une gamme d’activités étaient proposées : des rapports et des débats sur cette lutte, l’attribution de Boucliers honorifiques aux familles des 9 personnes qui ont perdu la vie dans ce combat contre le mur, la plantation de plants d’oliviers sur la terre volée, l’inauguration du terrain de football et le match lui-même.

J’ai eu l’honneur d’être l’un des intervenants à l’ouverture de la Conférence devant un public de 300 personnes : des habitants de Bil’in, des membres du Parlement palestinien, des représentants des luttes contre le mur engagées dans les différents secteurs, des militants israéliens pour la paix et des délégations d’associations européennes de solidarité. Voici mon intervention :

Chers amis,

Chaque fois que je viens à Bil’in, je suis enthousiaste et heureux. Ce village, ce petit village, est devenu un symbole en Palestine, en Israël, en fait, dans le monde. Votre combat reflète le combat du peuple palestinien tout entier. Trois points distinguent le combat de Bil’in, trois caractéristiques qui forment un tout et qui rendent Bil’in aussi extraordinaire qu’il l’est : premièrement, la ténacité, la persévérance et le courage du peuple palestinien ; deuxièmement, son unité avec le camp israélien pour la paix ; troisièmement, le soutien du mouvement de solidarité dans le monde. On peut encore y ajouter une autre particularité qui marque l’exemplarité de Bil’in : la non violence absolue de son combat.

Il y a quelques jours, le Dalaï Lama est venu dans ce pays. Il a rencontré des gens importants, des célébrités, et s’est même fait prendre en photo avec eux. Je lui aurais recommandé de venir à Bil’in et d’y prendre une leçon de non violence. Quand nous essayons d’analyser cette lutte, nous devons toujours en revenir au fond de la question : dans ce pays, vivent deux peuples, deux nations, et le but de nos efforts est d’y instituer la paix, une paix basée sur la justice. Le conflit israélo-palestinien ne ressemble à aucun autre combat dans le monde. Ce n’est pas un remake de celui d’Afrique du Sud, ni une seconde édition de la guerre de Libération algérienne. Il s’agit d’un conflit unique, provoqué par des circonstances uniques. Un historien célèbre l’a ainsi décrit : « Une personne habite à l’étage supérieur d’un immeuble en feu. Pour sauver sa vie, il saute d’une fenêtre et atterrit sur un passant qui est gravement blessé. Entre les deux, naît une hostilité mortelle. »

Qui est dans son droit ? la personne qui a sauté de la fenêtre pour sauver sa vie ou celle qui a été blessée et abîmée sans avoir commis la moindre faute ? Le mouvement sioniste est né parce l’Europe était devenue un enfer pour les Juifs, cinquante ans avant l’Holocauste, l’épouvantable Holocauste qui a tué des millions de Juifs et dans le sillage duquel l’Etat d’Israël a été créé. Les premiers sionistes croyaient que le pays était vide. Leur principale idée-force était : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Quand les sionistes se sont aperçus qu’il y avait une population vivant déjà dans ce pays, ils ont essayé de la jeter dehors. Ils essaient toujours aujourd’hui - d’où le combat tenace du peuple palestinien pour son existence et sa terre. Telle est la réalité du conflit - deux peuples habitant sur une même terre et se combattant l’un l’autre. Le combat de Bil’in contre le mur qui vole sa terre fait partie de ce conflit historique.

Il y a trente ans, juste après la guerre du Yom Kippur, la guerre du Ramadan, Yasser Arafat tirait comme conclusion qu’il n’y avait aucune solution militaire à ce conflit. Il était résolu à rechercher un règlement politique.

Un petit groupe de militants pacifistes israéliens a décidé d’y participer. Nous avons ainsi créé le Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne. Arafat a demandé à ses émissaires de prendre contact avec nous : d’abord Sa’id Hamami, puis Issam Sartawy, deux dirigeants importants du Fatah. Les deux ont été tués plus tard par l’ennemi de la paix et l’ennemi d’Arafat. Que leur mémoire reste en nous. En 1982, au milieu de la guerre du Liban, j’ai traversé les lignes et rencontré Arafat dans un Beyrouth assiégé. En pleine bataille, sous les bombardements, Arafat parlait de la paix entre nos deux peuples. Arafat élaborait déjà une stratégie fondée sur trois principes : persévérer dans la lutte du peuple palestinien, rester solidaire avec le camp de la paix israélien, faire appel à la solidarité internationale. Ce sont aussi les trois principes de Bil’in aujourd’hui.

Vous pouvez demander - en fait, vous devez demander : qu’a fait le mouvement de la paix israélien ?

Pour son image, rien. Au contraire, depuis les accords d’Oslo, la situation des Palestiniens s’est empirée d’année en année. La misère économique s’est accrue, entre autres.

Chaque jour, des personnes sont tuées. La construction de ce mur monstrueux se poursuit. Les colonies racistes se propagent rapidement. Nous apprenons juste que la Vallée du Jourdain - un tiers de la Cisjordanie - va être coupée du territoire palestinien et pratiquement annexée à Israël. La victoire du Hamas aux élections est la conséquence de toutes ces actions.

Tout ceci se produit au grand jour. Mais en profondeur, s’est créé un mouvement opposé. Il y a 50 ans, seule une poignée de personnes en Israël et dans le monde reconnaissait l’existence du peuple palestinien. Il y a 32 ans encore, Golda Meir pouvait déclarer : « Il n’y a pas de peuple palestinien ». Au jour d’aujourd’hui, personne sain d’esprit en Israël et dans le monde ne viendrait nier l’existence du peuple palestinien et ses droits à son propre Etat. C’est une victoire du combat tenace des Palestiniens, mais aussi du mouvement israélien pour la paix.

Il y 20 ans, quand nous avons appelé à des négociations avec l’Organisation pour la libération de la Palestine, nous n’étions qu’un petit groupe. Il était dit alors qu’Arafat était un assassin, que l’OLP était une organisation terroriste, que la charte palestinienne appelait à la destruction d’Israël - exactement ce que l’on dit maintenant à propos du Hamas. Mais quelques années plus tard, l’Etat d’Israël reconnaissait l’OLP, négociait avec elle et signait même un accord avec elle. C’était une victoire du combat tenace des Palestiniens, mais aussi une victoire du mouvement israélien pour la paix.

Chers amis, il est très facile de désespérer. Chacun de nous connaît des moments de découragement. Mais je suis convaincu que la paix gagnera, la justice gagnera. Il y a quelques semaines, j’étais à Berlin. Dans des magasins, il y avait des morceaux du mur de Berlin en vente. Le jour viendra, comme ici à Bil’in, dans un Etat palestinien libre, où quelqu’un pourra acheter un morceau du mur que nous combattons aujourd’hui. Chaque fois que je suis à Bil’in, et en d’autres endroits de la Palestine occupée, je ne puis m’empêcher de penser quel paradis serait ce pays s’il y avait la paix, une paix basée sur la justice et le respect mutuel. Cette paix viendra. Et quand elle sera là, le dernier souhait de Yasser Arafat, dont ont voit la photo ici, sera réalisé : ses restes seront ensevelis à Jérusalem.

Pour plus d’informations sur la conférence, pour consulter les photos : http://zope.gush-shalom.org/home/en

Uri Avneri
25 février 2006 -
Diffusé le 28 février par Gush Shalom - otherisr@actcom.co.il - http://www.gush-shalom.org
photo du match : AP/A. Schalit - Traduction : JPP


 Source : CCIPPP
 http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2275


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