– Inconnu
jusqu’à ce jour à l’étranger, le visage de M. Shaer
a soudain été montré sur les écrans de télévision et
dans les journaux partout à travers le monde. Le porte-parole
militaire israélien a présenté cette opération comme
faisant partie de la « lutte contre l’organisation
terroriste Hamas ». Est-ce que votre
famille a soumis une plainte envers le gouvernement israélien
qui laisse entendre que M. Shaer serait membre d’une « organisation
terroriste » ?
– Mon père, Naser Shaer,
est connu comme étant un homme au caractère très doux. Il
est entré au gouvernement en tant qu’indépendant. Il a été
choisi au poste de ministre au sein du nouveau gouvernement
palestinien parce qu’il est connu comme une personne d’un
niveau de formation élevé, titulaire d’un PhD, et en sa
qualité d’ancien professeur universitaire. Ce qui l’a
convaincu d’accepter une telle fonction est sa volonté de développer
l’éducation en Palestine et de permettre à d’autres
d’acquérir des connaissances. C’est pour cela qu’il est
ministre de l’Éducation et de l’enseignement supérieur.
Ma famille n’est pas le seul groupe qui affirme que mon père
n’est ni un terroriste ni un membre du mouvement Hamas. En
Palestine, toute la population est d’accord là-dessus.
C’est pour elle un fait indiscutable.
– Des
agences de presse, telles que l’AFP, ont écrit que : « Les
soldats israéliens ont arrêté… Nasser Shaer, membre du
Hamas ». Et, en se basant sur cette dépêche,
tous les médias l’ont répété. Avez-vous demandé à l’AFP
de rectifier cette erreur ?
– Nous aimerions rappeler à
toute agence de presse qui couvre ce qui se passe en Palestine
que la principale règle éthique en journalisme est de ne pas
biaiser les faits et de ne pas prendre parti ; tout
journaliste devrait être précis lorsqu’il couvre les événements
de l’actualité mondiale et devrait écouter toutes les
parties concernées par l’événement en question. Or ce que
nous voyons ici, en Palestine, c’est que la plupart des
agences de presse ne rapportent que les paroles du
gouvernement israélien, sans se préoccuper de l’autre
position, la position palestinienne. Si ces agences étaient
de véritables agences, elles respecteraient les normes éthiques
du journalisme. Je crois que, si ces agences s’étaient
renseignées au sujet de Naser Shaer, elles auraient découvert
que ce qu’Israël a dit à son sujet est absolument faux et
que ce ne sont que des déclarations qui visent à justifier
son enlèvement. Mon père est une personne connue parmi tous
ceux qui ont pu l’apprécier comme un intellectuel aux
tendances modérées et disposant d’un grand bagage de
connaissances. Il n’est pas seulement connu par les Arabes,
mais aussi parmi les intellectuels et les universitaires des
pays occidentaux. Alors j’appelle tous ceux qui continuent
à répéter les affirmations israéliennes, à se renseigner
au sujet de mon père et à lire les livres qu’il a écrits
sur la paix et sur l’étude comparative des religions.
– Peut-on
considérer cette violation des droits de la personne commise
par Israël comme étant une « détention » ?
Peut-elle être présentée comme étant une détention
normale et légale ? Selon le droit international,
l’enlèvement et l’arrestation arbitraires ne sont-ils pas
des crimes ? M. Shaer et tous les autres ministres
et parlementaires enlevés par Israël ne doivent-ils pas être
considérés comme des personnes séquestrées ?
– « Détenu »
est un mot utilisé pour se référer à un criminel qui a
violé la loi ou qui a commis un acte qui a mis en danger la sécurité
et la paix d’autres personnes. Mais une telle description ne
correspond pas aux actes de mon père ou à sa personnalité.
On sait aussi que mon père est ministre au sein d’un
gouvernement constitué à la suite d’élections qui ont été
décrites par les observateurs internationaux, y compris américains,
comme ayant été totalement justes, équitables et propres.
