|
TLAXCALA
Les
intellectuels israéliens aiment la guerre
Ron HaCohen
on
Antiwar.com, 7 août 2006
http://antiwar.com/hacohen/?articleid=9486
[Ran HaCohen mène ce combat depuis longtemps. C’est sa critique
des liens intimes entretenus par la Confédération Israélienne
du Travail (Histadrut) avec l’apartheid sud-africain qui avait
servi de base à la première action du Comité des Travailleurs
pour le Moyen-Orient, à San Francisco, en juillet 1987. Nous
avions alors protesté contre le dîner de gala annuel organisé
en l’honneur de la Histadrut par le Conseil du Travail de San
Francisco. Que ce soit ou non en raison de notre protestation,
reste que non seulement ce fut, en l’occurrence, le dernier dîner
de gala organisé par le Conseil du Travail en l’honneur (perdu)
de la Histadrut, mais cela aboutit même à la fermeture de la
représentation de ladite Histadrut à San Francisco (authentique :
elle disposait d’un bureau dans le bâtiment abritant le
Restaurant et l’Hôtel des Travailleurs !), laquelle prit
la poudre d’escampette en direction de cieux plus cléments.
Avec cet article, encore une fois, Ron met dans le mille !
Jeff Blankfort]
Toute
généralisation ne peut être qu’erronée, sauf celle-ci :
« Les intellectuels progressistes israéliens sont contre la
guerre ».
Ils
ont toujours été contre la guerre, et ils ont beaucoup souffert
en raison de leurs opinions critiques, comme ils le soulignent non
sans quelque fierté. Ils étaient contre la précédente guerre ;
ils seront contre la prochaine.
Bref :
ils sont contre toutes les guerres.
Toutes
les guerres ? Toutes les guerres ! Sauf – exception
mineure – celle qui est en cours…
Ils
sont POUR toute guerre en cours – qu’ils soutiennent à tous
les coups. Parce que, vous comprenez, la guerre en cours – éh
bien, comment dire… – c’est complètement différent de
toutes les autres guerres, là, voilà ! Comment osez-vous
comparer ? ! La guerre en cours est toujours inévitable,
elle. Elle est toujours nécessaire. Toujours juste. Et toujours
digne d’être soutenue…
Pour
ceux qui se berceraient encore de l’illusion que l’élite
intellectuelle israélienne serait une oasis immaculée peuplée
de progressistes rationnels, modérés et amoureux de la paix,
voici quelques chromos sur les gourous de la classe intellectuelle
israélienne et sur leur marche patriotique actuelle, en soutien
à la dévastation du Liban…
Rétropédalage, de
1984 à 1948
Le
Roi Rhino Ari Shavit, journaliste à Ha’aretz, naguère militant
de « La Paix maintenant » et ancien membre de l’Association
pour les Droits Civiques en Israël, écrit :
« Israël
est en train de mener la guerre la plus juste de toute son
histoire. […] Par conséquent, quiconque aspire à ce qu’Israël
se retire, à l’avenir, des territoires occupés jusqu’à une
frontière permanente et reconnue doit se tenir aux côtés d’Israël,
dans la présente guerre. Quiconque désire la paix, la stabilité
et la fin de l’occupation doit soutenir Israël dans sa juste
guerre. » [Ha’aretz, 18 juillet 2006].
Pour
faire bref : la Guerre, c’est la Paix, et la Paix, c’est
la Guerre (et Israël n’est en train de dévaster le Liban qu’à
la seule fin de donner la liberté aux Libanais !)
Si
l’inspiration intellectuelle de Shavit sonne quelque peu littéraire
(George Orwell), l’historien Yosef Gorny de l’Université de
Tel Aviv aurait, quant à lui, plutôt tendance à se référer à
l’Histoire, dans le cas d’espèce. Dans un bref article
intitulé « La Seconde Guerre d’Indépendance » (sic !),
il écrit :
« Dans
une réalité, qui est que l’Iran menace le monde libre, ce
combat contre ses supplétifs au Liban est une guerre de l’Etat
d’Israël pour son existence à l’avenir. A ce sujet, bien que
dans des circonstances complètement différentes, la combat en
vue de la création même de l’Etat, lors de la Guerre d’Indépendance,
voici près de soixante ans de cela, et la guerre actuelle ont un
dénominateur commun. Et c’est également en cela que réside
leur commune justification : la lutte pour l’existence de
notre Nation. » [Ha’aretz, 30 juillet 2006].
