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Qui ? Moi !?
Uri Avnery

 

Maintenant tout le monde admet déjà qu’il y a quelque chose qui fondamentalement ne va pas dans cette guerre. La preuve : la guerre des généraux, qui d’habitude intervient seulement après la fin d’une guerre, s’est déclarée publiquement alors que la guerre est encore en cours.

AUJOURD’HUI, la guerre est entrée dans sa cinquième semaine. Difficile à croire : notre puissante armée se bat maintenant depuis 29 jours contre un « gang » ou une « organisation terroriste », comme les responsables militaires aiment à les appeler, et l’issue de la bataille n’est toujours pas certaine.

Hier, des sources militaires en Israël ont annoncé que 400 des 1.200 « terroristes » du Hezbollah ont été tués. C’est-à-dire que 1.200 combattants ont tenu, face aux dizaines de milliers de nos soldats qui sont équipés des armes les plus modernes du monde ; et des centaines de milliers de citoyens israéliens sont toujours sous le feu des roquettes pendant que nos soldats continuent d’être tués.

QUI ? MOI ? Maintenant tout le monde admet déjà qu’il y a quelque chose qui fondamentalement ne va pas dans cette guerre. La preuve : la guerre des généraux, qui d’habitude intervient seulement après la fin d’une guerre, s’est déclarée publiquement alors que la guerre est encore en cours.

Le chef d’état-major, Dan Halutz, a trouvé le coupable : Udi Adam, chef du commandement nord. Il l’a pratiquement limogé en plein milieu de la bataille. C’est le vieux truc du voleur qui crie « Au voleur ! » En effet, il est évident que la personne la plus responsable des échecs de la guerre est Halutz lui-même, avec sa croyance folle que le Hezbollah pouvait être liquidé simplement avec des bombardements aériens.

Mais ce n’est pas seulement au sommet de l’armée qu’il y a des échanges d’accusations. Le commandement militaire accuse le gouvernement, qui lui renvoie l’accusation.

A la veille de son déclassement, Udi Adam a publiquement accusé le gouvernement de lui lier les mains. Autrement dit : le gouvernement est responsable. Ehoud Olmert n’est pas resté silencieux et a déclaré que l’armée n’avait soumis aucun plan pour étendre la campagne militaire. C’est à dire : si vous êtes incompétents, n’en rejetez pas la responsabilité sur moi !

Pour se justifier, Olmert a ajouté une phrase significative : « Depuis le premier jour de la guerre, le gouvernement n’a refusé à l’armée aucune de ses demandes ! » En d’autres termes, c’est le chef d’état-major qui fait la politique et qui conduit la guerre, alors que la direction politique se contente de valider toutes les « demandes » de l’armée.

Mais ce débat est stérile, parce qu’il ne tient pas compte du fait essentiel, qui devient de plus en plus clair de jour en jour : il est absolument impossible de gagner cette guerre. C’est pourquoi aucun plan ne marche.

UN PLAN ? QUEL PLAN ? Il y a des années, le commentateur militaire de Haolam Hazeh, le magazine que je dirigeais à l’époque, était excédé des fanfaronnades de l’armée sur le fait qu’elle excelle en improvisations. « L’art d’improviser », a-t-il écrit, « n’est qu’un autre nom de notre incapacité à planifier. »

Selon les rapports, l’armée israélienne se prépare à cette guerre depuis plus de trois ans. Le dernier exercice a eu lieu un mois avant que la guerre soit déclenchée et comprenait l’invasion du Liban par des forces terrestres. Il est clair que le commandement n’avait pas prévu que la campagne durerait quatre semaines et plus. Merde alors ! Car au fond il s’agit d’une guerre contre une petite bande de terroristes. Cela ne fait que confirmer le dicton selon lequel même le meilleur plan de guerre ne peut pas survivre au premier jour de la guerre.

LA GUERRE DU PAUVRE. Il est tout à fait clair que le merveilleux plan du commandement militaire n’incluait pas la défense de l’arrière à l’intérieur de la zone de portée des roquettes. Il n’y avait pas de plan pour résoudre les cent et un problèmes créés par l’attaque contre le Hezbollah : depuis la protection des populations civiles contre des milliers de missiles jusqu’aux dispositions économiques à prendre quand un tiers de la population d’un pays vit sous les bombardements et est paralysé.