Ce témoignage fait de mon père et de tous ses collègues au
sein du gouvernement et du Conseil législatif, des personnes
qui sont des ministres légitimes et des membres du
gouvernement qui devraient jouir d’une protection
internationale en vertu du droit international, que les États-Unis
et que ses alliés déclarent défendre. En conséquence,
l’acte de se saisir de mon père, à quatre heures du matin,
alors qu’il dormait avec les membres de sa famille,
constitue un enlèvement et non une arrestation comme Israël
essaie de le faire croire. Je peux donc dire qu’Israël est
un pays qui a mis les lois internationales au rebut et qui tue
et enlève n’importe quelle personne ayant la nationalité
palestinienne, et que je crois que de telles actions ne
peuvent pas être niées parce que les caméras montrent tout
et ne mentent pas.
– M. Shaer
prenait-il, dernièrement, moins de précaution
qu’auparavant ? Est-ce la première fois que sa famille
se trouve confrontée à une situation aussi difficile ?
Depuis la nuit de son enlèvement, avez-vous eu des nouvelles
de lui ? Où se trouve-t-il ? Est-il bien traité ?
– Mon père a commencé à
prendre des précautions quand les soldats israéliens sont
venus la première fois et ont enlevé les autres ministres de
Ramallah, mais il n’était pas à la maison cette fois-là.
Pour moins d’une semaine, il a dormi ailleurs qu’à la
maison et il changeait de lieu quand il savait que des véhicules
israéliens entraient dans la ville, mais il a continué à se
rendre au ministère et à le diriger chaque jour. Mais cette
situation n’a pas duré. Comme je vous dis, après moins
d’une semaine, il a repris son style de vie normale. Il est
revenu dormir à la maison, avec sa famille et, quant à ses
fonctions, il a continué à les exercer. Mon père nous a
toujours dit qu’Israël ne s’intéresse qu’à empêcher
les Palestiniens de vivre librement et que cette idée le
pousse à faire n’importe quoi, même des enlèvements. Mon
père croyait qu’il était entièrement libre, qu’il ne
faisait absolument rien pouvant se retourner contre lui s’il
devait être emprisonné par Israël. Ainsi, il pensait
qu’il n’avait pas à fuir ou à se cacher. Pourquoi
devrait-il le faire ? Tout ce qu’il fait est acceptable
dans tous les autres pays, et il est toujours prêt à se
confronter à toute personne qui affirme le contraire.
Mon père avait déjà été enlevé antérieurement, le 7
octobre 2005, et Israël avait justifié cet acte en affirmant
que les gens, en Palestine, disaient que mon père allait
probablement se présenter aux élections législatives comme
candidat du Hamas. Mais ces déclarations s’étaient avérées
fausses et basées sur des rumeurs et ils avaient donc dû le
libérer sans être capable de le condamner. Quant aux
nouvelles sur sa situation, mon père a été emmené dans une
prison qui porte le nom de Kfar Yona, autrefois destinée aux
criminels israéliens. Les Israéliens l’ont enfermé dans
une cellule isolée de un mètre sur deux, sans fenêtre, très
mal éclairée, là où personne ne parle Arabe. La nourriture
est infecte, il n’a pas de télévision, de radio ou de
livres. Il ne peut même pas savoir quelle est l’heure ou la
date. Pour ce qui est du traitement, aucun Palestinien n’est
bien traité dans une prison israélienne. Quel traitement une
personne peut-elle avoir dans des conditions si désastreuses ?
Jeudi 24 août, mon père a été conduit à un tribunal
militaire, et ils ont décide de remettre son cas à la fin du
mois, parce que l’Agence de renseignements israélienne n’était
pas capable de prouver qu’il était coupable de quoi que ce
soit, malgré le fait qu’il avait été maintenu en prison
pendant six jours sans qu’il n’y ait d’enquête sur lui.
– Voir un
bataillon de soldats israéliens entrer à Ramallah pour tuer
et enlever des gens est quelque chose qui est habituel en
Palestine. Mais enlever un ministre d’un gouvernement élu
est quelque chose de très controversé. Comment la diplomatie
a-t-elle réagi ? Quel État a condamné Israël pour
l’enlèvement de M. Shaer ?
– L’enlèvement de mon père
a été dénoncé par un certain nombre de pays arabes, européens
et musulmans. L’Égypte, la Jordanie, le Qatar et d’autres
pays arabes ont dénoncé cet acte, et la France a été le
premier pays européen à affirmer qu’elle considérait cet
acte comme étant totalement inacceptable.