LE THÈME CENTRAL
de cet article est le dégoût. Donc, je m’excuse
par avance pour l’usage fréquent de ce mot et de
mots semblables.
Dans le dictionnaire j’ai trouvé un
grand nombre de synonymes : exécration, révulsion,
nausée, rejet, aversion, antipathie, abomination, répulsion,
horreur, répugnance, réprobation, détestation, et
d’autres encore. J’éprouve tous ces sentiments à
propos de ce qui s’est passé à Jéricho mardi.
C’ÉTAIT ODIEUX,
avant tout parce que c’était une manœuvre de
propagande électorale. Pour un homme politique,
envoyer l’armée pour récolter des voix est un acte
répugnant. Dans cette action, trois personnes ont été
tuées. On a risqué beaucoup d’autres vies,
palestiniennes et israéliennes.
Le cynisme horrible de la décision était
visible pour tous. Même les électeurs l’ont
remarqué : dans un sondage il y a deux jours,
47% ont dit que la décision était influencée par
des considérations électorales, seulement 49%
pensaient le contraire.
Ce n’est pas la première fois qu’Ehoud
Olmert marche sur des cadavres pour parvenir au
pouvoir. Quand il était maire de Jérusalem, il a
poussé à l’ouverture d’un tunnel dans la zone
des lieux saints musulmans, provoquant (comme on
pouvait s’y attendre) des dizaines de victimes.
Benjamin Netanyahou, son complice à l’époque, est
du même acabit.
Netanyahou, au moins, a été à un
moment un combattant qui a risqué sa propre vie dans
l’action. Il est encore plus dégoûtant de voir un
homme politique envoyer les autres risquer leur vie
mais qui prend grand soin de ne pas risquer la sienne.
George Bush et Dick Cheney, deux fauteurs de guerre en
série font aussi partie de la même bande.
Olmert avait un problème. Son parti déclinait
lentement dans les sondages. Le temps passant, un
certain nombre de fans de Kadima ont commencé à
remarquer que, décidément, Olmert n’est pas
Sharon. La gloire de Sharon tenait principalement au
fait qu’il était un général victorieux qui se
promenait pendant la guerre du Kippour la tête bandée
(jusqu’à aujourd’hui on ne sait pas trop
pourquoi). Olmert avait un besoin urgent d’une
action militaire qui lui apporterait les lauriers
d’un rude commandant militaire et l’aiderait à se
défaire du surnom qui lui a été donné dans le
Likoud : Smolmert (Smol, en hébreu,
signifie gauche).
Le stratagème a payé. Dans le même
sondage, 20,70% des électeurs ont dit que l’action
de Jéricho les a persuadés de voter pour Kadima, ou,
au moins, qu’elle les a confortés dans leur décision
de le faire.
En général, on devrait se méfier
d’un civil qui succède à un dirigeant couronné de
lauriers militaires. Il suffit de mentionner le cas
classique d’Anthony Eden, l’héritier de Winston
Churchill, qui a lancé la guerre de Suez d’octobre
1956.
QUE NOUS RAPPELLE
cette guerre ? La collusion.
Les Britanniques voulaient faire
tomber Gamal Abdel Nasser parce qu’il avait eu
l’audace d’exproprier les actionnaires
britanniques de la Compagnie du Canal de Suez. Les
Français voulaient le faire tomber à cause de son
soutien à la guerre de libération algérienne. Ils
s’étaient mis d’accord avec David Ben Gourion,
qui voulait détruire l’armée égyptienne
nouvellement rééquipée. Le principal intermédiaire
de la collusion était Shimon Pérès, aujourd’hui n°2
sur la liste de Kadima.
Voilà comment les choses se sont passées :
les parachutistes israéliens, commandés par Ariel
Sharon (fondateur de Kadima), ont été largués près
du canal de Suez. La Grande-Bretagne et la France ont
publié un faux ultimatum, appelant l’Egypte et Israël
à retirer leurs forces du Canal - une demande absurde
étant donné que le Canal est en plein territoire égyptien.
Comme cela avait été préalablement concocté, Israël
a refusé, et alors les forces britanniques et françaises
ont envahi la zone du Canal, laissant l’armée israélienne
prendre le contrôle de toute la péninsule du Sinaï.
La collusion était si primaire et évidente qu’elle
a été tout de suite démasquée. J’en ai fini pour
Eden.
Pour en revenir à l’affaire de Jéricho,
elle est étonnamment semblable : les
Britanniques et les Américains ont prétendu qu’ils
avaient des craintes pour la sécurité de leurs
surveillants stationnés à Jéricho en application
d’un accord dont nous allons parler plus loin. Ils
ont à dit à Mahmoud Abbas qu’ils pouvaient les
retirer. A une date décidée en secret avec le
Premier ministre israélien, les surveillants
britanniques et américains sont partis et l’armée
israélienne est arrivée. L’action avait été préparée
pendant des semaines.
Il y a une chose que l’on peut dire
de George Bush et de Tony Blair (et son malheureux
ministre des Affaires étrangères, Jack Straw) :
ils ont ramené la plus vieille profession du monde
dans la plus vieille ville du monde. Le fil écarlate
de Rahav la Prostituée (Josué, 2) conduit à cet
acte de prostitution.
LE GÉNÉRAL Dan
Halutz peut être fier de cette victoire. Dans le passé,
il est devenu célèbre pour avoir dit que tout ce
qu’il ressent quand il largue des bombes sur un
quartier d’habitation est une légère secousse sur
l’aile de l’avion, même si des femmes et des
enfants sont tués. Après cela, il dort bien, dit-il.
