Lorsqu'on
lit dans le texte de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la
Coopération en Europe), cette définition de l'antisémitisme :
"
L'antisémitisme est une certaine perception des Juifs que l'on peut
exprimer comme de la haine à l'encontre des Juifs. Des
manifestations verbales ou physiques d'antisémitisme sont dirigées
contre des individus juifs ou non-juifs et/ou leurs biens, contre
des institutions de la communauté juive et contre des lieux de
culte. "
on ne peut
qu'approuver.
Mais
lorsqu'on lit les exemples d'antisémitisme qui suivent on peut se
poser quelques questions quant à l'objectif de ce document.
Si la première
liste d'exemple semble raisonnable, la seconde liste apparaît comme
un soutien à l'Etat d'Israël et par conséquent ne ressortit plus
de la lutte contre l'antisémitisme.
Selon ce texte, toute critique du sionisme participe de
l'antisémitisme.
Ainsi
rappeler que le plan de partage de la Palestine en 1947 et la création
de l'Etat d'Israël en 1948 sont une injustice à l'encontre des
Palestiniens devient de l'antisémitisme.
Ainsi le
professeur Leibowitz qui dénonçait les dérives judéo-nazies1 de
l'occupation de la Palestine serait aujourd'hui dénoncé comme
antisémite par l'OSCE.
Loin d'être
un instrument de lutte contre l'antisémitisme, le texte de l'OSCE
amalgame antisionisme et antisémitisme, ce qui conduit à affaiblir
la lutte contre l'antisémitisme qui n'apparaît plus que comme un
soutien au sionisme et à l'Etat d'Israël.
Alors qu'il
importe aujourd'hui, et c'est le rôle des organisations juives qui
se sont regroupées autour des Juifs Européens pour une Paix Juste
(JEPJ), de casser l'équation "juif = israélien =
sioniste" et de refuser l'amalgame entre antisionisme et antisémitisme,
la définition européenne de l'antisémitisme conforte cet
amalgame.
On peut voir
dans cette incapacité européenne (incapacité volontaire !) de
distinguer entre la lutte contre l'antisémitisme et le soutien à
l'Etat d'Israël plusieurs raisons :
1-
L'Europe n'a pas réglé son problème avec les Juifs. Incapable de
lutter contre l'antisémitisme au moment où il le fallait, elle
croit atténuer ses responsabilités envers les Juifs en renchérissant
sur la lutte contre l'antisémitisme, ce qui la conduit à remplacer
la judéophobie qui a marqué son histoire, de l'antijudaïsme chrétien
à l'antisémitisme des temps modernes, par une judéophilie tout
aussi douteuse. C'est cela qui l'amène à soutenir l'Etat d'Israël
et à se contenter de critiquer sa politique avec parcimonie. C'est
cela qui l'amène aussi à oublier l'injustice de 1948 commise à
l'encontre des Palestiniens, comme si la création de l'Etat d'Israël
en Palestine, dans la " patrie ancestrale ", comme on peut
le lire chez nombre d'idéologues sionistes, valait compensation,
après la Shoah, pour les siècles d'antijudaïsme et d'antisémitisme.
L'un des grands penseurs européens contemporains, Jürgen Habermas,
n'a pas hésité à proclamer, dans un entretien dans le quotidien
français Le Monde :
"Quel
Européen pourrait, après la Shoah, contester à Israël son droit
à l'existence ?comme
si la question d'un Etat juif en Palestine ne concernait que les
Juifs et l'Europe, comme si cette question ne concernait pas les
Palestiniens.
2-
On ne doit pas oublier que ce n'est qu'après la seconde guerre
mondiale et le massacre des Juifs par les nazis, que les Juifs ont
obtenu le droit d'être considérés comme des Européens. Il aura
fallu six millions de morts pour une telle reconnaissance. En échange,
le nouvel Etat juif devenait culturellement et politiquement un Etat
européen ; la critique européenne de la politique israélienne
devenait ainsi une critique interne et l'intérêt pour les
Palestiniens venait en second, jusqu'à encore aujourd'hui ; on peut
à la rigueur faire remarquer aux Israéliens qu'ils vont trop loin,
mais il n'était pas question de juger les crimes commis par l'armée
israélienne comme on juge les crimes commis par un Etat étranger
comme l'Irak ou la Serbie. Aucun Etat européen n'a dénoncé la
contradiction entre la pression sur la Syrie pour qu'elle évacue le
Liban après les grandes manifestations anti-syriennes de Beyrouth
et l'acceptation par ces mêmes Européens de l'occupation israélienne
de la Palestine ou du Golan syrien, ce dernier annexé au mépris de
toute règle du droit international. Aujourd'hui on félicite Sharon
pour le retrait de Gaza alors qu'au même moment le gouvernement
israélien renforce la colonisation en Cisjordanie et construit un
mur qui annonce des annexions de fait en Palestine.
Que le mur
ait été condamné par une instance judiciaire internationale et
que, malgré cette condamnation prononcée il y a un peu plus d'un
an, le gouvernement israélien continue la construction, cela ne
semble pas émouvoir les Etats européens, lesquels continuent à
faire pression sur l'Autorité Palestinienne pour qu'elle fasse
preuve de modération envers ceux qui occupent la Palestine.
3-
Il ne faut pas oublier non plus que la reconnaissance par l'Europe
de son passé antijuif et les actes de contrition qui l'accompagnent
permettent d'occulter d'autres crimes comme ceux de la colonisation
ou de la traite négrière. On entend beaucoup moins parler de
repentance pour ces derniers crimes, comme si le fait de reconnaître
une ignominie permettait d'oublier les autres. Une façon aussi de
jouer la concurrence des victimes, ce qui ne peut que profiter au
mouvement sioniste qui se considère encore aujourd'hui comme le
représentant des Juifs du monde. Il importe alors, pour le
mouvement sioniste, non seulement de mettre l'accent sur leur statut
d'éternelles victimes, mais de présenter les Juifs comme les plus
grandes victimes, quitte à provoquer les ressentiments des autres
victimes de l'Europe. Mais n'est-ce pas un objectif du mouvement
sioniste que de provoquer ce ressentiment pour mieux crier à
l'antisémitisme. On peut alors considérer le texte européen comme
faisant partie de ce jeu.
Il importe
que le Réseau JEPJ, en tant qu'organisation juive, dénonce cette
pseudo-dénonciation de l'antisémitisme.
Il est alors
nécessaire d'énoncer quelques principes qui doivent gouverner
toute dénonciation de l'antisémitisme.
Toute dénonciation
de l'antisémitisme doit s'inscrire dans la dénonciation générale
du racisme. S'il est vrai que chaque forme de racisme peut avoir sa
spécificité, cela n'implique en rien qu'il faille les distinguer
dans la dénonciation du racisme.
Toute dénonciation
de l'antisémitisme doit être indépendante de toute position de
soutien à l'Etat d'Israël ou au sionisme.
Enfin il est
important de rappeler que le soutien au sionisme, parce qu'il
s'oppose aux principes énoncés ci-dessus, loin de participer à la
lutte contre l'antisémitisme, ne peut que renforcer ce dernier.
Rudolf
Bkouche
Membre du
Bureau National de l'UJFP
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