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Pour moi, désormais Pourim aura toujours un arrière-goût de sang
Ruth Meisels

in Ha’aretz, 9 juin 2006

http://www.haaretz.com/hasen/objects/pages/PrintArticleEn.jhtml?itemNo=724870

Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft.

[A propos de l’ouvrage : « Reckless Rites: Purim and the Legacy of Jewish Violence » [Des rites absurdes : Pourim et l’héritage de la violence juive], par Elliott Horowitz, Princeton University Press, 340 pages, US$ 35]

 

Permettez-moi de commencer par un aveu : aussi loin que remontent mes souvenirs, je n’ai jamais aimé la fête de Pourim, avec son histoire de massacre des Gentils et son message de revanche et de réjouissance devant l’écrasement d’autres que nous. A croire que la pendaison des dix fils d’Haman ne suffisait encore pas : le Livre d’Esther va jusqu’à se vanter le fait que « les autres juifs qui vivaient dans les provinces du royaume du roi déchu se rassemblèrent et défendirent leur vie ; ils furent libérés de leurs ennemis, desquels ils égorgèrent soixante-dix et cinq mille » [Esther 9:16]. De plus, nous pouvons lire la requête horrifiante d’Esther que les juifs de Shushan se vissent accorder une journée supplémentaire pour mettre en application « le décret pris en ce jour », c’est-à-dire, pour massacrer leurs voisins non-juifs. Comme pour éliminer tout risque de doute, l’auteur du Livre d’Esther souligne qu’il ne s’agissait absolument pas d’autodéfense et qu’ « aucun homme ne put leur résister ; car la peur qu’ils (= les juifs) inspiraient s’imposa à tout le monde » [9:2]. Ainsi, chaque année, la seule chose qu’il me reste à faire, à la synagogue, c’est serrer les dents pendant la lecture de la Megillah, et me consoler en me disant qu’historiquement, tout au moins, la véridicité de cette histoire est plus que douteuse…

Mais voilà que, juste au moment où cette fête prenait fin, cette année, le livre d’Elliott Horowitz, « Des rites absurdes : Pourim et l’héritage de la violence juive » m’étant tombé par hasard entre les mains, j’ai été soulagée d’y trouver des alliés dans mon aversion pour Pourim. Depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle, ai-je ainsi appris, les critiques portant sur le Livre d’Esther ont commencé à s’insinuer dans les cercles juifs, en particulier dans l’Angleterre victorienne et divers dirigeants de la communauté juive ont veillé à mettre la sourdine au massacre et à la forte composante revancharde qui sous-tend cette fête.

Ainsi, l’ouvrage «A Bible reader adapted for the use of Jewish schools and families », un « Manuel de lectures bibliques adaptées à l’usage des écoles et des familles juives », donc, publié en 1877 avec l’imprimatur du grand rabbin de Grande-Bretagne, Nathan Marcus Adler, laisse tomber la plupart des détails sanguinolents qui apparaissent dans les derniers chapitres du Livre d’Esther. Claude Goldsmid-Montefiore, petit-neveu de Sir Moses Montefiore, suscita un certain émoi, en 1888, en publiant un article dans la revue londonienne Jewish Chronicle, dans lequel il critiquait impitoyablement le message véhiculé par Pourim. En des termes choisis avec grand soin, il déclara qu’il « n’aurait aucun regret » si cette fête « perdait graduellement la place qui est aujourd’hui la sienne dans notre calendrier religieux ».

Dans des commentaires plus récents, publiés en 1896, sur le Livre d’Esther tel qu’il est présenté dans le « Manuel biblique à l’usage des lectures domestiques », Montefiore fut sans doute le premier juif à qualifier les événements décrits dans ces deniers chapitres de « massacre de Gentils n’opposant [pourtant] aucune résistance. » « Si la Bible n’avait pas comporté le Livre d’Esther », concluait-il, « loin d’être appauvrie, elle n’en aurait que gagné en valeur religieuse et morale ».

Mais les libéraux du dix-neuvième siècle n’étaient pas les premiers à critiquer le Livre d’Esther. La censure suscitée par ce texte fut au tout début le fait de certains cercles ecclésiaux, en particulier dans l’Eglise protestante. Déjà, au tout début, en 1543, dans son essai infamant intitulé : « Des juifs et de leurs mensonges », Martin Luther observait à quel point les juifs « aiment le Livre d’Esther, qui flatte tellement leur rapacité et leurs aspirations d’êtres assoiffés de sang, vindicatifs et criminels ». Ailleurs, Luther qualifia ce livre de « juif, à l’excès » et, dans une apparente alliance non consacrée avec les libéraux juifs qui allaient apparaître plusieurs siècles plus tard, il écrivit qu’il aurait souhaité que ce livre n’eût jamais existé. A travers les générations, ses disciples continuèrent à qualifier le Livre d’Esther du plus assoiffé de sang, et donc, du plus « anti-chrétien » des livres de l’Ancien Testament.