Maintenant il a gagné une vraie gloire : avec
l’aide de dizaines de tanks, de canons et de lourds
bulldozers, il a réussi à capturer six prisonniers
sans armes dans la petite ville tranquille non
violente qui vit du tourisme.
Au cours de l’action, les soldats de
Halutz ont donné un tableau dégoûtant qui a souillé
l’image de l’armée israélienne aux yeux des
centaines de millions de personnes qui l’ont vue sur
leurs écrans. Ils ont ordonné aux policiers et aux
prisonniers palestiniens de retirer leurs vêtements
et ensuite de se laisser photographier encore et
encore - et encore et encore - en sous-vêtements. Il
n’y avait aucun besoin de faire cela. Le prétexte,
qu’il aurait pu y avoir des ceintures d’explosifs
cachées sur eux, était ridicule dans de telles
circonstances. Et même si cela avait été nécessaire,
on aurait pu le faire loin des caméras. Aucun doute :
l’intention était d’humilier, d’avilir, de
satisfaire des tendances sadiques.
Une personne peut, peut-être, passer
outre aux coups, ou même à la torture. Mais elle ne
peut jamais oublier l’humiliation, particulièrement
quand elle est montrée à sa famille, à ses collègues
et au monde entier. Combien de nouveaux terroristes se
sont-ils révélés à ce moment-là ?
Ce jour-là, il s’est trouvé que je
rendais visite à des amis dans un village palestinien
de Cisjordanie. Nous - mes hôtes et moi - étions rivés
à l’écran de TV (principalement Al Jézira). Quand
ces images sont apparues, je n’ai pas pu regarder
mes hôtes dans les yeux tant j’avais honte.
LES MÉDIAS ISRAÉLIENS
s’amusaient comme des fous. Non seulement ils
s’amusaient, ils étaient fous de joie. Ils ont pris
leur part dans cet événement répugnant et se sont
mis au garde-à-vous derrière le gouvernement. Comme
une bande de perroquets, répétant à l’unisson la
version officielle mensongère.
On a assisté à un festival de lavage
de cerveau. Les « assassins de Zeevi » ont
été capturés ! C’était notre devoir
national ! Nous ne pouvions pas ne rien faire
jusqu’à ce qu’ils tombent entre nos mains, morts
ou vifs !
Ces trois mots - « Assassins de
Zeevi » - sont devenus une litanie. Ils ont été
répétés sans arrêt à la radio et à la télévision,
et publiés dans la presse écrite (tous les journaux !)
et dans les discours des hommes politiques (de tous
les hommes politiques !). Et voilà : les
Israéliens sont « assassinés », les
Palestiniens sont « éliminés ».
Pourquoi, grands dieux ? Rehavam
Zeevi, ministre à l’époque, défendait jour et
nuit l’idée du « transfert », un euphémisme
pour l’expulsion des Palestiniens hors de Palestine.
Comparés à lui, Jean-Marie Le Pen en France et
Georges Haider en Autriche sont des libéraux au grand
cœur. Son assassinat ciblé n’est pas différent de
l’assassinat ciblé du Cheikh Ahmed Yassine et de
quantité d’autres dirigeants palestiniens, y
compris Abou Ali Moustapha, le chef du Front Populaire
qui a été autorisé par Israël à revenir de Syrie
en territoire palestinien après Oslo.
Cet assassinat partie d’une chaîne
interminable de violences : l’armée israélienne
a tué Abou Ali Moustapha. La succession de celui-ci a
été assurée par Ahmed Saadat qui, d’après les
services de sécurité israéliens, a ordonné, pour
le venger, l’assassinat de Rehavam Zeevi, et dont la
capture était l’objectif de l’action de Jéricho.
Et ainsi de suite.
Soyons clairs : je suis opposé
à tous les assassinats. Les leurs et les nôtres.
L’assassinat de Abou Ali Moustapha et l’assassinat
de Rehavam Zeevi. Mais quiconque répand le sang
d’un dirigeant palestinien ne peut se plaindre
qu’il coûte le sang d’un dirigeant israélien.
IL Y A encore un
autre aspect de l’affaire, qui n’est pas moins dégoûtant :
l’attitude envers le respect des accords.
Saadat et ses compagnons ont été détenus
à Jéricho selon les termes d’un accord signé par
Israël. En vertu de celui-ci, ils ont quitté la
Mouqataa à Ramallah, pendant le siège de Yasser
Arafat, et ont été conduits dans la prison
palestinienne de Jéricho. Les Etats-Unis et le
Royaume-Uni ont garanti leur sécurité et entrepris
de surveiller leur détention.
Ce qui est arrivé à Jéricho est une
violation flagrante de cet accord. Les misérables prétextes
inventés à Jérusalem, Londres et Washington sont
une insulte à l’intelligence d’un enfant de 10
ans.
Les gouvernements israéliens considèrent
souvent la violation d’un accord comme un acte
patriotique si elle sert notre projet. Les accords ne
sont contraignants que pour l’autre côté. Ceci
n’est pas seulement d’une moralité primaire,
c’est également dommageable pour nos intérêts
nationaux. Qui signera un accord avec nous, sachant
qu’il n’engage que lui ? Comment Israël
peut-il convaincre les dirigeants du Hamas d’« accepter
tous les accords » signés par l’Autorité
palestinienne ?
De nombreux Israéliens croient que
l’action de Jéricho était une opération
brillante. Je la trouve simplement dégoûtante.