La ville de Naplouse a connu une des
incursions israéliennes les plus terribles au début de
l’année, dans le silence assourdissant de la communauté
internationale : 19 morts, 270 blessés, des dizaines de
maisons détruites.
Naplouse (Cisjordanie),
envoyé spécial.
C’est un matin comme un autre à Naplouse,
la grande ville palestinienne du nord de la Cisjordanie.
Quatre heures à l’horloge de la place centrale ce jeudi, et
les véhicules militaires israéliens s’engouffrent dans les
ruelles de la cité, précédés par des chars. Une incursion
sporadique, comme pour montrer qui est le maître. Dans les
maisons la crainte le dispute à la colère. Qui peut ignorer
le bruit des chenilles sur l’asphalte, le son métallique
qui annonce destructions et meurtres ? Avant-hier, le prétexte
des escadrons de la mort israéliens était la capture d’un
militant d’une des branches armées proches du Fatah, les
brigades Al Aouda. Alors que le pâté de maisons est encerclé,
les jeeps patrouillent dans le centre-ville. Des toits, les
projectiles pleuvent : bidons, parpaings... tout y passe
pour exprimer le rejet de l’occupant. Des barricades de
fortune sont érigées, les pierres volent. Pendant plus de
douze heures, l’armée israélienne fait le siège d’une
maison, utilisant tous les moyens pour obtenir la reddition du
militant, jusqu’à forcer sa mère à parler dans un
haut-parleur pour lui demander de se rendre. La répression
n’a pas de morale. La maison est finalement détruite dans
une explosion qui ébranle Naplouse. Selon les Israéliens,
l’homme recherché a été enseveli sous les décombres. Les
Palestiniens affirment qu’il a pu s’enfuir.
Une description sommaire d’une journée, scène
de la vie quotidienne à Naplouse qui ne connaît pratiquement
aucun répit depuis le début de l’Intifada, à la fin du
mois de septembre 2000. Le 26 décembre, l’armée israélienne
y est entrée en force et a installé son campement jusqu’au
5 janvier, s’est retirée, avant de revenir deux jours plus
tard. Des journées terribles. Terribles comme jamais, au dire
de tous, malgré le souvenir du couvre-feu imposé en juin
2003 pendant près de cent quarante jours ! " 19
personnes ont été tuées et 270 blessées, révèle le
gouverneur de Naplouse, Mahmoud Al-Alloul. C’est
l’incursion la plus dure que nous ayons connue. Les soldats
avaient des instructions spécifiques pour tuer. Des familles
entières ont été confinées dans des salles et utilisées
comme otages. " Pour le gouverneur, le silence de la
communauté internationale est difficilement compréhensible
et n’a fait qu’encourager l’armée d’occupation.
" Dès le premier jour nous avons essayé d’alerter les
diplomates et les médias mais personne n’est vraiment
intervenu ", dit-il.
Aux quatre coins de la ville, les témoignages
sont édifiants. Sur le fronton de sa maison, Mustafa a
accroché le portrait de son frère Aboud, vingt-six ans, tué
le 7 janvier, vers deux heures du matin. Cette nuit-là, le
quartier est, une fois de plus, encerclé. La population se
terre sans vraiment comprendre les ordres aboyés selon
lesquels il faut sortir des habitations. Une rafle, en quelque
sorte. La famille de Mustafa se décide à ouvrir la porte
alors qu’Aboud n’est pas encore habillé. Outre la troupe,
des snipers sont en position sur les toits alentour. Les
soldats pénètrent, manu militari, dans les pièces et
s’emparent du jeune homme qui n’a jamais fait partie
d’aucun groupe politique et encore moins armé. Ils l’emmènent
derrière le bâtiment où un autre homme, membre des brigades
Al Aouda, est déjà menotté. Aboud affirme ne pas le connaître :
il est d’abord battu. Nouvel interrogatoire et même réponse :
un soldat lui tire une balle dans la jambe. Le scénario se répète :
une balle dans le flanc. La troisième, tirée en pleine face,
mettra fin à la question. Aboud est mort, quasiment en même
temps que l’autre prisonnier. Des exécutions sommaires,
visualisé par un voisin qui, aujourd’hui, se tait par peur
des représailles israéliennes. Mustafa n’entend pas en
rester là et tente de saisir la Haute Cour de justice d’Israël,
aidé par l’association israélienne Betselem, connue pour
avoir dénoncé l’utilisation de la torture par l’armée.
La vieille ville de Naplouse a sérieusement
souffert des différentes incursions israéliennes. Ce lieu
historique, normalement protégé par l’UNESCO, a subi des dégâts
considérables : en avril 2002, les Israéliens ont fait
donner l’aviation, puis les bulldozers sont entrés en
action. Trois mosquées et deux églises ont été en partie
rasées. Depuis avril 2002, 270 maisons ont été complètement
détruites, au dire du gouverneur. En janvier, la casbah a été
de nouveau le théâtre des opérations des occupants. Moen
Abdel Hadi est un descendant d’un des collecteurs de taxes
des Ottomans. À ce titre, comme les autres membres de la
famille, près de 70 personnes, il vit dans l’ancien palais
de l’aïeul. Il y aurait plus de 100 chambres ! Pour
les militaires, peu importante la valeur du patrimoine
universel. L’une des façades est percée d’un énorme
trou occasionné par un obus de char, rendant l’ensemble très
instable. Les appartements de Moen ont été occupés pendant
plus de dix jours mais avant de se retirer, les soldats ont
soigneusement tiré sur les portes des penderies, déchiré
les vêtements qui s’y trouvaient et défoncé les faux
plafonds. " Vous les Arabes, vous êtes tous des tueurs
", ont-ils lancé au propriétaire. Dans le patio, ils
ont fait sauter à l’explosif tout ce qui leur semblait
susceptible d’abriter des " fugitifs " pendant que
des chiens tenaient Moen à distance. Pour les enfants, le
traumatisme est profond. Ala, dix ans, a peur dès qu’il
entend un chien aboyer. Liin, six ans, et sa sour Serin, deux
ans, disent : " Les juifs ont tiré sur notre
maison. "
Pour justifier ses incursions, Israël
certifie que toutes les actions menées sur son territoire
proviennent de Naplouse. Ce qui reste à démontrer tant il
est vrai que la politique menée par Ariel Sharon (bouclage
des entités palestiniennes, construction d’un mur de séparation,
poursuite de la colonisation) pousse chaque jour un peu plus
les Palestiniens dans le désespoir. Cette rhétorique propre
à toute armée d’occupation vise aussi à masquer le but
premier, briser l’économie palestinienne dont Naplouse est
l’un des poumons les plus importants. " Nous avons le
droit de nous défendre contre les attaques et les massacres
perpétrés par les Israéliens ", explique Abou Jamil,
membre du bureau politique du Parti populaire palestinien (PPP,
communiste). Une résistance qui prend des formes diverses. Il
y a bien sûr des groupes armés mais aussi un comité de
coordination politique regroupant treize partis. " Tous
les Palestiniens ne sont pas d’accord avec les attaques menées
en Israël, mais ils sont unanimes pour réclamer le départ
d’Israël de leurs territoires et que les résolutions de
l’ONU soient appliquées. À cet égard, la communauté
internationale doit prendre toutes ses responsabilités.
"