21 juillet 2004
"En tant qu’Israélien,
concerné par son pays, je crois que l’avenir d’Israël dépend
de notre capacité à promouvoir une paix juste et durable avec nos
voisins, d’abord et principalement avec le peuple Palestinien. Étant
donné les inégalités énormes qui distinguent, dans tous les
domaines, les deux sociétés, Israélienne et Palestinienne, seule
une intervention efficace en provenance de l’extérieur peut empêcher
Israël de continuer sa politique oppressive envers les
Palestiniens. Malgré la banalité de ces idées, la peur pétrifiante
d’être stigmatisé comme antisémite suffit à elle seule à empêcher
pas mal d’entre nous d’agir efficacement ou même de
s’exprimer.
Le besoin d’une action populaire urgente est souligné par la décision
de la Cour Internationale de Justice de La Haye contre le Mur de Séparation
- manifestation symbolique de l’idéologie sioniste - et la peur
que les politiques cyniques des états vont essayer d’ignorer la
demande de millions de gens, partout dans le monde, qui veulent que
le mur soit démantelé - comme ils l’ont fait il y a un an, en déclenchant
la guerre en Irak.
Ce document est le fruit d’un effort pour dévoiler et repousser
l’exploitation cynique de l’antisémitisme et de la culpabilité
Européennes comme un outil politique employé par Israël et les
dirigeants Sionistes de la Diaspora Juive.
* * *
"Les antisémites deviendront
nos amis les plus loyaux, les nations antisémites nos alliées".
(Le journal intime de Theodor Herzl).
* * *
Au moment où s’achèvent ces lignes il y a en
France environ cent émissaires en provenance d’Israël. Leur tâche
est de convaincre quelques 30 000 Juifs Français de faire "Aliyah"
(en hébreu, "s’élever", immigrer en Israël). Leur
message est simple et en même temps assez effrayant :
"Partez de la France dès maintenant et venez à votre vraie
patrie - Israël. La France n’est plus un endroit sûr pour les
Juifs. Il faut que les Juifs n’oublient jamais ."Ce message
s’harmonise très bien avec le venin antisémitique :
"Juifs, partez de notre pays et allez chez vous, en Israël.
Après tout, c’était pour ça que nous vous avions aidés à créer
Israël". Voilà en bref comment l’antisémitisme peut être
l’ennemi acharné du Juif et, en même temps, un puissant allié
du Sioniste. Ce point de vue peut provoquer une confusion parce que
bien des gens considèrent les mots "Sioniste",
"Juif" et même "Israélien" presque comme des
synonymes. A vrai dire, il y a rien de surprenant dans cette
confusion puisque les dirigeants Sionistes, les hommes politiques
Israéliens et les communautés Juives, partout dans le monde ,
participent tous à l’effacement des distinctions entre ces
termes. Et chacun d’entre eux a assurément ses propres raisons
pour promouvoir cette confusion.
Le Mouvement Sioniste :
C’était grâce à l’identification entre le
mouvement Sioniste et le peuple Juif que ce mouvement nationaliste
avait obtenu la légitimité tellement nécessaire à ses débuts.
Sans l’image de marque "Juif", le monde n’aurait très
probablement pas accepté une idéologie nationaliste fondée sur le
remplacement de la population Palestinienne indigène par les
nouveaux venus en provenance d’Europe.
Israël :
Cette confusion est due en majeure partie à Israël,
et c’est Israël qui en tire le meilleur parti. Voici quelques
moyens par lesquels Israël contribue à l’ambiguïté sur la
question d’identité :
L’élément le plus manifeste est la définition d’Israël comme
état "Juif-Démocratique". La contradiction inhérente à
cette définition (état Juif - qui appartient au peuple Juif ;
état démocratique - qui appartient à chacun de ses citoyens)
reste à résoudre pour Israël. Un fait ignoré par bien des gens,
c’est que la nationalité "Juive" est reconnue par Israël,
mais pas la nationalité Israélienne. Sur ma carte d’identité,
ma nationalité (par opposition à ma citoyenneté) est enregistrée
comme Juive, pas comme Israélienne. La nationalité des citoyens
non-Juifs d’Israël est définie comme Arabe, Russe, Turque et
ainsi de suite, mais la nationalité Israélienne n’existe pas.