La
formulation de Gorny est juste un peu plus pathétique que celle
des autres, mais la notion recyclée à l’infini d’un
Hezbollah représentant soi-disant une menace existentielle pour
Israël a lavé les cerveaux d’énormément d’Israéliens.
Ainsi, par exemple, le dramaturge Yehoshua Sobol qualifie
l’offensive du Hizbullah (ainsi que les tirs de missiles Qassam
depuis Gaza) comme « l’annonce que nous n’avons
personnellement aucun droit à exister » [Ma’ariv, 21
juillet 2006]. Aussi fou que cela paraisse, on a inculqué à des
gens que le fait qu’une bonne partie d’Israël soit à la portée
des missiles du Hizbullah représenterait une menace
existentielle. En même temps, le fait que n’importe quel point
au Moyen-Orient – et bien au-delà – soit à la portée des
armes israéliennes, tant conventionnelles que nucléaires,
n’est pas perçu comme représentant une menace existentielle
pour qui que ce soit : après tout, Israël est un pays
responsable, non ? Un pays qui, lui, ne veut qu’une seule
chose : la paix… N’est-ce pas ?
L’écrivain
A.B. Yehoshua, « homme de paix » autoproclamé, dit
les choses avec sa manière bien à lui, plus primitive :
« Enfin, nous avons une guerre juste ; abstenons-nous
de tordre le nez dessus, de peur qu’elle ne devienne injuste. »
[Ha’aretz, 21 juillet 2006].
Tuez-les tous !
Vous
avez remarqué que Yehoshua, très franc, pousse un soupir et dit
« Enfin ». Il faut dire que notre vieux « peacenik »
était en manque de guerre depuis si longtemps !… Le leader
israélien fasciste Effi Eitam a reconnu un jour que s’il y a
une chose qui l’excite, c’est bien « le spectacle
d’hommes montant au front ». Pour Yehoshua, la
purification est l’effet désiré. Voici deux ans de cela, il rêvait
d’opérations israéliennes sanglantes à Gaza ; son rêve
est désormais devenu réalité, même si les médias n’en
parlent pratiquement pas, « grâce » aux événements
au Liban :
« Après
avoir évacué les implantations… on utiliserait la force contre
toute une population, nous recourrions à la force d’une manière
totale… Nous couperions l’électricité à Gaza. Nous y
couperions tous les moyens de communication. Nous supprimerions
les fourniture de carburant… Ce ne serait certes pas une guerre
désirable ; mais ce serait, à n’en pas douter, une guerre
purificatrice. » [Ha’aretz, 19 mars 2004].
Rafo
Ginat, rédacteur en chef du quotidien israélien à plus fort
tirage Yediot Ahronot), a des fantasmes encore plus vivides. A la
une de son quotidien, il exhorte le gouvernement à « raser
les villages qui abritent des terroristes du Hizbullah » et
à « nettoyer au lance-flammes les terroristes du Hizbullah,
ceux qui les aident, ceux qui collaborent avec lui, et ceux qui détournent
les yeux, ainsi que tous ceux qui ont l’air Hizbullah. Que leurs
innocents meurent, et non les nôtres ! » [Yediot
Ahronot, 28 juillet 2006].
Interlude poétique
Les
auteurs de chansons et les chanteurs populaires comme
l’orthodoxe Amir Benayoun sont rarement des progressistes. Aussi
personne ne fronce-t-il les sourcils quand ils habillent ces mêmes
idées de frusques plus poétiques :
«
Ceux qui me haïssent sont pressés de me kidnapper, de m’éliminer,
De
m’injecter du poison…
Notre
cruel ennemi assassine encore un autre enfant,
Cet
ennemi doit mourir… il doit mourir… »
L’intello
israélien, toutefois, aura tendance à hausser les épaules
devant ce « primitivisme oriental » caractérisé. En
effet, nous autres, les progressistes, nous avons nos poètes de
haute volée, aux goûts raffinés et à l’érudition époustouflante.
Tel un Ilan Shenfeld, qui prétend avoir « de tout temps été de
gauche » - ce qui fait qu’à l’instar de n’importe
quel authentique poète, il souffre terriblement, à cause de
cette guerre. « Il n’est pas facile, pour moi, d’écrire
un poème qui soutienne cette guerre, et qui exhorte à envahir le
territoire souverain d’un autre pays et à le dévaster. »
Mais
Shenfeld a fait effort sur lui-même : il est venu à bout de
cette difficulté et son poème, qui fait allusion au « poète
national » Bialik, démontre, une fois de plus, que c’est
toujours la douleur authentique qui produit la meilleure poésie :
« Marchez
sur le Liban, et marchez aussi sur Gaza, avec les charrues et le
sel ;
Détruisez-les
jusqu’au dernier.
