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Du blasphème
Rudolf Bkouche



Le mensonge a détruit
Les habitats de la terre.
Leurs descendants se sont groupés en sectes
Qui ne peuvent fraterniser.
Si l'inimitié n'avait été dans leur nature,
Dès l'origine,
Mosquée, église et synagogues
N'auraient fait qu'une.[1]
 

Abul Ala Al-Ma'arri

 

Résumons l'affaire. Un caricaturiste danois dessine le prophète Mahomet déguisé en terroriste.
Quelque temps plus tard, des musulmans s'enflamment contre ce blasphème et ne trouvent rien de mieux que se s'en prendre globalement à l'Europe.
Pour protester, les caricaturistes s'enflamment pour défendre la liberté d'instruction et ne trouvent rien de mieux que de reproduire les caricatures à l'origine de cette inflammation.
Et tout recommence.
Summum de bêtise pourrait-on dire et répéter avec le poète arabe Al Ma'arri

La raison essaie de polir ses adeptes
Mais la créature ne se prête guère au polissage

Le droit au blasphème est un droit essentiel de la personne humaine. Et il n'est pas question ici de le remettre en question. Mais ce droit ne prend sens que s'il est universel, ce qui implique qu'il ne se réduise pas à attaquer celui d'en face. Est-ce le cas ici ? On peut en douter.
Il y a peu, une publicité affichait un pastiche de la Cène où Jésus et les Apôtres étaient représentés par des femmes court-vêtues et dans des positions lascives. De plus, reconnaissons que le dessin n'était pas mal fait. Or une association a porté plainte contre ce qu'elle considérait, avec raison, comme blasphématoire. C'était son droit. Mais ce qui pose problème, c'est moins sa protestation que le fait qu'un tribunal lui ait donné raison en interdisant l'affiche. On n'a pas beaucoup entendu les défenseurs de la liberté d'expression ni vu la presse, à quelques exceptions près, répandre partout l'affiche contestée.
Il y a un peu plus longtemps, un chansonnier s'est cru malin de mettre en scène un colon israélien mêlant symboles religieux juifs et slogans nazis. Il y eut alors une diarrhée de protestations contre ce que l'on considérait comme un sketch antijuif et des associations juives crurent devoir porter plainte contre l'auteur du sketch. On n'a pas entendu beaucoup de protestations contre cette atteinte à la liberté d'expression ni vu beaucoup de chansonniers reprendre le sketch en question pour afficher leur solidarité avec Dieudonné.
Je ne défendrai pas le sketch de Dieudonné que je trouve personnellement de mauvais goût comme je trouve de mauvais goût une caricature qui montre Mahomet en terroriste.
Alors liberté d'expression ou pas. Il faut alors être cohérent. Si on trouve condamnable le sketch de Dieudonné, la caricature danoise est condamnable et il est normal de poursuivre le caricaturiste devant les tribunaux comme on a poursuivi Dieudonné. Mais si on considère que la liberté d'expression du caricaturiste doit être respectée, alors la liberté d'expression du chansonnier Dieudonné doit être respectée. Et cela indépendamment du jugement que l'on peut porter sur le sketch ou sur la caricature.
Le sketch de Dieudonné et la caricature danoise ont un point en commun, ils mêlent le religieux et le politique. Le sketch de Dieudonné laisse entendre que ce colon sioniste et nazi à la fois représente le judaïsme dans son ensemble, la caricature danoise identifie l'Islam, représenté par Mahomet, et le terrorisme islamiste. Par ce jeu d'identification, on dépasse le blasphème pour atteindre l'insulte. La question est alors moins celle du blasphème ou de l'insulte que celle de la différence de traitement dans les deux cas. Ce qui laisse apparaître qu'en Europe il est interdit d'insulter les Juifs et permis d'insulter les Musulmans. Deux poids, deux mesures, et l'inflammation suit.
On peut rappeler qu'il fut un temps en Europe, pas si lointain que cela puisque les plus âgés s'en souviennent, où l'insulte anijuive était acceptée et où on pouvait mêler l'image de l'usurier juif prêt à saigner le monde et le Talmud. Il est vrai que six millions de Juifs assassinés dans les camps nazis ont conduit l'Europe à changer d'attitude envers les Juifs. Après la judéophobie, c'est le tour de l'islamophobie et les caricatures danoises sont l'analogue des caricatures antijuives du siècle dernier.
Cette solidarité proclamée envers le caricaturiste danois amène à penser que c'est l'Europe elle-même qui est islamophobe. Et de l'autre côté, on ne s'en prive pas lorsque l'on menace les Européens dans leur ensemble ou que l'on manifeste violemment contre les lieux qui représentent les pays d'Europe. Amalgame contre amalgame, d'autant plus que lorsque l'on menace des Européens venus en Palestine, on oublie que ces Européens sont venus soutenir les Palestiniens.
Ainsi se mettent en place les conditions du choc des civilisations, cette idéologie proclamée par Huntington qui s'efforçait dans son ouvrage d'en inventer les bases objectives. Mais l'on sait aujourd'hui que, pour qu'une idéologie devienne réalité, il suffit de mettre en place ses conditions d'existence. Et dans cette mise en place on retrouve les deux complices que sont d'une part un Occident enfermé dans sa volonté de dominer le monde et d'autre part des mouvements qui, en se réclamant de l'Islam, espèrent s'imposer dans le monde musulman  pour lutter contre la volonté d'hégémonie de l'Occident[2].
D'un côté on identifie Islam et islamisme, désignant par ce dernier terme une nébuleuse dans lequel on mêle les divers fondamentalismes musulmans et des mouvements aussi divers que le chiisme iranien, les Frères Musulmans et Al Qaida. Mais cette confusion importe peu aux adeptes de l'islamophobie pour lesquels Islam s'identifie à terrorisme. La caricature montrant le Prophète déguisé en terroriste participe de cette confusion et en cela elle participe de l'islamophobie.
De l'autre côté on identifie tout ce qui ressortit de l'Occident à cette islamophobie, ce qui ne peut que conduire à des réactions brutales non seulement contre l'islamophobie et ses adeptes mais contre tout ce qui vient d'Europe. Et la fameuse solidarité avec l'auteur des caricatures au nom de la liberté d'expression ne peut que conforter cet amalgame.
Et ainsi le cercle se referme comme pour mieux mettre en place les conditions pour que le choc des civilisations devienne réalité.

rudolf bkouche


[1]Abul Ala Al-Ma'arri, Rets d'Eternité, traduit de l'arabe par Adonis et Anne Wade-Minkowski, ,postface par Adonis, Fayard, Paris  1988

[2]N'oublions pas que le terrorisme de ces mouvements a fait plus de victimes musulmanes que de victimes en Occident. Mais pour les adeptes de l'islamophobie, il semble que les victimes musulmanes ne comptent pas.


 Source : Rudolf Bkouche


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