Dans le monde juif, toutefois, la critique du Livre d’Esther a toujours été une opinion minoritaire, ne reflétant en rien le consensus. Et c’est l’approche consensuelle qui fait l’objet de la thèse centrale – et iconoclaste – d’Horowitz sur la violence juive envers les non-juifs (en particulier, mais pas seulement envers eux), cette violence le plus souvent liée la fête de Pourim.

Contrastant fortement avec le stéréotype antisémite présentant le juif comme faible, passif et efféminé, Horowitz postule qu’à travers les siècles, les juifs ont commis leur part de violence, qui connaissait régulièrement des flambées autour de la fête de Pourim. Même si le récit sanglant du Livre d’Esther n’est pas historiquement attesté, le simple fait que les actes qui y sont décrits aient été glorifiés chaque année, des siècles durant, a créé une tradition de vengeance et de violence, et aussi l’opportunité d’exprimer ouvertement ce type de sentiments.

Il est bien vrai que le sionisme, en particulier après l’occupation des territoires par Israël, à la suite de la guerre de 1967, a permis à la violence juive à l’encontre des Arabes « Amalécites » de prospérer, mais d’après Horowitz, les semences d’un tel comportement avaient été plantées depuis bien plus longtemps. Haman, le « Hagaguite », est décrit dans le Livre d’Esther comme un descendant des Amalécites – qualificatif [désignant l’ennemi des juifs] appliqué, au fil des années, aux Romains, aux Arméniens, aux chrétiens, aux nazis et, de nos jours, par beaucoup de rabbins, aux Arabes. Et, c’est bien connu : Amalek doit être liquidé…

Moquer Jésus

En 408 avant J.C, l’Empereur romain Théodose II publia un édit interdisant aux juifs de « brûler Aman en souvenir d’un châtiment passé, au cours d’une certaine cérémonie de leur rituel, ainsi que de brûler dans une intention sacrilège une silhouette conçue afin de ressembler à la sainte Croix, par mépris pour la foi chrétienne. » Autrement dit : la coutume consistant à se moquer de Jésus et de la Ccroix, lors de processions (juives) de Pourim – qu’Horowitz analyse longuement dans la deuxième partie de son livre – était déjà très répandue au cinquième siècle de l’ère chrétienne. L’édit de Théodose, explique Horowitz, ne mit pas un terme aux traditions anti-chrétiennes de la fête de Pourim. La combinaison entre un narratif de salut divin des juifs et de vengeance prise sur leurs ennemis et l’atmosphère carnavalesque accompagnée de beuveries qui caractérise  Pourim avait fini par produire des comportements vraiment très différents du stéréotype du juif de la diaspora rasant les murs…

La deuxième partie du livre s’ouvre par divers récits de profanation de la Croix par les juifs tout au long du Moyen Age. Et cela, pas seulement à l’occasion de la fête de Pourim. Horowitz cite des dizaines de cas, dont beaucoup sont opportunément occultés par l’historiographie juive contemporaine, de violences symboliques juives – ou, pour être plus exacts, de « violences contre des symboles » - allant du fait de mettre le feu à la croix, à celui d’y pisser dessus publiquement, en passant par celui d’y cracher dessus. Ces agissements se terminaient bien souvent en « martyre », c’est-à-dire par la mort du profanateur, et par des atteintes à l’ensemble de la communauté juive concernée. Tels sont les « rites absurdes » qui ont donné son titre à l’ouvrage et qui sont liés au refus de Mordechaï – un refus obstiné, mais apparemment sans motif – de s’incliner devant le roi Haman, dans le Livre d’Esther…

Pour revenir au présent, en octobre 2004, un étudiant de la yéshiva [école religieuse juive, ndt] Har Hamor, à Jérusalem, Natan Zvi Rosenthal, a craché sur l’archevêque arménien, qui portait un grand crucifix, durant une procession marquant un jour de fête chrétienne, dans la Vieille Ville de Jérusalem. Cet incident, qui suscita un tollé dans la population et qui a été largement couvert par les médias locaux, est présenté dans le livre d’Horowitz comme un des maillons d’une interminable chaîne de violences juives à l’encontre du christianisme et des symboles chrétiens (Pour jeter encore un peu plus d’essence sur la braise, les Arméniens sont décrits, depuis le dixième siècle, dans les écrits juifs, comme les descendants d’Amalek !). L’acte sacrilège de Rosenthal doit par conséquent être vu dans son contexte historique : il s’agit d’une continuation directe de la tradition juive de mépris publiquement affiché pour la Croix.