Transformez-leur pays en un désert aride, en une vallée
empoisonnée et inhabitée.
Car
nous aspirions à la paix et nous la voulions, et, les premiers,
nous avons détruit nos maisons, de nos propres mains [allusion au
retrait de Gaza, ndt]…
Mais
c’était un cadeau vain, pour ces assassins barbus arborant des
bandeaux de guerre sainte,
Qui
crient : « Massacrez-les, maintenant ! » et
qui ne connaissent ni amour, ni paix,
Ni
Dieu, ni père. […] »
« Sauvez
votre peuple, et fabriquez des bombes,
Faites-les
pleuvoir sur les villages, les villes, les immeubles jusqu’à ce
qu’ils s’écroulent !
Tuez-les, versez leur sang, terrifiez-les, de crainte qu’ils ne
tentent une nouvelle fois
De
nous détruire ; jusqu’à ce que nous entendions, depuis
les sommets des montagnes en train d’exploser,
Ecrasées
sous nos coups de talon, l’écho de leurs supplications et de
leurs lamentations.
Et
vos crachats les recouvriront. Celui qui dédaigne un jour de bain
de sang,
Qu’il
soit méprisé ! Sauvez votre peuple : faites la guerre ! »
[on Ynet (site ouèbe du Yediot Ahronot, 30 juillet 2006]
Amos Oz prépare
des crimes de guerre
Terrible
ironie du sort : le poème de Shenfeld a été publié le
jour du (deuxième) massacre à Qana. Cette coïncidence a quand même
réussi à embarrasser quelque peu le poète lui-même. Ce bain de
sang n’aurait pas mis dans un tel embarras un propagandiste israélien
beaucoup plus aguerri, tel un Amos Oz, alias l’Incarnation du
camp sioniste de la « paix ». Ayant soutenu le Premier
ministre Ehud Barak bien longtemps encore après qu’il eut
entrepris son écrasement meurtrier de l’Intifada palestinienne,
Oz s’en remet à la mémoire courte de ses lecteurs, lorsqu’il
écrit, sous le titre orwellien : « Pourquoi les
missiles israéliens, en réalité, apportent la paix » :
« Très
souvent, par le passé, le mouvement de la paix israélien a
critiqué des opérations militaires israéliennes. Pas cette
fois-ci. […] Cette fois-ci, Israël n’envahit pas le Liban.
Non ; Israël assure son autodéfense […]. Le mouvement
pacifiste israélien doit soutenir purement et simplement cette
tentative déployée par Israël pour se défendre, aussi
longtemps que cette opération visera principalement le Hizbullah
en épargnant, autant que faire se peut, la vie des civils
libanais. » [Los Angeles Times, 19 juillet 2006].
Et
ici, afin d’éviter d’être mis dans l’embarras par tout
massacre de civils à venir, Oz n’oublie pas d’ajouter, à
toutes fins utiles, le thème standard de propagande ci-après :
« Mais
cela n’est pas toujours tâche aisée, les lanceurs de missiles
du Hizbullah utilisant très souvent les civils libanais en guise
de sacs de sable… »
L’ennemi de
l’intérieur
Le
Hizbullah n’est pas l’unique ennemi d’Israël : les
intellectuels mondialistes sont souvent la cible favorite de nos
patriotes, également. Commentant leur lettre ouverte contre la
guerre, l’éminente critique littéraire israélienne Ariana
Melamed met Noam Chomsky, Arundhati Roy, José Saramago, Howard
Zin et Naomi Klein dans le même sac que le philosophe nazi Martin
Heidegger, ni plus ni moins [Ynet, 24 juillet 2006]. Mais, bon
Dieu, qu’est-ce que ces gens peuvent bien avoir en commun ?
Simple : ce sont tous des intellectuels, et ils sont tous
« dans l’erreur » !
Mais
le pire ennemi, c’est l’ennemi de l’intérieur. Le
professeur de littérature hébraïque de Jérusalem Gershon
Shaked accuse ainsi « la gauche israélienne » de
« désirer à ce point plaire aux Européens »
qu’elle « en perd tous ses
standards moraux, pour ne pas parler du minimum requis en
matière de patriotisme. » De la même manière, bien
qu’avec plus de détail dans l’explication, le journaliste et
analyste Dan Margalit accuse « la gauche radicale »
(allusion à la progressiste sioniste de gauche Shulamit Aloni)
non seulement d’ « abîme moral sans aucun précédent »,
mais aussi « d’amour pour ses maîtres de Beyrouth, de
Damas et de Téhéran » [Ma’ariv, 26 juillet 2006].
