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Avec de tels amis...

Uri Avnery

 


Il y a certes un danger grandissant d’antisémitisme et d’anti-israélisme - deux phénomènes différents qui peuvent apparaître aussi bien ensemble que séparément. Mais il n’est pas lié aux skinheads primitifs comme le manieur de couteau de Moscou. Il est beaucoup plus redoutable, et le carburant qui le nourrit se trouve en d’autres lieux et à d’autres niveaux.

JUDAS ISCARIOTE est sur le point de changer de personnage. Selon les nouvelles, des cardinaux proches du nouveau pape ont recommandé de modifier l’attitude de l’église catholique à son égard : fini le juif traître qui livre le Messie aux cohortes du Grand prêtre démoniaque - voici l’apôtre qui remplit simplement son rôle dans le dessein divin. Car, après tout, c’est Dieu qui a décidé que son fils devait mourir sur la croix.

Tentative bien intentionnée, mais tentative pathétique. Aucune décision du Vatican ne peut atténuer l’image de Judas dans le Nouveau Testament : un délateur méprisable qui a reçu « trente pièces d’argent » pour sa trahison du Fils de Dieu. Aucun chrétien, qui s’imprègne de cette histoire dans son enfance, n’oubliera l’image du traître indigne qui embrasse Jésus au moment de le livrer à ses bourreaux. Rien n’y fera sauf changer le texte biblique lui-même, et cela, bien sûr, n’est pas si facile.

Si l’un des onze autres apôtres avait trahi Jésus, les conséquences n’auraient peut-être pas été aussi horribles. Mais comme, dans de nombreuses langues, Judas s’entend comme « Juifs », la trahison est associée, dans la conscience des chrétiens, aux Juifs en général. Des multitudes de Juifs au cours de l’histoire ont été massacrés à cause de cela. Le cri de guerre nazi « Judah verrecke ! » (« Mourez, Juifs ! ») a ouvert la voie aux chambres à gaz.

Peut-être cela a-t-il eu quelque influence sur le jeune néonazi, Alexander Koptsev, pris de folie meurtrière cette semaine dans une synagogue de Moscou, agressant et blessant dix personnes. Cet acte a déclenché toutes les lumières rouges. De nouveau, « la montée de l’antisémitisme dans le monde » est devenu un sujet majeur, de nouveau les sirènes d’alarme ont retenti.

Il y a certes un danger grandissant d’antisémitisme et d’anti-israélisme - deux phénomènes différents qui peuvent apparaître aussi bien ensemble que séparément. Mais il n’est pas lié aux skinheads primitifs comme le manieur de couteau de Moscou. Il est beaucoup plus redoutable, et le carburant qui le nourrit se trouve en d’autres lieux et à d’autres niveaux.

DANS UN des nombreux discours dans lesquels George Bush essaie maintenant de défendre sa malheureuse invasion de l’Irak, il a laissé échapper cette semaine une phrase qui devrait allumer toutes les lumières rouges. Dans cette phrase, il a fustigé ses opposants pour avoir affirmé qu’il avait attaqué l’Irak « pour le pétrole et pour Israël ».

Il a ainsi fait remonter à la surface une affirmation qui, jusqu’à présent, n’avait été exprimée que par des groupes antisémites marginaux. Ceux-ci ont fait valoir trois faits : (a) que les gens qui ont le plus agressivement poussé à la guerre étaient les néo-cons. qui jouent un rôle majeur dans l’Administration Bush ; (b) que presque tous les membres importants de ce groupe sont juifs, et (c) que l’occupation de l’Irak a libéré Israël d’une sérieuse menace militaire.

Jusqu’à présent, les médias américains avaient traité cette allégation avec mépris, la qualifiant de ridicule « théorie de la conspiration ». Maintenant que le Président lui-même en a parlé, elle pourrait devenir une partie du discours légitime aux Etats-Unis et à travers le monde.

C’est là que réside un grand danger pour Israël. Tout l’establishment israélien a soutenu l’invasion américaine. (Quand nous, les opposants à la guerre, avons appelé à une manifestation à Tel-Aviv, celle-ci a été un tout petit événement ignoré des médias alors que le même jour des millions de personnes envahissaient les rues dans le monde entier). Maintenant il se peut que, comme souvent dans l’histoire, les responsables de ce désastre échappent à leur responsabilité. Gorge Bush sortira des mémoires dans quelques années. Ce qui restera, c’est l’impression qu’Israël et les Juifs ont entraîné ces pauvres Etats-Unis dans une aventure méprisable.

