On dit qu’un chameau est l’ébauche d’un
cheval faite par un comité. Si on laisse de côté
l’insulte à l’animal bossu (en arabe les mots chameau et
beauté sont très proches) nous pouvons dire que les comités,
par leur nature même, ne sont pas des organismes créatifs.
Il n’est pas nécessaire de croire en Dieu, et pas même en
un « dessein intelligent », pour savoir qu’aucun
comité ne pourrait faire l’ébauche d’un noble cheval
arabe.
Le programme politique que l’on demande à
Amir Peretz d’adopter n’est pas un cheval, ni même un
chameau.
LE COMITÉ chargé du
brouillon du cheval est composé de plusieurs personnalités
bien connues : Dave Kimche, vieux vétéran du Mossad ;
Uzi Baram, ancien membre de la Knesset appartenant à l’aile
colombe du parti travailliste ; Yuli Tamir, membre de La
Paix Maintenant depuis longtemps ; Avi Primor et Alon
Pinkas, anciens fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères.
Dalia Rabin en est aussi membre ; peut-être qu’être
la fille de Yitzhak Rabin confère une certaine forme
d’expertise.
Celui qui nomme un comité sait généralement
quelles seront ses conclusions. Ce comité est composé de
colombes modérées, quelque chose appelé dans le nouveau
jargon politique « centre gauche ». Pas trop
radical, Dieu merci. Et son programme politique non plus.
Le comité affirme qu’un Etat palestinien
doit être établi - et cela est bien. Il est contre des
accords intérimaires successifs et aussi contre l’idée
d’un « Etat palestinien provisoire » - deux idées
prisées par Ariel Sharon et comprises dans l’inepte
« Feuille de route » - et cela est bien également.
Il exige aussi un calendrier jusqu’à
l’issue des négociations. Mais alors intervient une phrase
choquante : « Seulement si les négociations échouent,
des mesures unilatérales seront envisagées en dernier
ressort. »
Que veulent dire ces mots ? Ils
transforment le paragraphe entier en ultimatum. Soit vous
acceptez notre offre, soit nous la réaliserons unilatéralement.
Bien sûr, seulement en dernier ressort. Mais nous déciderons
du moment du dernier ressort. En termes simples, le comité
jette à la porte les « mesures unilatérales » de
Sharon, mais seulement pour les laisser rentrer par la fenêtre.
Les chrétiens qui croient au diable savent
qu’un de ses pieds est un sabot de cheval. Généralement le
diable réussit à le cacher, mais de temps en temps on
l’aperçoit sous sa cape. Le « dernier ressort »
est le sabot de Satan.
En outre, le comité déclare que les négociations
seront menées avec la « direction palestinienne élue ».
Clair et net. Mais le comité n’en reste pas là. Il en
profite aussi pour dire aux Palestiniens qui ils doivent élire
en ajoutant les mots « en excluant toute négociation
avec le Hamas ». Et qu’en sera-t-il si les
Palestiniens persistent à élire le Hamas, parmi les autres,
et que le Hamas forme la direction palestinienne ? Dans
ce cas, n’y aura-t-il pas de négociations et
reviendrons-nous tout de suite aux « mesures unilatérales »
à la Sharon ?
C’est vraiment une démarche stupide. Le
rejet du Hamas est basé sur le refus de cette organisation de
reconnaître l’existence même d’Israël en appelant à sa
destruction. Mais si le Hamas est prêt à mener des négociations
avec le gouvernement élu d’Israël pour parvenir à une
paix permanente, en pratique il reconnaît déjà celui-ci. De
surcroît, l’Autorité palestinienne tire son statut des
accords d’Oslo, qui sont basés sur la reconnaissance
mutuelle entre le gouvernement d’Israël et l’Organisation
de libération de la Palestine. Si Hamas prend part aux élections
palestiniennes, sa participation même constitue une
reconnaissance de fait d’Israël.
Tout ceci nous rappelle les jours lointains où
les gouvernements travaillistes rejetaient toute négociation
avec l’OLP en utilisant exactement les mêmes arguments.
N’ont-ils rien appris et rien oublié ?
ET EN PLUS : JERUSALEM.
Comme Sharon, comme Netanyahou, le programme établit que
« Jérusalem est la capitale unie de l’Etat d’Israël ».