Maintenant les gens protestent, et bientôt les ministres et les généraux devront essayer de trouver quelqu’un à qui imputer cela aussi.

Cette guerre se mène sur le dos du faible, qui ne peut « s’évacuer » par lui-même de la zone des tirs de roquettes. Les riches et les nantis sont partis depuis longtemps - en Israël et au Liban. Le pauvre, le vieux, le malade et l’handicapé restent dans les abris. Ce sont ceux qui souffrent le plus. Mais ce ne sont pas ceux qui s’opposent à la guerre. Au contraire, ce sont les groupes les plus virulents en Israël et ils exigent « d’en finir », « de les fracasser », « de les anéantir ».

D’ailleurs, cela n’est pas nouveau : les plus faibles de la société veulent toujours sentir qu’ils appartiennent à la nation la plus forte. Ceux qui n’ont rien deviennent les plus grands patriotes. Et ils sont aussi les principales victimes.

Ceux qui ont lancé et planifié la guerre flattent cyniquement les habitants du nord, qui y sont coincés, les appelant des « héros » et vantant leur « merveilleuse ténacité ».

CYNIQUES UNIS. Aujourd’hui la fin des tueries dépend des Nations unies.

David Ben Gourion les appelait avec mépris « ONU SHMONU » (UM-SHMUM en hébreu). Pendant la guerre de 1948, il a violé les résolutions de cessez le feu quand elles ne lui convenaient pas (en tant que soldat, j’ai pris part à quelques-uns de ces actions). Lui et ses successeurs au cours des années ont violé presque toutes les décisions de l’ONU nous concernant, arguant (non sans raison) que l’organisation était dominée par une majorité automatiquement anti-israélienne, composée du bloc soviétique et des pays du tiers-monde.

Depuis lors, la situation a changé. Le bloc soviétique s’est écroulé et les Nations unies sont devenue un bras du Département d’Etat des Etats-Unis. Kofi Annan est devenu un portier et le vrai patron est le délégué américain, John Bolton, un néo-con. enragé et donc un grand ami d’Israël. Il veut que la guerre continue.

Le petit jeu américain consiste à donner à l’armée israélienne encore plus de jours, voire de semaines, pour continuer la guerre, pour entretenir le mirage de la victoire, tout en prétendant faire de gros efforts pour arrêter la guerre. Il semble qu’Olmert ait promis à Bush de gagner en fin de compte, si on lui en donne le temps.

Les nouvelles propositions du gouvernement de Beyrouth ont allumé les feux rouges à Jérusalem. Le gouvernement libanais propose de déployer 15.000 hommes des troupes libanaises le long de la frontière, de déclarer un cessez-le feu et de faire sortir les soldats israéliens du Liban. C’est exactement ce que le gouvernement israélien avait demandé au début de la guerre. Mais, maintenant, cette proposition lui semble dangereuse. Car elle pourrait mettre fin à la guerre avant la victoire israélienne.

Ainsi une situation paradoxale s’est créée : le gouvernement israélien est en train de rejeter une proposition qui correspond à ses objectifs initiaux, et demande à la place le déploiement d’une force internationale, qu’il refusait catégoriquement au début de la guerre. Voilà ce qui arrive quand on démarre une guerre sans objectifs clairs et réalisables. On mélange tout...

GÉNÉRAUX ET COMMENTATEURS. J’ai une proposition pour résoudre tous les problèmes causés par cette guerre : virer les généraux et les commentateurs.

Les généraux n’ont pas brillé dans la conduite de la guerre. Mais eux et leurs camarades, les ex-généraux, se sont révélés d’excellents commentateurs. Ils ont envahi les studios, créé un consensus national et réduit au silence toute critique réelle. (Excepté une sorte de critique : Pourquoi n’avançons-nous pas plus loin à l’intérieur du Liban ? Pourquoi n’avons-vous nous pas encore atteint le Litani ? Pourquoi ne sommes-nous pas au-delà du Litani ? Pourquoi n’avons-nous pas effacé les villages libanais de la carte ?)