COMME PAR HASARD, cette semaine a vu la sortie d’un livre sur la guerre en Irak qui traite du même sujet - « State of War » (« Etat de guerre ») par James Risen.

Entre autres choses, le livre raconte que le secrétaire à la Défense et les néo-cons. qui dominent Washington n’ont pas écouté les analystes des services secrets américains qui appelaient à la prudence en ce qui concerne l’Irak, mais qu’ils ont écouté les services secrets israéliens qui se sont répandus à Washington pour briefer les fonctionnaires de haut rang.

Selon Risen, ce sont les durs israéliens que Rumsfeld et son adjoint, Paul Wolfowitz, écoutaient, et pas la prudente CIA. « Les analystes de la CIA étaient souvent sceptiques sur les rapports des services secrets israéliens, sachant que le Mossad avait de très sérieux, même évidents, préjugés sur le monde arabe. » Après leurs visites, les fonctionnaires de la CIA ne tenaient généralement pas compte de ce que les services secrets israéliens fournissaient, mais « Wolfowitz et les autres conservateurs du Pentagone étaient furieux de cette pratique », écrit Risen. Wolfowitz est, bien sûr, un nom très juif.

Conclusion évidente : ce sont les Israéliens et leurs alliés, les Juifs de Washington, qui ont poussé les Etats-Unis à la guerre.

COMME SI CELA ne suffisait pas, Washington est aujourd’hui secoué par un gros scandale qui est en relation étroite avec Israël. Au cœur de cette affaire se trouve une personne appelée Jack Abramoff - de nouveau un nom qui révèle l’identité juive de celui qui le porte.

Ce Jack est un super lobbyiste, un symbole du phénomène qui a transformé la politique américaine en une sale écurie de corruption, que même le puissant Hercule aurait eu du mal à nettoyer. Il a fraudé avec l’argent de ses clients, la plupart citoyens américains, en a mis une partie dans sa poche et a utilisé le reste pour soudoyer des personnalités de l’establishment, sénateurs et membres du Congrès. Il leur a fait des cadeaux généreux, voyages autour du monde, suites dans des hôtels de luxe et autres à-côtés. La plupart des bénéficiaires étaient républicains mais quelques miettes allaient aussi aux démocrates.

Jusque là, rien d’exceptionnel, c’est juste un peu plus gros que d’habitude. L’industrie du lobbying est très bien développée à Washington qui est infestée de lobbyistes comme un clochard l’est de poux. Le lobby pro-Israél n’est pas différent de tous les autres. Les lobbyistes corrompent tout. Ils achètent les politiciens pour qu’ils fassent des lois qui permettront le détournement de milliards des fonds publics dans les poches de leurs clients. Ils jouent un rôle majeur dans le financement des campagnes électorales des hommes politiques, depuis le Président lui-même jusqu’au maire de la plus modeste commune. Ce n’est que rarement que l’un d’eux est pris et envoyé en prison, comme cela pourrait arriver à l’Abramoff en question.

Ce qui caractérise Abramoff, c’est son sionisme fanatique. Selon les histoires publiées aux Etats-Unis, une partie de l’argent qu’il a détourné a été transférée aux colons extrémistes de Cisjordanie. Abramoff leur a envoyé de l’équipement militaire à utiliser contre les Palestiniens, et peut-être contre le gouvernement israélien. Entre autres choses, il leur a acheté des tenues de camouflage, des lunettes télescopiques pour les snipers, des jumelles pour voir la nuit et un imageur thermique.

Des publications américaines mentionnent qu’un colon nommé Shmuel Ben-Zvi de la colonie de Betar Illit, copain d’études d’Abramoff, a reçu cet équipement. Ben-Zvi l’a nié, mais le comité du Sénat a obtenu des messages électroniques émanant de lui qui louent Abramoff de lui avoir envoyé du « renfort », et Abramoff lui a écrit que « si seulement il y a avait une douzaine d’autres comme vous, on en finirait avec les sales rats. »

Abramoff quant à lui prétend qu’il n’est qu’un simple idéaliste qui utilise l’argent « mis dans ses mains par Dieu » pour aider Israël. Il a aussi financé un groupe - probablement fictif - d’exilés syriens soutenus par Israël. L’une des publications américaines mentionnées ci-dessus cite dans ce contexte la devise biblique du Mossad : « Par la voie de la duperie, tu feras la guerre » (Proverbes 24,6 - voilà ce que cela donne en hébreu moderne mais le vrai sens des mots est contesté . La Bible anglaise le traduit ainsi : « Car grâce à de sages conseils tu feras la guerre ».)

