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Que cache l'apartheid israélien ?
Rim al-Khatib



Depuis quelques années, le terme apartheid est de plus en plus utilisé pour décrire l'oppression que fait subir l'Etat sioniste d'Israël au peuple palestinien. C'est surtout au cours de la campagne contre le mur que construit l'Etat d'Israël en Cisjordanie (al-Quds compris)que ce terme d'apartheid s'est étendu, en parlant d'abord du "mur de l"apartheid", puis en généralisant ce terme, à partir de la construction du mur, pour décrire l'ensemble des actes de discrimination et d'oppression menés par l'Etat sioniste.
 
Ceux qui appliquent le terme d'apartheid à l'Etat d'Israël mettent en avant le système de discrimination que cet Etat fait subir au peuple palestinien, sans préciser de quels Palestiniens il s'agit : des Palestiniens habitant dans les territoires occupés en 1967 ou des Palestiniens habitant dans l'Etat sioniste, ou les deux, malgré la différence de situation opérée par l'occupation entre les deux composantes. Le mur de l'apartheid sépare-t-il les Palestiniens des Israéliens ou les Palestiniens entre eux ? Dans la terminologie palestinienne, c'est plutôt le terme de "mur de séparation" qui est employé, au lieu de "mur de l'apartheid", afin de maintenir l'imprécision d'une situation où le mur a pour fonction de séparer, d'isoler des Palestiniens à l'intérieur de murs, pour les séparer d'autres Palestiniens, qui sont également enfermés dans des murs et séparés des autres, et où l'ensemble des Palestiniens de la Cisjordanie sont séparés par des murs des autres Palestiniens, d'al-Quds, de la bande de Gaza et des territoires occupés en 48. Le mur a pour fonction première d'isoler et de ghettoïser les Palestiniens.
 
Quant à la séparation entre Palestiniens et Israéliens, elle n'est pas le fait du mur, mais de l'occupation.
 
Le terme d'apartheid est également utilisé pour décrire le système de discrimination appliqué par l'Etat sioniste dans les territoires occupés en 1967, et notamment en Cisjordanie, entre les colonies juives d'une part, et les agglomérations palestiniennes (villes, villages, camps) de l'autre. Les colonies sont effectivement développées, des routes rapides les relient entre elles et vers les principales villes de l'Etat sioniste. A l'aide des routes de contournement et du mur, les agglomérations palestiniennes deviennent des ghettos, alors que les colonies juives s'épanouissent et prospèrent au détriment de la terre, de l'eau et de l'air palestiniens.
 
Les termes de discrimination ou d'apartheid peuvent à la rigueur être appliqués à cette situation, où l'occupant israélien distingue entre ses propres citoyens, les colons, et les Palestiniens soumis au régime militaire, avec tout ce que cela entraîne : rafles, invasions, barrages, destructions, saccages, pour ne pas citer ce qui fonde même l'occupation sioniste, le vol des terres et des biens palestiniens. Concernant l'utilisation du terme apartheid dans ce cas, une question se pose : dénoncer l'apartheid pratiqué dans les territoires occupés implique-t-il de réclamer pour les Palestiniens un traitement égal avec les Israéliens, en l'occurence les colons ? Réclame-t-on de l'Etat de l'occupation de considérer les Palestiniens comme des citoyens israéliens ? Qu'il développe les villes, villages et camps palestiniens au même titre que les colonies, qu'il autorise aux Palestiniens la circulation sur les routes de contournement, ou qu'il leur autorise l'accès aux soins et à d'autres services dans les colonies ? Ou bien réclame-t-on tout simplement la fin de l'occupation et le démantèlement des colonies, de toutes les colonies, celles qui pullulent tout le long du Jourdain, celles qui enserrent et rongent la ville d'al-Quds, celles qui étouffent les Palestiniens de Bethléhem et ses environs, celles qui morcellent et tuent la Cisjordanie, en partant de Jénine, jusqu'à la ville et région d'al-Khalil ? En d'autres termes, ne risque-t-on pas de faire l'impasse sur l'occupation de la Cisjordanie en mettant en avant le système discriminatoire entre colons et Palestiniens, au lieu de mettre en avant l'occupation et la colonisation de peuplement ? Mettre en avant le système d'apartheid conduit à réclamer l'égalité de tous, alors que mettre en avant l'occupation et la colonisation de peuplement conduit à réclamer et soutenir la lutte pour la libération de tous les territoires occupés, en l'occurence ici, ceux occupés en 1967.
Il est toutefois difficile de ne pas aborder la question de la discrimination de traitement entre colons et Palestiniens en Cisjordanie, mais il convient de situer cette discrimination non pas sous le chapitre de l'apartheid, mais sous ceux de l'occupation et de la colonisation de peuplement qui engendrent tout un système discriminatoire, individuel et collectif, beaucoup plus puissant et infernal que ne l'est celui de l'apartheid car ce dernier n'est qu'un aspect de l'oppression subie par les Palestiniens.
 