Certes, le comité n’est pas d’accord pour
réexaminer la carte municipale et exclure plusieurs villages
et quartiers qui entourent la ville. Cela signifie,
probablement, des villages comme Abou Dis et Azarieh, qui
n’ont jamais appartenu à Jérusalem jusqu’à leur
annexion pendant la guerre des Six-Jours. Rien à dire
jusque-là. Mais le programme soutient tacitement l’annexion
de tous les quartiers arabes de Jérusalem-Est, comme la
Vieille ville, le Mont du Temple, Abou-Tur, Seik Jerakh et
autres. Au total, cela laisse aux Palestiniens beaucoup moins
que la formule Clinton (« ce qui est juif aux Israéliens,
ce qui est arabe aux Palestiniens »).
L’histoire raconte qu’un jour Napoléon
est entré dans une ville allemande sans recevoir les
habituels 101 coups de canon. Quand le maire a été convoqué
pour s’expliquer sur cette insulte, il a sorti une longue
liste et commencé à la lire : « Premièrement,
nous n’avons pas de canons. » Napoléon l’a
interrompu : « Cela suffit. Pas besoin de lire le
reste. »
On peut dire la même chose d’un programme
qui comporte l’annexion de Jérusalem-Est. Pas besoin
d’autres paragraphes. Aucun Palestinien - ou musulman - ne
pourrait être d’accord - ni le Fatah, ni le Hamas, ni
aujourd’hui, ni dans cent ans. On peut passer tout de suite
au « dernier ressort ».
EN QUITTANT JERUSALEM,
nous pouvons nous rendre directement à Hong Kong. Là-bas,
sur l’île chinoise, le comité a trouvé une inspiration
vraiment originale.
Il y a quelque 107 ans, à l’âge d’or de
l’impérialisme britannique, quand la Chine était hors de
combat, les capitaines de l’Empire voulaient prendre
possession de Hong Kong, île chinoise de grande importance
stratégique. Pour une raison quelconque, ils ne voulaient pas
carrément l’annexer et ont préféré utiliser un stratagème.
La Chine a été contrainte de la « louer » pour
99 ans et elle est devenue une colonie de la couronne
britannique.
Aujourd’hui, le programme du parti
travailliste propose un procédé similaire : l’Autorité
palestinienne louera les « blocs de colonies » à
Israël pour 99 ans, et Israël paiera le loyer en argent ou
en territoire (également loué pour 99 ans ?) Et que
fera Israël dans les zones louées ? Les couvrir de
colonies jusqu’au dernier centimètre. Alors, que va-t-il
rendre dans 99 ans ?
Il est difficile d’imaginer un Palestinien
pouvant distinguer entre cette idée et l’annexion proposée
par Sharon. Ou un Palestinien préoccupé de ce qui se passera
dans 99 ans.
A QUOI BON tous ces procédés ?
Je ne suis pas naïf au point de ne pas connaître
le but des plateformes électorales. Elles sont là pour
attirer les voix et être oubliées le lendemain. Mais même
dans cet esprit, les procédés trouvés ne sont pas bons.
Le comité pense manifestement que le
programme réel de Peretz ferait peur aux électeurs. Aussi
soumet-il une version amputée, édulcorée, dans l’espoir
d’attirer vers le centre mythique les gens qui aujourd’hui
sont en train de lorgner vers Sharon. Il est également clair
que les auteurs du projet voulaient concocter un programme qui
permettrait au parti travailliste en temps voulu d’entrer
dans une coalition dirigée par Sharon. Mais c’est un
mauvais calcul.
Ces élections ne sont pas un choix entre
programmes, mais un choix entre trois personnalités :
Sharon, Netanyahou et Peretz. Personne ne se soucie beaucoup
de savoir qui sera le candidat n° 9 ou 13 des listes du
parti travailliste, du Likoud ou du Kadima. Ils voteront pour
un dirigeant qui, selon eux, sera capable de diriger l’Etat.
De ce point de vue, Sharon dépasse les autres de plusieurs têtes.
La campagne électorale du parti travailliste
doit convaincre les gens qu’Amir Peretz est un dirigeant
conséquent, sûr de lui, et, surtout, qu’il n’a pas peur
du tout, qu’il pourrait être un Premier ministre qui ne se
dégonfle pas, qui sait ce qu’il veut, qui a des solutions
claires à tous les problèmes. Un programme superficiel,
fade, et fait de bric et de broc ne convaincra personne que
Peretz est cet homme-là.
N’essayons pas de retaper un chameau. Les
gens veulent un chevalier à cheval.
Article publié en hébreu et en anglais le 1er janvier 2006
sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais
« Who Needs a Camel ? » : RM/SW.