Donc voilà ce qui apparaît aux Américains : l’homme qui est devenu un symbole de la corruption est un Juif qui soutient Israël.

ET COMME SI cela n’était pas encore suffisant, un autre ami d’Israël a fait des vagues dans les médias américains. C’est notre vieille connaissance Jerry Falwell, leader de millions de fondamentalistes chrétiens, un ami de feu Menahem Begin.

Il faut se souvenir que Benyamin Netanyahou, notre Premier ministre de l’époque, est venu en Amérique en 1998 pour y rencontrer le Président Bill Clinton. A cette époque-là, Clinton essayait d’exercer des pressions sur Israël afin de promouvoir la paix. Netanyahou avait été invité dans ce but. La veille de sa rencontre avec Clinton, c’est Falwell que Netanyahou a choisi de rencontrer publiquement, devant des centaines de personnes. Falwell, un ennemi juré de Clinton, révèle maintenant que la réunion avait été délibérément programmée comme un affront au Président.

Quelques jours auparavant, un autre ami de Netanyahou, William Kristol, une des éminences grises des néo-cons. juifs, avait publiquement fait allusion au fait qu’un énorme scandale sexuel était sur le point d’éclater à la Maison Blanche. Immédiatement après, le scandale Monica Lewinsky était dévoilé et l’opinion était informée que le Président avait eu une aventure sexuelle à la Maison Blanche avec la jeune interne au nom à consonance très juive.

Deux semaines avant la visite de Netanyahou, un journal juif américain avait publié une annonce demandant que le Président s’abstienne de faire pression sur Israël. L’annonce comprenait une photo de Clinton prise de dos - celle-là même de Clinton embrassant Monica qui a été par la suite publiée dans le monde entier.

Falwell se vante pratiquement d’avoir aidé Netanyahou à faire du chantage à Clinton. Si c’est vrai, il a réussi. Aucune pression sur Israël ne s’est exercée au cours de la rencontre.

En fait, le magazine dans lequel Falwell a publié son allégation, Vanity Fair, appartient à l’empire de presse de Si and Donald Newhouse, généreux contributeurs du lobby pro-Israël.

(Un autre leader en vue des fondamentalistes chrétiens, Pat Robertson, a déclaré la semaine dernière que l’attaque qui a frappé Sharon était la punition de Dieu pour l’abandon d’une partie de la Terre sainte aux Arabes. Il s’est excusé par la suite, espérant probablement sauver un accord qu’il avait conclu avec le gouvernement israélien pour la construction d’un énorme complexe touristique près de la Mer de Galilée.)

L’IMAGE qui en ressort pour l’opinion américaine est qu’Israël et les Juifs dominent Washington et qu’ils mènent la danse au sein du gouvernement des Etats-Unis. Cela est, bien sûr, très exagéré, mais beaucoup peuvent finir par le croire. Il se peut que cela n’ait aucune influence immédiate mais le fait est que cela représente néanmoins un danger très sérieux à long terme. Quand les choses se répètent encore et encore, l’effet est cumulatif.

De tels événements doivent servir d’avertissement. Le gouvernement israélien et les dirigeants de la communauté juive américaine doivent repenser ce danger. Les mots de condamnation sur la « montée de l’antisémitisme » ne suffisent pas. Ce qu’il faut, c’est un profond changement d’attitude. Nous devons arrêter tout contact avec les escrocs, particulièrement quand ils sont juifs, et avec les fondamentalistes de toutes sortes. Tous ceux qui ont les intérêts d’Israël à cœur doivent l’exiger. La question concerne la sécurité nationale d’Israël, particulièrement alors que la politique de notre gouvernement est totalement basée sur un soutien américain indéfectible.

Ariel Sharon était trop dominateur pour prendre en compte ce danger. Espérons que ses successeurs seront un peu plus modestes.

Article publié le 15 janvier en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « With Friends like these... » : RM/SW

 


 Source : AFPS
 http://www.france-palestine.org/article2964.html


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