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Voix des prisons

Uri Avnery

 



L’événement central de cette semaine est l’accord conclu en prison entre les représentants de tous les groupes palestiniens.

DANS LES ANNALES de tout mouvement révolutionnaire, la prison remplit une importante fonction. Elle sert d’école pour les militants, de centre de cristallisation des idées, de point de ralliement pour les dirigeants, de plateforme pour le dialogue entre les différentes factions.

Pour le mouvement de libération palestinien, la prison joue tous ces rôles, et beaucoup plus. Au cours des 39 années d’occupation, des centaines de milliers de jeunes Palestiniens sont passés par les prisons israéliennes. A tout moment, une moyenne de 10.000 Palestiniens sont détenus. Cette population, la partie la plus vivante et la plus active du peuple palestinien, est en ébullition continuelle. On peut y trouver des gens de toute classe, de toute ville et de tout village, de tout groupe politique et militaire.

Les prisonniers disposent de beaucoup de temps. Ils ont l’occasion d’apprendre, de penser, d’organiser des séminaires, de se concentrer à temps plein sur les problèmes de leur peuple, d’échanger des points de vue, de concevoir des solutions.

Pour empêcher une explosion, les autorités carcérales israéliennes donnent à ces prisonniers la possibilité de s’auto-organiser et d’avoir une vie collective plutôt large. C’est une sage politique. En pratique, les prisons ressemblent à des camps de prisonniers de guerre. Les affrontements entre prisonniers et autorités carcérales sont relativement rares.

IL EN RÉSULTE QUE, en prison, les détenus apprennent l’hébreu. Ils regardent la télévision israélienne, écoutent la radio israélienne, se familiarisent avec le mode de vie israélien. Ils ne deviennent pas sionistes, en aucun cas, mais arrivent à connaître la réalité israélienne et même à en apprécier certains aspects. La démocratie israélienne, par exemple. « Ce que nous aimions le plus », m’a dit un ancien prisonnier, « c’était de voir les débats de la Knesset à la télévision. Quand nous voyions des députés crier contre le Premier ministre et insulter des membres du gouvernement, nous étions vraiment fascinés. Où pouvez-vous assister à une chose pareille dans le monde arabe ? »

Par exemple, quand Yasser Arafat et ses gens sont rentrés en Palestine. La controverse actuelle entre ceux qui revenaient de Tunisie et le « ceux de l’intérieur » est non seulement le résultat d’un fossé entre les générations, mais aussi une différence de conceptions. Arafat et ses compagnons n’ont jamais vécu dans un Etat démocratique. Quand ils pensaient au futur Etat palestinien, ils avaient devant les yeux les systèmes jordanien, égyptien, tunisien et libanais. Ils étaient surpris quand les jeunes, conduits par les ex-prisonniers, se référaient au modèle israélien

Ce n’est pas un hasard si presque tous mes amis palestiniens sont d’ex-prisonniers, des gens qui ont passé de longues années en prison, quelquefois 10 et même 20 ans. Je suis toujours étonné de leur absence d’amertume. La plupart d’entre eux croient que la paix avec Israël est possible et nécessaire. Par conséquent, alors que nombre d’entre eux étaient critiques envers la façon de gouverner d’Arafat, ils soutenaient sans réserve sa politique de paix.

A ce propos, l’attitude des ex-prisonniers donne une image en quelque sorte positive des autorités carcérales. Beaucoup de prisonniers ont subi la torture lors des interrogatoires, quand ils étaient détenus par le Shin-Bet, mais une fois en prison, leur traitement ne leur a pas laissé beaucoup de cicatrices mentales.

TOUT CECI est une introduction à l’événement central de cette semaine : l’accord conclu en prison entre les représentants de tous les groupes palestiniens.

C’est un document d’une très grande importance pour les Palestiniens, à la fois à cause de l’identité de ses auteurs et de son contenu.

En ce moment, de nombreux dirigeants des différents groupes palestiniens sont en prison, de Marwan Barghouti, dirigeant du Fatah en Cisjordanie, à Cheikh Abd-al-Khaliq al-Natshe, un leader du Hamas. Avec eux il y a les dirigeants du Jihad islamique, du Front populaire et du Front démocratique. Ils ont passé leur temps à des discussions permanentes, tout en gardant un contact constant avec les dirigeants de leurs organisations à l’extérieur et les militants à l’intérieur. Dieu seul sait comment ils font.

Quand les leaders des prisonniers parlent d’une seule voix, ce qu’ils disent pèse plus lourd moralement que les déclarations de n’importe quelle institution palestinienne, y compris la présidence, le parlement et le gouvernement.

VOILÀ le contexte dans le lequel ce document fascinant doit être examiné.

D’une façon générale, ce document suit la politique de Yasser Arafat. La solution de deux Etats, une Etat palestinien sur tout le territoire occupé en 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale, la libération de tous les prisonniers palestiniens. Cela signifie en pratique, bien sûr, la reconnaissance d’Israël.