Un agenda non dissimulé

Dans les derniers chapitres de son ouvrage, Horowitz élargit le débat historique, passant de la violence contre des symboles chrétiens à la violence physique contre les Chrétiens eux-mêmes. L’accusation la plus grave, ici discutée longuement, est la participation de juifs au massacre de dizaines de milliers de prisonniers chrétiens, à Jérusalem, en l’an 614, à la suite de la conquête de la ville par les Perses. [A ce sujet, voir : La Piscine de Mamilla, par Israël Shamir. Ndt]

D’autres incidents cités par l’auteur sont peu nombreux, et espacés dans le temps : l’assassinat d’un jeune garçon chrétien durant une parade de Pourim, près d’Antioche, en Syrie, au cinquième siècle ; l’exécution lors d’un Pourim, au douzième siècle, d’un chrétien qui avait assassiné un juif dans la Brie, une région située au nord de Paris, en France (exécution extrajudiciaire, sans l’approbation des autorités), ainsi qu’un incident violent à l’intérieur de la communauté juive, un couple juif accusé d’adultère ayant été agressé physiquement lors d’un carnaval de Pourim, en Provence (au quatorzième siècle). Ce qui est intéressant, ici – plus que les incidents par eux-mêmes – c’est la brillante analyse historiographique faite par Horowitz de ce qui a inspiré la documentation, c’est-à-dire l’enregistrement par écrit, de tels incidents – depuis l’enthousiasme d’une poignée d’historiens chrétiens désireux d’attirer l’attention sur la violence juive, jusqu’aux efforts déployés par certains historiens juifs contemporains pour les occulter ou, au minimum, les minimiser…

Sur ces entrefaites, l’auteur lui-même ne cherche absolument pas à cacher son objectif. Bien au contraire ; dans son introduction, il met toutes ses cartes sur la table : « J’ai par conséquent choisi, sans doute de manière quelque peu désordonnée, de ne pas commencer par le commencement, mais par la fin », afin d’attirer notre attention sur les leçons à tirer pour aujourd’hui de sa recherche historique. « Depuis le massacre de musulmans en prière au Tombeau des Patriarches, à Hébron, lors du Pourim 1994, par Baruch Goldstein », écrit-il, « pour moi, et pour bien des gens, Pourim n’a plus jamais eu le même goût ». De fait, c’est cet événement qui l’amena à élargir l’étendue de son étude, qui aurait dû originellement se conclure sur le dix-neuvième siècle. Tout au long de l’ouvrage, c’est l’avertissement de Mordechaï à Esther qui lui sert de boussole morale : « Tout cela ne se serait pas produit, si tu avais été fidèle à la paix que tu observais à cette époque » [4:14]

En tant qu’historien juive, Horowitz a senti qu’il ne pourrait plus connaître la paix de l’âme tant qu’il ne dénoncerait pas le lien entre l’héritage de la violence juive et les exactions actuelles des « juifs, en Terre Sainte, qui continuent à vider leur « vieille et toujours nouvelle querelle contre ceux qu’ils considèrent les « Amalécites » [du moment], alors même que leur malice est très loin d’être aussi inoffensive qu’elle avait pu l’être aux temps reculés d’un Théodose II. »

Horowitz cite des rabbins et des colons qui assimilent les Palestiniens à Amalek. Il décrit les défilés de Pourim à Hébron, qui deviennent chaque année plus violents, depuis qu’un groupe de juifs est venu s’installer dans le quartier de Beit Hadassah afin de « renouveler » la colonie établie en centre-ville en 1981, choisissant, pour ce faire – sans doute un hasard – la fête de Pourim…

Sur le point de conclure son étude, Horowitz retourne vers ce qui fut pour lui un point de rupture – le massacre au Tombeau des Patriarches – et il conclut, amer : « Le fait même que la fête de Pourim ait continué à battre son plein dans les rues du centre de Jérusalem après qu’eut éclaté la nouvelle du massacre sanglant d’Hébron est une des raisons qui font que j’aurais tendance à être d’accord avec l’assertion prophétique de Samuel Hugo Bergman, pour qui la perpétuation de l’observance de cette fête ne saurait trouver d’autre explication plausible que la « profonde décomposition de notre peuple. ».

 

 


Source : Silvia Cattori


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