Ce
qu'il y a de plus intolérable dans les déclarations de
Finkielkraut à Haaretz, c'est cette phrase où il oppose le
mal que la France a fait à ses parents déportés au bien que la
France a fait aux Noirs. Au fond, il se comporte comme un vulgaire
Dieudonné qui joue la concurrence des victimes.
Apparaissent
ici deux points de la pensée de Finkielkraut.
D'une
part, ce que j'appellerai son nationalisme juif qui l'amène à
considérer que les Juifs sont les premières victimes de
l'Occident, ce qui ne laisse aucune place aux autres victimes de
l'Occident, à commencer par les Arabes et les Noirs.
D'autre
part, son appel hystérique aux Lumières qu'il considère
aujourd'hui bien plus comme une bouée de sauvetage que comme un
moyen de penser le monde, en cela Finkielkraut est devenu l'un des
pires représentants des anti-Lumières.
Des
violences ont eu lieu en France, des violences qui posent problèmes,
des violences liées à la misère, au chômage et à la ghettoïsation
d'une partie de la population qui vit en France, et dont une grande
part est française. Que répond à cela notre philosophe anti-Lumière
:
"En France on voudrait bien réduire
les émeutes à leur niveau social. Voir en elles une révolte de
jeunes de banlieues contre leur situation, la discrimination dont
ils souffrent et contre le chômage. Le problème est que la plupart
de ces jeunes sont Noirs ou Arabes et s’identifient à l’Islam.
Il y a en effet en France d’autres émigrants en situation
difficile, chinois, vietnamiens,
portugais, et ils ne participent pas aux émeutes. Il est
donc clair qu’il s’agit d’une révolte à caractère
ethnico-religieux."
Ainsi
tout revient pour Finkielkraut à mettre l'accent sur le caractère
ethnico-religieux des auteurs de violence, en oubliant leurs
conditions de vie, en oubliant que ces conditions de vie, parce
qu'elle résultent d'une violence sociale contre laquelle se
heurtent les habitants des banlieues mis à l'écart de la société
française, ne peuvent que conduire à des contre-violences qui sont
peut-être plus des exutoires que de véritables luttes, mais qui
nous rappellent les discriminations qui continuent d'exister dans un
pays comme la France.
Tout
cela Finkielkraut, enfermé dans se vision européocentrique du
monde, vision à laquelle s'ajoute son nationalisme juif, ne veut
pas le voir. Il veut que les pauvres soient dignes, c'est-à-dire
acceptent leur pauvreté et leur mise à l'écart. Les pauvres n'ont
pas à réclamer ce qui ne leur est pas dû ; tout au plus
doivent-ils se contenter d'accepter ce que les civilisés de
l'Europe consentent à leur donner.
Tout
cela apparaît dans la vision du monde qui rejoint ici l'idéologie
du choc des civilisations chère à Huntington. Les peuples colonisés
par l'Europe, une fois libérés du carcan colonial, ne peuvent que
haïr leurs anciens oppresseurs et, bien que libérés, ils viennent
en France réclamer leur dû. C'est pour cela que l'école, cédant
à leur pression, est obligée de transformer ses programmes en
montrant l'histoire de la colonisation sous son seul jour négatif,
oubliant "que le projet colonial voulait aussi éduquer,
apporter la civilisation aux sauvages ". Une façon peut-être
de régler ses comptes avec Dieudonné, mais une imposture.
Finkielkraut oublie l'article 4 d'une loi votée le 23 février
dernier par l'Assemblé Nationale qui stipule :
"Les
programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la
présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la
place qu'elle mérite.
Les
programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif
de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord,
et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de
l'armée française issus de ces territoires la place éminente
auxquels ils ont droit"
texte provocateur s'il en est qui a été
critiqué par nombre d'historiens des universités françaises
autant par son caractère unilatéral et par la volonté du législateur
de donner des directives concernant l'enseignement de l'histoire.
Finkielkraut
réduit alors l'histoire de l'esclavage à celle des Occidentaux qui
ont lutté pour son abolition, mais il ne saurait être question
d'insister sur le rôle joué par l'Europe et les Etats-Unis dans la
pratique du commerce négrier. D'aucuns diraient qu'un tel discours
est raciste et il faut le dire.
Mais
il est vrai que Finkielkraut a décidé une fois pour toutes que les
plus grandes victimes du racisme sont les Juifs et que les autres
formes de racisme n'ont pas la même ampleur que l'antisémitisme.
C'est faire injure aux victimes du racisme quelles qu'elles soient.
La dénonciation du racisme ne se divise pas et tout propos qui tend
à jouer la concurrence des victimes est inacceptable, quel que soit
celui qui les prononce.
Si
Finkielkraut a raison de dire que l'Ecole ne joue plus son rôle intégrateur,
il oublie de dire les conditions qui ont conduit à cette dégradation
de l'Ecole, en particulier les raisons d'ordre social. Mais il
aurait fallu que Finkielkraut s'intéresse aux questions économiques
et sociales, au rôle délétère que joue la mondialisation du
marché qui réduit les individus à n'être que des rouages de la
machine économique. Cela Finkielkraut ne le peut pas, tant il est
pris dans sa conception ethnique des problèmes sociaux. S'il sait
se réclamer, quand nécessaire, de Condorcet, il devient incapable
de comprendre les problèmes de société lorsque ceux-ci ne
correspondent pas à ses conceptions.
C'est
ainsi qu'il ne veut pas comprendre les propos de ces jeunes Français
d'origine étrangère, qui ne sont pas des immigrés puisqu'ils sont
Français, mais qui ne comprennent pas que la France continue à les
considérer comme des immigrés de la seconde ou de la troisième génération
comme on dit, expression qui n'a aucun sens. Finkielkraut préfère
dénoncer le fait qu'ils n'ont pas le sentiment d'être Français,
renvoyant à leurs origines ethniques ou religieuses et oubliant,
comme il le dit au début de son interview, de considérer la
signification sociale de leur révolte, révolte que l'on ne saurait
réduire à la seule violence. Mais beaucoup pensent comme
Finkielkraut et les propos de ce dernier, "l'un des plus célèbres
intellectuels français" comme le présente Haaretz,
ne peuvent que les conforter.
Finkielkraut
oublie pourtant un point fondamental du débat, et en cela il s'est
placé hors de l'héritage des Lumières. Les deux siècles
qui nous ont précédés ont conduit à transformer l'idée de révolte
en la belle idée de révolution, c'est-à-dire en l'idée de
transformer le monde. Aujourd'hui où l'idée de révolution semble
morte, ne reste que la révolte ou la jacquerie pour s'exprimer, les
récentes violences en France nous le rappellent. Il est alors nécessaire
de rappeler que ces violences sont la réponse à une violence plus
forte, qui n'est plus la seule violence d'Etat, mais qui est la
violence du capitalisme mondialisé. C'est alors l'idée de révolution
qu'il faut reconstruire. C'est en cela que l'on peut retrouver la
tradition libératrice des Lumières.
21/11/05
Rudolf
Bkouche
Membre
du Bureau national de l’UJFP
(Union
juive française pour la paix)
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