Des analogies
pittoresques
Le
professeur Oz Almog, un sociologue de Haïfa, découvre tout
soudain « une similarité saisissante entre 2006 et 1933 »,
le président iranien étant le nouvel Adolf Hitler, le « fondamentalisme
islamique » le nouveau nazisme, et tous ceux qui osent
critiquer les atrocités perpétrées par Israël – la nouvelle
génération des antisémites européens. [Ynet, 30 juillet 2006].
Ce genre d’analogie historique banale, est, bien entendu,
monnaie courante. Par le passé, l’écrivain Yoram Kanyuk, qui
ne cessait de se vanter de ses états de service en tant que
pacifiste, à une époque indéterminée du millénaire passé,
exprimait son soutien à Ariel Sharon qui dirigeait à l’époque
le Likoud, en le comparant à Winston Churchill – durant les
journées les plus sanglantes de l’Intifada, notamment au moment
de l’ « Opération Boucler de Protection »
[Ha’aretz, 15 mai 2002]. En toute logique, il ne reste plus à
Kanyuk qu’à faire du Premier ministre actuel, Ehud Olmert, à
tout le moins, un nouveau Napoléon. Que le petit plaisantin qui a
soufflé : « Jules César » se dénonce !…
« En
dépit des tueries de masse [auxquelles nous assistons], je
soutiens cette guerre et je soutiens Olmert, qui mène une guerre
importante, primordiale, et même mythique. En un bref laps de
temps, il est devenu un grand commandant. » [Ynet, 23
juillet 2006].
Les
Américains ayant eu besoin de justifier leur invasion de l’Irak,
Kanyuk assimila Saddam Hussein à Hitler [Ha’aretz, 8 octobre
2002]. Au cours de son vol depuis la plume acérée de Kanyuk,
Hitler avait réussi à se translater plusieurs milliers de kilomètres
vers l’Est, à se convertir à l’Islam chiite et même à se
laisser pousser la barbe – mais il n’avait néanmoins pas réussi
à tromper la sagacité de notre détective littéraire
physionomiste, qui amalgama la Seconde guerre mondiale et l’Armageddon
dans une sorte de Troisième guerre mondiale ‘made in Israel » :
« Les
Iraniens et le Hizbullah disent très précisément ce qu’ils
pensent. Ils veulent nous plonger dans une crise aiguë, et ils
veulent trouver un moyen de nous éliminer. Quand Hitler disait déjà
la même chose, les gens riaient de ce clown. La gauche continue
à se marrer. Mais il faut dire, à sa décharge, qu’à l’époque,
déjà, la gauche internationale s’esclaffait. L’Europe, avec
les dix millions de musulmans qui y vivent, dont pas mal d’extrémistes,
subira le choc de plein fouet : elle ne sait pas que la
nouvelle guerre mondiale a déjà commencé, à petite échelle,
à Bint Jbeil. » [Ynet, 4 août 2006].
Des colombes
muettes
Comme
à chaque fois que se produit une atrocité, il y a les inévitables
badauds : ceux qui soutiennent le mal, tout simplement en
n’intervenant pas pour l’empêcher. Ou l’arrêter. Ce
n’est pas là une attitude surprenante chez un romancier
consensuel tel Shulamit Lapid, dont la sagesse et la modestie –
qui, on le sait, sont chez lui immenses – ont produit cette
perle :
« Je
ne veux rien dire, parce que tout est très dynamique, et ce qui
est vrai aujourd’hui ne le sera plus demain […]. Ce serait
insolent, de ma part, d’exprimer une quelconque opinion sur ce
sujet. » [Ha’aretz, 11 juillet 2006].
Plus
décevant, toutefois, est le chanteur pop Aviv Gefen, qui est aux
yeux de beaucoup d’Israélien l’incarnation du chanteur
protestataire de gauche :
« Yep. Je suis un
homme de paix, je suis un dissident, un pacifiste, vous savez.
Mais on nous impose ni plus ni moins la guerre ; je ne vois
pas comment l’éviter […]. Je pense que l’occupation est la
méthode la plus indiquée. Mais aujourd’hui, à mon avis, il
convient de garder le silence quelque temps… » [Walla,
5 août 2006].
Traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de
traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft.
|