Lettre envoyée au journal "La croix" (17-18
septembre) après l'article de Bruno Frappat
Ainsi il suffit de s'établir sur un territoire, d'en chasser les
habitants et de construire un bâtiment dit sacré pour que ce bâtiment
devienne inviolable.
L'affaire des synagogues des colonies de Gaza est un exemple
remarquable de mauvaise foi. Des Israéliens, avec l'appui de leur
gouvernement, s'installent dans la bande de Gaza, confortant ainsi
l'occupation du territoire par Israël, y restent près de
quarante ans et quittent ces territoires au moment ou le
gouvernement trouve opportun d'abandonner l'occupation à Gaza
pour mieux la renforcer ailleurs.
Les colons partent sous l'oeil de la presse qui admire le
"courage" de Sharon et pleurent les "malheurs"
de ces colons, obligés, pour raison d'Etat, d'abandonner ce à
quoi ils tiennent le plus, leur terre. On n'en a jamais fait
autant pour les Palestiniens chassés de leur terre par l'occupant
israélien, on n'en fait pas autant pour ces Palestiniens du Negev,
pourtant de nationalité israélienne, dont les villages situés
sont déclarés inexistants et par conséquent peuvent être détruits
pour faire place aux plans israéliens de développement du Negev.
Mais ceux-là ne sont que des Arabes et par conséquent n'ont pas
droit aux honneurs de la presse internationale.
Reste un "grave" problème, celui des synagogues
construites par les colons occupants. Faut-il les détruire ou les
laisser détruire par les Palestiniens ?
Après discussion, le gouvernement israélien déclare que des
Juifs ne peuvent détruire des synagogues et les abandonne à la
"sauvagerie" palestinienne, après les avoir cependant
vidées de leurs objets religieux, ce qui leur enlève, selon la
loi juive, tout caractère sacré. Et il n'y a plus qu'à
attendre.
Le territoire de Gaza libéré de toute présence israélienne,
quelques unes des synagogues désaffectées sont incendiées. Les
auteurs de ces incendies entendent ainsi se débarrasser de tout
ce qui rappelle l'occupation. C'est simple et point n'est besoin
de grands discours pour le comprendre. Mais c'est compter sans la
mauvaise foi du gouvernement israélien et de ses sympathisants. Dès
qu'une synagogue, qui a perdu tout caractère sacré rappelons-le,
est incendiée, la meute crie à la profanation. "Ils",
c'est-à-dire ces sauvages Palestiniens, ont détruit des bâtiments
sacrés. Et c'est là que le plan imaginé par le gouvernement
israélien réussit : "les Palestiniens ne sont que des
sauvages auxquels on ne peut faire aucune confiance".
Alors regardons les choses dans leur réalité.
Les Palestiniens de Gaza ont subi trente-huit ans d'occupation, il
est normal qu'une fois libéré de cette occupation, ils cherchent
à se débarrasser des symboles de cette occupation. D'autant que
l'occupation est loin d'être terminée ; non seulement la
Cisjordanie reste occupée, mais la colonisation se renforce et le
gouvernement israélien construit un mur comme pour mieux marquer
ce qu'il considère lui appartenir.
A la question : qui a instrumentalisé la religion à des fins
politiques ? la réponse est claire : le gouvernement israélien.
Alors que l'on arrête de pleurer sur le sort des colons obligés
de rendre une terre occupée à leurs habitants, qu'on arrête
aussi de pleurer sur ces bâtiments baptisés sacrés pour mieux dénoncer
la "sauvagerie" de ceux que l'on a occupé pendant de
longues années et dont le territoire libéré risque de n'être
qu'une grande prison, contrôlée par Israël.
La dénonciation de la destruction des bâtiments qui servaient de
synagogues n'est qu'une façon de soutenir l'intransigeance israélienne
dan son refus de reconnaître les droits des Palestiniens.
Rudolf Bkouche
Professeur émérite à l'Université de Lille membre de
l'UJFP
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