Beaucoup d’Israéliens, Juifs et Arabes, la plupart d’entre eux
militants pour la paix, ont demandé à plusieurs reprises que l’état
reconnaisse la nationalité Israélienne. Encore une fois, le 23 mai
2004, la Cour Suprême d’Israël s’est prononcée défavorablement.
Se définir comme un état Juif donne à Israël un prétexte pour
une discrimination contre les citoyens non-Juifs. Cette
discrimination est habituelle dans la majeure partie de la vie
quotidienne, comme on le verra plus tard. L’ambiguïté qui
entoure la question d’identité ne s’arrête pas sur le plan légal.
La distinction entre les termes Israélien et Juif est souvent effacée
dans le discours public et politique en Israël, surtout à droite
de l’éventail politique. Les gens ordinaires et les hommes
politiques partagent une rhétorique qui permet de dire "les
Juifs peuvent s’installer partout sur ce territoire", ou même
"les Arabes nous haïssent parce que nous sommes Juifs",
etc, etc. Par cet effacement terminologique, Israël dit en réalité
que le conflit Israélo-Palestinien n’est pas un conflit
national/politique, entre Israéliens et Palestiniens, susceptible
d’être résolu par des moyens politiques, mais un conflit
ethno-religieux entre Juifs et Arabes/Musulmans...
Le journaliste Israélien Haim Hanegbi disait de
cette politique : "Où que se trouvent un Juif et un
Arabe, une frontière se dresse entre eux." Evidemment c’est
un concept extrêmement dangereux qu’il faut absolument rejeter
parce qu’il nous emmène tous vers le "Clash des
Civilisations" aussi redoutable qu’insensé.
La Diaspora Juive :
Si la participation du mouvement Sioniste et d’Israël
dans cette confusion est cynique, celle de la Diaspora Juive est
plutôt tragique. La Diaspora Juive a été profondément traumatisée
par l’Holocauste. Un tiers du peuple Juif a péri, ainsi que leur
culture, leurs traditions, même leur langue.
Un fort sentiment contre le Sionisme - une
opposition avec des racines religieuses et culturelles - s’est
transformé en un soutien sans réserve, non seulement pour le
Sionisme mais aussi pour sa manifestation physique - l’état
d’Israël. Dans l’esprit collectif et l’identité des Juifs,
le "Nouveau Juif" Israélien-Sioniste - grand, fort et
fier - remplaçait le Juif errant, faible et pâle, qui avait accepté
son destin sans lutter. Par Israël, les Juifs pouvaient regagner
leur fierté, leur confiance. Avec la puissance et la protection
formidable de l’armée Israélienne, le Juif était dorénavant
libéré de sa dépendance sur une Europe perfide. Cette
identification, cette loyauté, cette gratitude même de la Diaspora
Juive envers Israël l’amènent souvent à un soutien aveugle et
sans nuance de la totalité de la politique Israélienne, en dépit
de ses directions...
* * *
Cet effacement d’identités est la
pierre angulaire d’une stratégie Israélienne où le démon de
l’antisémitisme est utilisé pour cacher une politique
oppressive.
Comme les images de cars éventrés dans des
attentats ont suscité de la compassion pour Israël et les
souffrances de son peuple, de la même façon les images des
bulldozers en train de déraciner des milliers d’oliviers ou de détruire
des centaines de maisons ont provoqué une vague de répugnance
contre Israël, partout dans le monde. L’identité floue et déroutante
de l’Israélien, alliée à une forte charge émotionnelle, ont
provoqué une réaction diffuse de colère et de critique. Parmi les
cibles des attaques qui en résultaient se trouvaient les communautés
Juives et l’idéologie Sioniste. Mais la plupart des critiques
visaient directement Israël et sa politique oppressive. Les
propagandistes Israéliens ont étiqueté cette attaque diffuse
"le nouvel antisémitisme". Les dirigeants de la Diaspora
Juive ont réagi à ces attaques avec la peur instinctive due à des
siècles de persécution. Plutôt que de scruter de près et honnêtement
les évènements et leurs causes, ils ont paniqué en criant
"antisémitisme", sans réfléchir que cette nouvelle
vague d’antisémitisme était étroitement liée au conflit Israélo-
Palestinien et qu’il fallait chercher le remède dans le contexte
de ce conflit. Israël a rapidement vu les énormes possibilités présentées
par ce bouclier "antisémite" et, plutôt que de
s’occuper de l’occupation, a choisi de se cacher derrière cette
identité Juive ambiguë et d’enflammer davantage la panique Juive
au sujet de l’antisémitisme. Qu’il s’agisse de la profanation
d’un cimetière Juif à Rome, ou de critiquer la destruction des
foyers Palestiniens, une agression contre un Rabbin à Paris, ou de
dénoncer les assassinats extra-juridiques Israéliens - Tous les
gestes et toutes les déclarations sont confondues sous l’étiquette
"antisémitisme".