Pour les Israéliens, le plus problématique concerne, comme toujours, la question des réfugiés. Aucun dirigeant palestinien ne peut abandonner le Droit au Retour, et ce document l’aborde aussi. Mais, en pratique, les Palestiniens reconnaissent que ce problème ne peut trouver de solution qu’en accord avec Israël. Cela signifie que le retour en Israël doit nécessairement être limité en nombre, et la plus grande partie de la solution repose sur un retour dans l’Etat palestinien et le paiement de compensations. Il y a une différence entre le principe de la reconnaissance du Droit au Retour en tant que droit humain fondamental, et l’exercice de ce droit dans la réalité.

Une partie importante du document concerne la mise en ordre de la maison palestinienne. L’institution qui est supposée représenter l’ensemble du peuple palestinien, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, est l’OLP. C’est aussi l’institution qui a signé tous les accords avec Israël. Mais l’OLP est maintenant loin de refléter la réalité politique palestinienne intérieure. Le Hamas, qui est né au début de la première intifada, n’y est pas représenté du tout. Même chose pour le Jihad islamique. Le document demande que les deux soient représentés dans l’OLP - une demande raisonnable et sage. Il appelle également à de nouvelles élections de tous au parlement palestiniens - le conseil national palestinien - et à un gouvernement d’union nationale.

L’ACCORD DES PRISONS peut aider le Hamas à affronter la nouvelle réalité - et c’est, probablement, l’un des principaux mobiles de ses auteurs.

La victoire écrasante du Hamas aux élections parlementaires palestiniennes a été une surprise non seulement pour Israël et l’ensemble du monde, mais aussi pour le Hamas lui-même. Le mouvement n’était pas du tout prêt à assumer les responsabilités du pouvoir. La nouvelle situation crée une énorme contradiction entre l’idéologie du Hamas et les obligations d’un parti de gouvernement. Comme le disait Ariel Sharon : « Ce que vous voyez d’ici vous ne le voyez pas de là-bas. »

Cette contradiction trouve son expression dans les déclarations de différents dirigeants du Hamas. Ce n’est pas de la duplicité, mais plutôt une expression de diverses réactions face à une réalité nouvelle. Le point de vue de Khaled Mashaal à Damas est nécessairement tout à fait différent du point de vue Ismaïl Hanyeh, le nouveau Premier ministre, à Gaza. Les chefs politiques et les chefs militaires voient souvent les choses différemment.

Cette confusion est normale, et probablement beaucoup de temps passera avant de parvenir à un consensus et à une position commune. Il ne faut pas s’étonner, par conséquent, que les dirigeants émettent des opinions qui se contredisent. On en voit un à la télévision israélienne déclarant avec beaucoup d’emphase : « Nous demandons non seulement Jérusalem mais aussi Haïfa, Besan et Tibériade. » tandis qu’un autre affirme que le mouvement « ne reconnaîtra Israël que quand il reviendra aux frontières de 1967 » - un « non » qui implique un « oui ».

The prison agreement is designed to help in creating the new consensus, which should enable Hamas to conduct a policy based on a compromise between the ideology and theology of the movement and the requirements of the Palestinian people. L’accord des prisons est destiné à aider à créer le nouveau consensus, qui devrait permettre au Hamas de conduire une politique basée sur un compromise entre l’idéologie et la théologie du mouvement et les demandes du peuple palestinien.

La ligne possible : l’OLP, conduite par Mahmoud Abbas, entamera des négociations avec Israël et présentera l’accord (s’il y en a un), pour ratification,à un référendum palestinien. Le Hamas s’engagera par avance à accepter le résultat. En même temps, le Hamas déclarera une hudna (armistice) pour de nombreuses années, permettant de mettre fin à la violence des deux côtés.

C’EST POSSIBLE. La question est de savoir si le gouvernement israélien le désire. Pour l’instant, ce ne semble pas être le cas.

Il appelle ouvertement à la définition de « frontières permanentes » d’Israël unilatéralement avec l’annexion de larges zones de territoire. Une telle politique nécessite une situation de « pas de partenaire ». Cela signifie que le gouvernement rejettera tout ce qui pourrait créer un partenaire crédible, qui serait accepté par le reste du monde.

Pendant le procès-spectacle de Marwan Barghouti, nous - mes collègues et moi - étions hors de la sale, portent des affiches qui disaient : « envoyez Barghouti à la table de négociations et pas en prison ! » Mais l’existence de ce document fait penser que de l’avoir envoyé en prison a peut-être été le plus beau cadeau que le gouvernement lui a fait, à lui et au peuple palestinien.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 14 mai 2006 : Traduit de l’anglais « Voices from Prison » : RM/SW


 Source : AFPS
 http://www.france-palestine.org/article3768.html


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