Le terme d'apartheid est utilisé aussi pour désigner la discrimination menée par l'Etat sioniste envers les Palestiniens de 48, ceux qui sont déclarés citoyens de l'Etat mais qui, parce qu'ils ne sont pas Juifs, et surtout parce qu'ils sont Palestiniens, subissent une discrimination étatique flagrante depuis la fondation de cet Etat.
Les Palestiniens de l'intérieur ou de 48, considérés officiellement comme des citoyens de l'Etat d'Israël, sont effectivement traités de manière différente, tout comme le sont d'ailleurs les Palestiniens de la ville d'al-Quds, ville occupée en juin 1967 mais annexée par l'Etat sioniste et dont les habitants ont un statut différent du reste de la Cisjordanie. Parce qu'ils ne sont pas Juifs, ils n'ont pas accès à la répartition des terres ni aux logements, ni à certains services étatiques ou d'organismes affiliés à l'Etat, comme le Fonds national Juif. Dans leurs quartiers dans les villes considérées mixtes, ou dans des régions où ils sont restés majoritaires (Galilée, Naqab, Triangle), ils sont menacés par les destructions de leurs maisons, d'expropriation de leurs terres, leurs lieux saints (mosquées, églises, cimetières) sont profanés sinon détruits, leur langue,  culture et histoire ne sont pas considérées, leurs municipalités ne reçoivent que les miettes des budgets répartis entre les municipalités juives. Plusieurs de leurs villages ne sont pas reconnus par l'Etat et sont, de ce fait, privés des moyens de base pour une vie digne, tels que l'eau, l'électricité, les routes, les écoles, etc... Ils n'ont pas accès à certaines professions, ni à certaines branches des études supérieures. Dans certaines de leurs régions, notamment dans le Naqab, l'échec scolaire touche particulièrement leurs enfants, et concernant la pauvreté, ils représentent la majorité des plus pauvres de l'Etat. La discrimination étatique s'ajoute à un racisme généralisé au sein des Israéliens envers eux, comme l'ont montré des sonsages récents.
Est-ce à dire qu'ils subissent l'apartheid ? Ou plutôt, l'oppression qu'ils subissent est-elle seulement de l'apartheid ?
 
Si nous comparons la situation des Palestiniens de 48 avec celle des Noirs de l'Afrique du Sud, dont l'oppression subie a été désignée par apartheid, nous dégageons plusieurs différences :
- Les Palestiniens de 48 votent pour élire leurs représentants dans les instances "nationales" alors que les Noirs n'avaient pas accès au vote au temps de l'apartheid. Il y a même des députés palestiniens (désignés par Arabes) au parlement sioniste.
- Les Palestiniens de 48 peuvent malgré tout circuler, habiter, travailler aux côtés des Israéliens. Ils ont accès aux universités, aux lieux de loisirs et de culture israéliens. Il n'y a pas une file ou une entrée spéciale pour eux, ni des cours réservés pour eux.
- Certains d'entre eux sont même armés, comme les Palestiniens druzes ou bédouins, dans la police plus souvent que dans l'armée.
 
Mais est-ce là le problème ?
Est-ce que cela signifie qu'ils ne sont pas opprimés ? 
 
Au contraire, l'oppression subie est d'une autre nature que celle de l'apartheid. Ils votent, ils circulent plutôt librement, mais uniquement parce que le nettoyage ethnique, l'expulsion sous la menace des armes, la confiscation de leurs biens et de leurs terres, le démantèlement de leur société, leur mise sous régime militaire, en tant que communauté et en tant qu'individus palestiniens, opérés entre 1947 et 1966 a réduit la population palestinienne à une minorité dans son propre pays, minorité dépossédée, appauvrie, démantelée socialement et politiquement, et même familialement. Ils ont assisté et assistent toujours à l'invasion de leur pays par des colons juifs ou non-juifs, qui s'installent sur leurs terres légalement confisquées, selon les lois de cet Etat, et qui proclament haut et fort que les Palestiniens doivent être expulsés.
 