Les autorités Israéliennes ont récemment publié
une plaquette intitulée "Comment combattre l’antisémitisme",
où se trouvent les "munitions" pour la guerre Israélienne
contre l’antisémitisme. Selon le texte, l’antisémitisme présente
quatre traits distinctifs :
1. Démonisation d’Israël et du peuple Juif.
2. Utilisation de thèmes religieux de haine contre Israël.
3. Doubles mesures internationales.
4. Rejet du droit d’Israël d’exister.
Avant d’analyser chaque argument, notons comment
le texte utilise les termes "Juif" et "Israélien",
presque comme des synonymes.
La démonisation d’Israël et du
peuple Juif.
Une attaque contre Israël est tout autre qu’une attaque contre le
peuple Juif. Alors qu’Israël, comme tout autre état, mérite
d’être critiqué pour ses méfaits, le peuple Juif ne possède
pas une politique commune. Une attaque contre le peuple Juif vise
donc leur identité, pas leurs propres actions. Les comparaisons
entre Israël et le Nazisme, ou bien entre les soldats Israéliens
et les Nazis, peuvent être considérées comme une démonisation
d’Israël seulement si les Nazis sont regardés comme des démons.
L’accusation est clairement antinazie et non pas antisémitique.
De telles comparaisons, qui sont politiquement stupides, sont des
accusations immodérées qui devraient être comprises dans le sens
suivant : "Vous, qui étiez jadis victimes de la bête
Nazie, êtes en train d’imiter la bête." Jeshaya Leibowitz,
le célèbre philosophe religieux Israélien, qui nous a donné
l’expression "Judéo-Nazi", était loin d’être un
antisémite.
L’utilisation des thèmes
religieux de haine contre Israël.
On a en grande partie répondu à cet argument dans la section précédente.
Je voudrais souligner encore une fois qu’un état ne peut s’en
tenir à une idéologie ethno-religieuse, et, en même temps, se
plaindre d’être victime des thèmes religieux de haine. Israël
est coupable de plusieurs formes de discrimination sur le plan
ethnique, envers ses propres citoyens Palestiniens et particulièrement
à l’égard des 3,5 millions de Palestiniens sous occupation qui
ne bénéficient même pas des droits civils les plus fondamentaux.
Pour donner quelques exemples : à cause d’une politique à
long terme de confiscation des terres, les Palestiniens Israéliens
possèdent seulement 3% de terre, tandis qu’ils représentent 20%
de la population. Des milliers de salles de classes font défaut
dans le système d’éducation Arabe, indépendant bien sûr, de
celui des Juifs. Depuis la création d’Israël, pas un seul
nouveau village Arabe n’a été construit pour pourvoir à
l’accroissement de la population tandis que des centaines de
kibboutzim, villes et villages ont été construits exclusivement
pour les Juifs. A vrai dire, sept bidonvilles ont été construits -
pour rassembler les Bédouins nomades afin de les empêcher de
poursuivre leur vie traditionnelle.
Doubles mesures internationales
Il y a sûrement des doubles mesures internationales dans le cas
d’Israël. Mais ces doubles mesures, en fait , sont globalement en
faveur d’Israël. Si ce n’était pas le cas, en premier lieu
Israël n’aurait probablement jamais été créé, et n’aurait
certainement pas profité du puissant soutien des États- Unis.
Ironiquement , une partie importante de ces doubles mesures en
faveur d’Israël est fortement contaminée par l’antisémitisme
, comme c’est le cas avec le soutien de l’extrême - droite
Protestante des États - Unis.