D’autre part, les stations de radio montrent que les commentateurs militaires savent exactement comment faire la guerre. Ils ont des opinions bien établies et donnent des tas de conseils. Ils savent quand avancer et où, quelles troupes déployer et quelles armes utiliser.

Alors pourquoi ne les laisse-t-on pas diriger la guerre ?

MACHOSTAN. La bande de généraux qui apparaît chaque soir sur toutes les chaînes de télévision pour faire un « briefing » (c’est-à-dire de la propagande) à la nation, sont tous des mâles. Ils sont accompagnés d’une femme alibi, une vraie beauté qui porte le titre de « porte-parole de l’armée ». Les commentateurs de TV sont, évidemment, de vrais mecs, de même que presque tous les autres intervenants.

La domination des mâles est soulignée par le fait que le ministère des Affaires étrangères est dirigé par une femme. En effet, depuis la fondation d’Israël, le ministère de la Défense a été le royaume des hommes, qui considère avec dédain le ministère des Affaire étrangères, toujours considéré comme faible et mou. Aujourd’hui aussi, le ministère des Affaires étrangères est le ventre mou de l’« establishment de la défense ». Tsipi Livni, qui un moment a éveillé des espoirs, est un perroquet de l’armée - comme Condoleezza Rice est le perroquet de Bush.

La guerre est, certes, une question d’hommes. Il en est ainsi depuis le début de la race humaine, et peut-être même avant. Une tribu de Babouins, par exemple, face à un danger, adopte automatiquement une formation défensive : vieillards, femmes et enfants au centre. Les jeunes hommes en cercle autour d’eux. Il n’y a qu’une différence entre eux et nous : leur chef est toujours le plus sage et le plus expérimenté de la tribu.

L’amour du mâle pour la guerre - un phénomène que nous avons eu l’occasion d’observer de près ces derniers jours - ne s’explique pas seulement par l’héritage biologique. La guerre assure la domination totale des mâles sur la société. Elle assure aussi la domination totale des généraux sur l’Etat.

Si nous avons cru que cela changerait avec un gouvernement dirigé par des civils, nous avons d’évidence eu tort. C’est le contraire qui est vrai : les civils qui se présentent comme des chefs de guerre ne sont pas meilleurs que les généraux. Un vieux général peut même avoir appris quelque chose de son expérience.

Je vais maintenant dire quelque chose que je ne pensais jamais pouvoir dire. Il est tout à fait possible que nous n’eussions pas glissé dans cette guerre stupide si Ariel Sharon était encore aux commandes. De fait, il n’a pas attaqué le Hezbollah après le retrait en 2000. Une tentative lui suffisait. Ce qui prouve encore que si mauvaise que soit la situation, le pire peut encore arriver.

Le désir de guerre explique aussi le choeur des discours des centaines d’ex-généraux qui pensent et parlent à l’unisson en faveur de la guerre. Un cynique dirait : la belle affaire, après tout c’est l’armée qui leur donne leur position dans la société. Ils sont importants aussi longtemps que le conflit entre Israël et le monde arabe continue. Le conflit garantit leur statut. Ils n’ont aucun intêrêt à quelque solution que ce soit.

Mais le phénomène est plus profond. L’armée est le creuset des officiers supérieurs. Elle forme leur univers mental, leur attitude et leur style. En dehors des colons, le corps des officiers supérieurs - avec ou sans uniforme - est aujourd’hui le seul parti idéologique en Israël et par conséquent il a une énorme influence. Il peut facilement avaler un millier de petits fonctionnaires comme Amir Peretz à son petit déjeuner.

C’est pourquoi il n’y a pas de réelle capacité d’auto-critique. Au début de la cinquième semaine, les slogans sont encore : En avant ! Vers le Litani ! Plus loin ! Plus fort ! Plus profond !

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 10 août 2006 - Traduit de l’anglais « Who ?Me !? » : SW

 



Source : AFPS  
http://www.france-palestine.org/article4415.html


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