Ainsi, Sharon lui-même a construit les colonies
dans la bande de Gaza, et maintenant il les a détruites de ses
propres mains. Il a créé le Likoud, et maintenant - espérons-le
- il est en train de l’enterrer.
Pour ceux qui ont besoin d’un rappel : la
création du Likoud a été exclusivement la réalisation d’Ariel
Sharon.
En 1973, avant la guerre du Kippour, il a été
contraint de quitter l’armée quand les autres généraux lui
ont bloqué la voie de l’état-major. Ils le détestaient parce
qu’il était insupportable comme collègue, insubordonné envers
ses supérieurs, et déloyal envers ses pairs - des traits qu’il
a gardés toute sa vie et qui peuvent caractériser des leaders
qui aspirent à un pouvoir autocratique.
A cette époque, un de ses admirateurs a prononcé
une phrase qui est devenue célèbre : « Ceux qui
n’en veulent pas comme chef d’état-major l’auront comme
ministre de la Défense. » Sharon était à la recherche
d’un ascenseur pour l’élever à cette position. Comme il
n’en pas trouvé, il en a créé un - le Likoud (« Unification »).
L’idée était simple : unifier la droite.
Certes, les deux principaux partis de droite - Herout et parti libéral
- avaient déjà constitué un groupe parlementaire unique (appelé
Gahal). Mais il y avait aussi deux partis de droite dissidents.
Sharon a utilisé son récent prestige et les a obligés - presque
à leur corps défendant - à s’unir.
Je l’ai interrogé, à l’époque, sur le but
de cette manœuvre, puisque le Herout et les libéraux étaient déjà
unis et que les deux partis dissidents n’apportaient rien de
plus. Il est nécessaire, m’a-t-il dit, de créer l’impression
que toute la droite est en train de s’unir. Cela attirera les
gens. Personne ne doit être laissé à l’écart.
Et, en effet, ça a marché. En 1969, le bloc
Gahal n’avait obtenu que 26 (sur 120) sièges à la Knesset,
exactement comme quatre ans auparavant. Mais, en 1973, le nouveau
Likoud avait déjà obtenu 39 sièges et, en 1977, il accédait au
pouvoir avec 43 sièges.
Selon son habitude, Sharon s’était querellé
avec ses nouveaux collègues presque immédiatement après avoir
créé le Likoud. Il l’avait quitté et mis sur pied un nouveau
parti , Shlomzion (« Paix de Sion », nom d’une reine
hasmonéenne). Ayant lamentablement échoué aux élections de
1977, il en a tiré la conclusion évidente et a rejoint le Likoud
à toute vitesse. Mais Menahem Begin a refusé de le nommer
ministre de la Défense et ne lui a donné que l’Agriculture.
« S’il en a l’occasion, il encerclera la Knesset avec
ses tanks », a dit Begin en plaisantant à moitié, et il a
nommé Ezer Weizman à la place.
Mais quatre ans plus tard, après que Weizman eut
démissionné sur un coup de tête, Sharon a finalement été nommé
ministre de la Défense. Le reste de l’histoire est bien connu :
l’invasion du Liban, le massacre de Sabra et Chatila, la
commission Kahane, la révocation de Sharon du ministère de la Défense,
l’affaiblissement de Begin, les querelles de Sharon avec le
Premier ministre Yitzhak Shamir, les querelles de Sharon avec le
Premier ministre Netanyahou et la déroute électorale de
Netanyahou qui a laissé le Likoud avec 19 misérables sièges.
Sharon a pris le relai, redressé la situation et est devenu
Premier ministre. Aux dernières élections, en 2003, il a obtenu
une victoire mémorable : 38 sièges (auxquels Nathan
Sharansky a ajoutés les deux siens) contre 19 sièges seulement
au parti travailliste. Sharon est devenu le chef incontesté du
Likoud et de l’Etat.
Et, deux ans et demi plus tard, il est dans une
situation où le Likoud, sa création, menace de l’évincer du
pouvoir et de mettre à sa place un politicien véreux et raté.
Que s’est-il passé ?
La première raison est, bien sûr, le démantèlement
des colonies de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie. En
effet, cela est en totale contradiction avec tout ce que Sharon
représente. Après tout, c’est lui qui a mis les colonies à
l’honneur et a déclaré « Ce qui est vrai pour Tel-Aviv
est vrai pour Netzarim ». Maintenant il a envoyé les
bulldozers pour démolir Netzarim, maison par maison, devant les
caméras. Il « a trahi les principes du Likoud », il
« est en train d’appliquer le plan de la gauche » et
il « divise le peuple ».
Ce n’est que partiellement vrai. Il est vrai que
Sharon a créé un précédent historique en démantelant des
colonies juives dans la Terre historique d’Israël. Il a fait échouer
la vision de la droite de « Grand Israël intégral »
et fait du partage de la terre un fait accompli. Mais derrière
l’apparence de gauche se cache un plan de droite :
sacrifier Gaza pour annexer une grande partie de la Cisjordanie
qui est beaucoup plus importante et pour empêcher l’établissement
d’un Etat palestinien viable. Encore après le « désengagement »,
il est en train d’agrandir les colonies de Cisjordanie et de
construire le mur de séparation dont le but réel est de fixer
unilatéralement les frontières d’un Israël agrandi.