Aucun autre état ne serait sorti indemne de plus de 180 infractions
des résolutions de l’ONU, résolutions exécutoires du Conseil de
Sécurité incluses. Cette situation est due à la position privilégiée
d’Israël comme "l’état Juif", qui jouit des
avantages fondés sur : soit la peur antisémite de la colère
des "Anciens de Sion", soit le désir d’obtenir leur
soutien, soit à cause d’un sentiment profond de culpabilité
envers les Juifs. Quel que soit le cas, il est curieux de noter
comment Israël profite de ces doubles mesures tout en les
critiquant.
Rejet du droit d’Israël
d’exister.
Il s’agit ici du quatrième attribut de l’expression antisémitique
selon la plaquette publiée par le gouvernement Israélien. Il faut
d’abord se rappeler qu’en mars 2001, le monde Arabe entier - 22
états, dont l’Irak, ont proposé la paix et la pleine
reconnaissance à Israël, en échange de son retrait à la
"Ligne Verte" et de la création d’un état Palestinien.
Israël n’a même pas pris la peine de répondre, et s’est
consacré au soutien du président Bush et de sa guerre contre
l’Irak.
Alors que signifie vraiment cet argument ? L’argument est
incompréhensible si l’on n’ajoute pas les mots "comme un
Etat Juif". Mais pourquoi les auteurs de la plaquette ont-ils
omis ces mots ? Probablement parce qu’il devient de plus en
plus difficile de défendre l’idée d’un état Juif sous sa
forme actuelle. Nombreux sont ceux qui souhaitent la transformation
d’Israël en un état multiculturel, démocratique et laïc, et
bon nombre d’entre eux sont Israéliens. Beaucoup d’entre nous
croient qu’Israël ne peut pas maintenir pour toujours l’identité
contradictoire d’un Etat Juif et Démocratique. Nous sommes
convaincus que le monde interdépendant de demain ne peut tolérer
l’existence d’états fondés sur une supériorité ethnique et
sur la discrimination ethnique ou religieuse. Rangés contre l’état
d’Israël sous sa forme d’état Juif-Sioniste, se trouvent
plusieurs groupes religieux Juifs,comme, par exemple Satmer et
Neturei Karta, qu’on ne peut qualifier d’ antisémites. Jews
Not Zionist
Par ailleurs : les Juifs de la Diaspora doivent
se demander s’ils peuvent soutenir un système politique qu’ils
n’auraient jamais accepté chez eux. Combien de Juifs
accepteraient un état "Chrétien-Démocratique" dans
lequel ils seraient victimes de discrimination en tant que Juifs ?
Combien de Juifs accepteraient une "démocratie moderne" où
l’achat des terres de l’état serait interdit aux Juifs ?
Si Israël est vraiment inquiet au
sujet de l’antisémitisme...
Voici ce que je suggérerais qu’elle fasse :
1.
Déclarer que l’antisémitisme, ainsi que toute autre forme de
racisme ou de discrimination, est une maladie à l’échelle
mondiale et ajouter qu’Israël est prêt, dès maintenant, à arrêter
toute pratique discriminatoire basée sur la religion, l’origine
ethnique ou le sexe.
2.
Déclarer que le conflit au Moyen- Orient n’est pas un conflit
religieux-ethnique entre Arabes/Musulmans et Juifs, mais un conflit
national/politique, qui doit être résolu par des négociations basées
sur la loi internationale et non pas selon la règle du plus
puissant.
3.
Commencer un processus immédiat de réconciliation vraie et
profonde avec le peuple Palestinien, dans un effort sérieux d’établir
une paix juste et durable entre les deux peuples.
4.
Commencer à construire une nouvelle vision de ponts entre des
voisins plutôt que des murs de Séparation. Israël a la possibilité
unique et extraordinaire de changer le courant mondial, d’éviter
le Clash des Civilisations qu’elle est actuellement en train de
promouvoir et de le remplacer par un nouveau modèle d’association
et de générosité.
Dans cette optique, les communautés Juives du monde entier, dont la
plupart ont profité des avantages des pays riches et démocratiques
pendant des décennies, ont un rôle crucial. C’est, en réalité,
la meilleure aide que le monde Juif puisse offrir à Israël et à
lui-même."
Oren Medicks.
|