http://www.haaretz.com/hasen/spages/598747.html
Ha'aretz, 12 juillet 2005
Trad.
: Gérard pour La Paix Maintenant
Il y a quelques semaines, je participais à un débat sur le désengagement
devant un groupe d'étudiants, dans l'une de nos universités. Quand
je parlai de la nécessité d'évacuer les territoires occupés, une
jeune femme me demanda : "où vous arrêterez-vous? Quelle est
la frontière quand on parle de rendre des territoires? Et si l'on
vous demande d'évacuer votre maison à Mevasseret Zion (2),
penserez-vous encore que c'est légitime?"
Dans une interview à la radio, Avi Farhan un habitant d'Elei Sinaï
(colonie au nord de la bande de Gaza), décrivait sa colonie par ces
mots : "nous sommes situés dans la partie nord de la bande de
Gaza, très près des kibboutz Zikkim, Carmia et Yad Mordekhaï"
(3).
Pendant près de 40 ans, malgré d'énormes investissements, les
Israéliens ne sont pas précipités en masse pour peupler les
colonies et ont préféré, pour la plupart d'entre eux, rester à
l'intérieur des frontières d'Israël. Mais, bien que l'entreprise
de colonisation ait échoué à faire des territoires
occupés et des colonies une partie légitime de l'Etat d'Israël,
elle a réussi au moins une chose : avec les encouragements ou
l'accord tacite de tous les gouvernements, elle a brouillé la ligne
Verte (frontière d'avant la guerre de 1967), qui constitue de fait
la seule et unique frontière qui puisse être clairement tracée,
et la seule frontière sur la base de laquelle il soit possible de
parvenir à un accord acceptable pour les deux parties, et qui soit
internationalement reconnue.
Il est clair qu'aujourd'hui, au moins dans certaines zones de la
Cisjordanie (Maale Adoumim, certains quartiers de Jérusalem et le
"Bloc d'Etzion"), la ligne Verte ne constituera plus une
frontière mutuellement acceptée. Il sera très difficile, sinon
impossible, de les évacuer, et Israël devra donner d'autres
territoires en échange. Pour ce qui concerne le reste de la
Cisjordanie, la seule chance de parvenir à un accord de paix dépend
de la distinction que feront les Palestiniens et les Israéliens
entre un territoire israélien souverain et légitime et un
territoire occupé, dont le
statut reste à définir. Imaginons un instant ce qu'il en serait de
cette distinction mentale entre Israël et les territoires si des
colonies n'y avaient pas été érigées. Le retour de l'imaginaire
à la réalité révèle un succès, surprenant et inquiétant, du
projet de colonisation : saper la perception qu'a le public israélien
de la ligne Verte en tant que frontière de paix mutuellement acceptée
entre Israël et son voisin palestinien. Ce n'est pas un hasard si,
sur ordre de tous les ministres de l'Education, la
ligne Verte a disparu des cartes dans les écoles israéliennes.
Il est étrange de constater que le combat politique autour du désengagement
est mené essentiellement par des éléments de l'opposition et non
par le gouvernement d'Israël. Ariel Sharon est entouré de nombreux
conseillers, porte-parole, stratégistes et conseillers en
communication, mais il semble qu'ils soient surtout occupés à le
sortir de tel ou tel scandale ou au bras de fer hebdomadaire avec
Benjamin Netanyahou, et non à expliquer à l'opinion les avantages
du désengagement. A gauche non plus, on ne soutient pas fortement
le plan, et l'on privilégie la critique, ou, malheureusement, les réserves.
Or, à la fois l'entourage du Premier ministre et les gens de gauche
font une grave erreur en n'expliquant pas au peuple le gros avantage
du désengagement : l'évacuation des colonies juives.
Au cours de la décennie durant laquelle se sont déroulées les négociations
entre Israël et les Palestiniens (entre Oslo et Camp David), les
questions dont on a dit qu'elles constituaient un problème ont été
les réfugiés, le droit au retour et le statut de Jérusalem, avec
d'autres problèmes comme la distribution d'eau et les accords de sécurité.
Personne n'a soulevé le problème des colonies, dont la solution
paraissait évidente. Personne n'avait prévu qu'il deviendrait LE
problème qui pourrait empêcher de parvenir à un accord définitif,
et qu'une décision apparemment simple comme l'évacuation de la
bande de Gaza de 3% des colons juifs des territoires (évacuation de
surcroît bénéficiant d'un large consensus) rencontrerait une
opposition aussi forte.
Oui, l'étudiante qui m'a demandé "jusqu'où ? Quelle est la
frontière ?" a été surprise par ma réponse simple. La
frontière, c'est la ligne Verte, la seule frontière possible et
raisonnable entre nous et nos voisins, même si elle devra subir
quelques ajustements mutuellement acceptés. Et, non, Avi Farhan n'a
pas cillé, et sa remarque n'a pas provoqué de convulsions chez ses
auditeurs quand il n'a pas dessiné la ligne, pourtant profonde et
catégorique, qui sépare Elei Sinaï et les autres colonies de la
bande de Gaza des localités qui se trouvent à l'intérieur des
frontières d'Israël. Et il faut que cela s'arrête avant qu'il
soit trop tard.
Nous nous trouvons à une croisée des chemins historique. Jamais
auparavant une seule colonie juive n'a été évacuée. Ce désengagement
est le premier test d'un démantèlement de ces colonies qui sont
comme un os dans la gorge au milieu d'un territoire palestinien étranger.
Il faut donc que le
désengagement s'effectue à la lettre, complètement et à la date
prévue, avant qu'une génération nouvelle n'apparaisse qui n'aura
pas connu 1967, et avant que nos enfants et petits-enfants soient
condamnés à vivre par le glaive pour toujours, sans comprendre même
pourquoi.
(1) Ran Cohen est député du Yahad-Meretz (gauche)
(2) Mevasseret Zion : petite ville en contrebas de Jérusalem, à
l'intérieur
de la ligne Verte
(3) Zikkim, Carmia et Yad Mordekhaï sont 3 kibboutz proches de la
bande de
Gaza, à l'intérieur de la ligne Verte
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