Les Palestiniens de 48 ne vivent pas la même situation que les Africains en Afrique du Sud, pour que le terme apartheid soit appliqué à leur condition. Les Africains sont restés majoritaires dans leur pays, les colons Blancs n'ont été qu'une minorité possédant toutes les richesses, gouvernant et exploitant richesses du pays et potentiel humain africain. En Palestine occupée devenue Etat sioniste, avec la bénédiction et la complicité des Etats "civilisés", les Palestiniens se sont retrouvés minoritaires dans leur pays, parce que le plan sioniste va plus loin que le plan africaaner : prendre la terre et expulser la population au-delà des limites d'une superficie pouvant accueillir les Juifs, superficie jamais définie et extensible en fonction du rapport de forces militaires et politiques.
En Palestine occupée ou l'Etat d'Israël, les sionistes ne veulent même pas d'une main d'oeuvre palestinienne, ils ont conçu le travail juif, la population juive, la terre juive, le pays juif, où les Palestiniens, habitants millénaires de ce pays, doivent être expulsés. En Palestine occupée, l'Etat d'Israël d'aujourd'hui, les dirigeants sionistes, de gauche et de droite, du centre et de l'extrême, sont préoccupés par une question primordiale, celle de la démographie. Tous leurs actes et leurs plans, qu'ils soient à l'intérieur de l'Etat qu'ils ont créé ou dans les parties de la Palestine qu'ils ont occupées en 1967, sont régis par cette question : sur la terre que nous conquérons, combien restera-t-il de Palestiniens ? Pouvons-nous maintenir sous domination une région à forte majorité palestinienne ? D'ailleurs, une des raisons de leur retrait de Gaza est démographique, une des principales raisons de leur étouffement d'al-Quds par le mur et les colonies est d'y réduire le nombre de Palestiniens, afin d'assurer la domination juive. La raison essentielle de l'adoption de la loi sur les mariages, non entre Israéliens et Palestiniens, mais entre Palestiniens de 48 et ceux de 67 (car les mariages israéliens-palestiniens sont extrêmement rares) est d'empêcher les Palestiniens de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et surtout les réfugiés, de vivre dans cette partie de la Palestine conçue pour être peuplée uniquement de Juifs.
En Palestine occupée, à l'intérieur de l'Etat d'Israël, les plans conçus tel que le "plan de développement de la Galilée et du Naqab" est d'ordre démographique : faire éclater toute agglomération palestinienne en y insérant les colonies et les routes (comme en Cisjordanie), ou tel le plan agité de temps à autre d'"échange de territoires entre la région du Triangle et les colonies implantées en Cisjordanie" qui considère le Triangle comme une région compacte palestinienne, région dangereuse démographiquement, malgré les quelques colonies juives qui le bordent et malgré la route transisraélienne qui l'a coupé en son milieu, raflant terres et villages.
 
Dans l'Afrique du Sud, les Africains sont restés, dans des ghettos certes, mais ils sont restés dans leur pays, et leurs revendications, parce qu'ils sont restés majoritaires, étaient la libération du pays en abolissant le système de l'apartheid qui les enfermait et les empêchait d'accéder aux richesses et à tout le territoire de leur pays. Mais en Palestine occupée devenue l'Etat sioniste, les Palestiniens devenus minoritaires peuvent accéder aux miettes des colons "blancs" : droits électoraux, droits de citoyenneté de seconde ou troisième zone, tant qu'ils n'ont pas la possibilité de modifier la nature de l'Etat, Etat qui les juge indésirables, qui le leur rappelle de temps en temps, et qui les maintient sous la menace constante d'un transfert, poursuite de ce qui a commencé en 1947-48. Ils sont tolérés tant qu'ils sont "loyaux" et tant qu'un équilibre de forces freine leur expulsion.
 
C'est à cause de tout cela que le terme apartheid ne peut traduire la nature du problème. Là aussi et surtout, il s'agit d'une occupation et d'une colonisation de peuplement, d'un nettoyage ethnique légalisé et admis par la "communauté internationale", soit les Etats puissants dans ce monde ("la légalité internationale"). Une colonisation de peuplement, comme d'autres colonisations, certaines ayant réussi (Australie, Amérique, à cause des génocides) et d'autres échoué (Algérie). En Palestine, plusieurs facteurs, essentiellement la résistance héroïque du peuple palestinien, freinent et remettent en cause depuis près d'un siècle cette domination.
 
En utilisant le terme d'apartheid, même pour essayer de pointer du doigt les aspects inhumains de cette occupation, on occulte le fondement même de cette entreprise coloniale commencée il y a un siècle pour le compte de l'impérialisme européen, qui est la dépossession et l'expulsion de tout un peuple. L'apartheid, ou plutôt la discrimination nationale, représente un des traits de la domination sioniste sur la Palestine. Elle n'en est pas le fondement. Parler d'apartheid, c'est considérer qu'il suffit que les Palestiniens, de 48 ou de 67, soient considérés comme des citoyens à part entière pour que le problème soit résolu, alors que le fond du problème, c'est l'existence de ces millions de réfugiés, qui ont eté expulsés et dépossédés, qui doivent avoir la possibilité d'appliquer le droit au retour à leurs terres et à leurs biens, sans entraves ni considérations démographiques aucune.
 
Le retour des réfugiés palestiniens, dont plus de 80% vivent à quelques centaines de kms de leurs villages, terres et villes, c'est-à-dire le rétablissement d'une démographique favorable aux Palestiniens dans la Palestine historique, est la seule issue juste pour supprimer les effets du nettoyage ethnique et empêcher sa poursuite par l'Etat sioniste. L'apartheid ou la discrimination nationale demeure un aspect, moralement important, de l'oppression sioniste mais cet apartheid découle d'une oppression plus vaste, celle de la colonisation d'un pays et l'expulsion de son peuple. L'utilisation du terme apartheid ne doit pas servir à cacher le fondement de cette oppression.


 Source : Palestine en marche


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