Un des gros problèmes de Sharon, c’est son
caractère. Après sa grande victoire électorale, il ne se soucie
pas de masquer à son parti, et à l’opinion publique en général,
son attitude dédaigneuse. Les 3.300 membres du puissant comité
central du Likoud, la plupart de petits politiciens avec de gros
appétits, ressentent (à juste titre) qu’il les méprise (à
juste titre également).
Sharon n’a jamais pris la peine d’expliquer
ses motifs pour entreprendre le désengagement. Il fallait les
deviner. Les préparatifs militaires étaient méticuleux, les
relations publiques étaient nulles. Malgré cela, la majorité
des gens ont soutenu le plan, soit par loyauté envers l’ordre démocratique
soit par espoir de paix, soit les deux. Mais même cela n’a pas
généré un mouvement puissant en faveur du désengagement.
Aujourd’hui le Likoud est en état de rébellion.
La situation frise l’absurde : le parti au pouvoir menace
de chasser son propre Premier ministre, au risque de perdre le
pouvoir. Les membres de la Knesset, qui ont gagné leur position
élevée grâce à Sharon, menacent de dissoudre la Knesset,
sachant très bien que beaucoup d’entre eux, n’ont aucune
chance d’être choisis de nouveau comme candidats. Le système
politique dans son ensemble est en état d’anarchie.
Les sondages montrent une image confuse :
dans le comité central du Likoud, l’institution décisionnelle,
il y a une large majorité contre Sharon et pour Netanyahou. Parmi
les membres du Likoud également, une majorité est contre Sharon.
Mais parmi les électeurs du Likoud, Sharon a la majorité et,
dans l’électorat en général, Sharon a une avance respectable
sur Netanyahou.
Dans cette situation étrange, que peut-il arriver ?
Option 1 : Sharon triomphe. Le comité
central du Likoud organise vraiment des primaires mais, au dernier
moment, ses membres rechignent à sortir Sharon, de crainte de
perdre le pouvoir. Les milliers de politicards du parti dont les
positions juteuses viennent de leur appartenance au parti, préfèrent
le pouvoir avec le Sharon détesté plutôt que l’opposition
avec Netanyahou. Sharon reste Premier ministre jusqu’aux élections
régulières en novembre 2006 avec de bonnes chances d’être réélu
pour quatre années de plus (jusqu’à 81 ans).
Option 2 : Sharon est évincé. Le comité décide
d’élections primaires anticipées. Netanyahou est élu chef du
Likoud. Il peut mettre sur pied une coalition nationaliste
religieuse dans la Knesset actuelle. Ou alors, la Knesset est
dissoute et de nouvelles élections ont lieu, avec Netanyahou
conduisant le Likoud unifié. Sharon retourne à sa ferme. C’est
une victoire retentissante des colons, prouvant que quiconque démantèle
des colonies se suicide politiquement.
Option 3 : le petit bang : Sharon perd
les primaires du Likoud, le Likoud se coupe en deux, Sharon prend
avec lui à peu près un tiers du groupe parlementaire, il met sur
pied une nouvelle coalition avec les partis de gauche et orthodoxe
et continue à gouverner. S’il gagne les élections générales
en novembre 2006, il continue à gouverner comme leader du Likoud
B.
Option 4 : le big bang : Le Likoud se
divise comme précédemment, mais Sharon met sur pied un nouveau
parti avec des membres du parti travailliste et du Shinoui. La
Knesset est dissoute et le nouveau parti, conduit par Sharon gagne
- comme l’indiquent actuellement les sondages d’opinion - avec
un raz de marée. C’est ce qu’on appelle communément « le
big bang ».
Le Président Bush fait tout ce qui est en son
pouvoir pour faciliter l’option 1. Il travaille dur pour aider
Sharon à parvenir à des réussites politiques spectaculaires
telles qu’une rencontre avec le Président du Pakistan,
l’accueil du roi de Jordanie à Jérusalem, etc. Mais il est peu
probable que cela aidera Sharon aux yeux du comité central du
Likoud.
Pour ce qui est du processus de paix, il vaudrait
mieux que de nouvelles élections aient lieu dès que possible,
afin d’éviter une longue période intérimaire où tout est gelé,
où l’activité de colonisation se poursuit et où une troisième
intifada peut très bien éclater. On ne peut compter sur les Américains
pour empêcher une telle situation.
Mais l’intérêt principal du camp de la paix
est la réorganisation de tout le système politique. Pendant des
années, la situation en Israël a frisé le grotesque : sans
réelle relation entre la répartition des opinions dans la
population, telle que la montrent tous les sondages, et la répartition
des forces à la Knesset. Le parti travailliste est un cadavre
ambulant, sans philosophie, sans programme politique et sans
direction digne de ce nom. Le parti Meretz est pâle et
inefficace. Les nombreux électeurs qui aspirent à la paix
n’ont aucune représentation réelle au Parlement.
Le pays a besoin d’un séisme politique qui fera
des montagnes des vallées et des vallées des montagnes. Si la
crise actuelle apportait un changement complet dans le paysage
politique, ce serait une bénédiction.
T.S. Eliot a prédit : « C’est ainsi
que le monde finit / Non pas par un bang mais par un gémissement. »
Le destin du Likoud peut très bien être le contraire :
finir non par un gémissement, mais par un bang.
Article publié le 3 septembre 2005, en hébreu et en anglais, sur
le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « The
Bang and the Whimper » : RM/SW