Haaretz, 27 décembre 2005
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=662943
Version
anglaise : www.haaretzdaily.com/hasen/pages/ShArtVty.jhtml?sw=niv&itemNo=662728
La loi sur l’enseignement obligatoire s’applique
sans doute aux enfants de Jérusalem-Est, mais cela ne se reflète
presque pas sur le terrain : des dizaines de milliers d’élèves
étudient dans des pièces d’habitation surpeuplées, sans équipement,
sans chauffage. Et ceux-là ont encore de la chance : pour des
milliers d’autres, ni la municipalité ni le Ministère de l’éducation
n’ont entendu parler d’eux. Premier d’une série d’articles.
Bienvenue
à l’école fondamentale « Shouafat - Filles - N°2 ».
L’apparence est peut-être trompeuse : il s’agit d’un
immeuble d’habitation à mi-hauteur d’une rue délabrée, à côté
d’un terrain boueux et vide, près du quartier de Shouafat, au
nord-est de Jérusalem. Pas âme qui vive dans le petit hall
d’entrée mais les voix qu’on entend venir d’une des pièces,
voix d’élèves répétant des phrases de leur livre, révèlent
la destination improvisée du bâtiment. 340 filles étudient ici,
dans dix classes. Presque toutes viennent du camp de réfugiés de
Shouafat (situé en dehors du tracé de la « Ceinture de Jérusalem »).
17 enseignantes ont la charge de ces élèves. Une étroite cage
d’escalier mène au premier étage. Là, à côté des classes, se
trouve aussi le bureau de la directrice. Deux tables et une
photocopieuse occupent l’espace serré de la pièce, un ordinateur
sur la table de la secrétaire. C’est l’unique ordinateur de
l’école, dit la directrice, Maisun Halak.
Une
des classes était jadis une chambre. Quatre mètres sur quatre. 23
fillettes y sont assises pour y étudier. Elles sont pressées
contre les murs, entre les tables. Il n’y a pas de place pour les
cartables, alors on les dépose sur le rebord de fenêtre. Les fenêtres
sont grillagées. Sur les murs, des dessins et des décorations
faites par les élèves. L’entrée dans la pièce est étroite, ne
permettant pas le passage de plus d’une personne à la fois. Que
fait-on si une des fillettes doit sortir au milieu du cours ?
Elle grimpe sur la table et manœuvre. Et, à Dieu ne plaise, en cas
d’urgence ? Comment pourra-t-on sortir de la pièce ? La
question reste sans réponse.
La
pièce de l’autre côté du couloir est déjà plus accueillante.
Les tables vertes ont été peintes grâce à la contribution de
Centre Peres pour la Paix. La directrice a fait appel à un
architecte pour qu’il aménage l’espace afin d’en tirer un
profit maximum. Le budget n’a suffi qu’à une classe. Dans la
cuisine, ce sont 34 élèves qui étudient. Là, c’est sur les
meubles de cuisine et le marbre du plan de travail que les fillettes
déposent leurs cartables. Dans le salon, 40 élèves pour une leçon
de mathématiques. Ici aussi le surpeuplement est invraisemblable.
Une partie des élèves est obligée de s’asseoir à côté du
tableau à un endroit d’où il est impossible de voir
convenablement ce qui y est écrit. Dans la plus grande des pièces,
ce sont 44 élèves qui étudient. Toutes portent sweet-shirt,
manteau et voile. Il fait froid dans les classes et il n’y a pas
d’argent pour chauffer.
C’est
l’Etat d’Israël qui est responsable des écoles de Jérusalem-Est.
Après la guerre des Six Jours, en annexant l’est de la ville et
en appliquant le statut de résident permanent à tous ses habitants
arabes, l’Etat a aussi pris sur lui la responsabilité de
dispenser un enseignement à leurs enfants. Des dizaines de milliers
d’enfants sont aujourd’hui soumis à la loi israélienne sur
l’enseignement obligatoire tout en faisant l’objet d’une
discrimination dans le partage des budgets, dans les infrastructures
et dans les programmes de développement des établissements
scolaires. Des années de négligence et de manque de considération
ont fait du système d’enseignement à Jérusalem-Est le pire du
pays. Les taux d’échecs y sont les plus élevés, les taux
d’accès au bac les plus bas.
Dans
l’Israël de 2005, le système du « hèder » des
orthodoxes, importé de la diaspora connaît une deuxième jeunesse
précisément dans le système d’enseignement de l’est de la
ville. D’après les chiffres de la municipalité, il manque 1 354
salles de classe règlementaires et pour résoudre le problème du
manque de place, il a fallu diverses solutions créatives. La
principale consistant à louer des bâtiments d’habitation pour en
faire des écoles.
Dans
un de ses chapitres, le rapport 2003-2004 de l’inspectrice de la
municipalité de Jérusalem abordait la question de l’enseignement
à Jérusalem-Est. Il y est, entre autres, écrit que « L’est
de la ville souffre d’un manque cruel de salles de classe. Le plan
directeur des établissements scolaires de Jérusalem-Est publié au
début de l’année 2003 montre qu’au cours de la dernière décennie,
la population d’élèves dans le secteur arabe de Jérusalem, au
sein des écoles de la municipalité, a augmenté de 7% par an. Afin
de surmonter le manque criant de place, la municipalité loue depuis
des années à des particuliers, des bâtiments qu’elle utilise
alors comme bâtiments scolaires. D’après le plan directeur,
environ 40% des salles de classe de l’est de la ville ne sont pas
réglementaires et se trouvent dans des bâtiments loués qui
n’ont pas été conçus comme bâtiments scolaires et doivent être
rendus conformes. Pendant l’année scolaire 5763 [2002-2003], le nombre de salles de classe louées dans l’enseignement officiel a
atteint les 400. Le tableau de la situation dans tous les bâtiments
qui ont été visités est particulièrement dur. »
D’après
les chiffres mis à jour, transmis par la direction de
l’enseignement de la municipalité de Jérusalem : sur les
108 bâtiments servant d’écoles à l’est de la ville, 46 sont réglementaires
et 62 ne le sont pas.
Différences de classes sociales
Le
matin, dans les quartiers nord de Beit Hanina et Shouafat considérés
comme formant une continuité territoriale, les trottoirs se
remplissent de milliers d’enfants revêtus de leur uniforme. Les
huit écoles officielles qui y fonctionnent accueillent aussi, en
plus des enfants des quartiers, les enfants des camps de réfugiés
de Shouafat ainsi qu’une partie des enfants des quartiers d’Anata,
Dahat al-Salaam et Ras Hamis. Au total, tous ces quartiers du
nord-est de Jérusalem comptent plus de quatre-vingt mille
habitants. Leurs enfants étudient dans six écoles fondamentales à
Beit Hanina et Shouafat et dans deux écoles secondaires pour garçons,
l’une nouvelle et spacieuse à Beit Hanina et l’autre à
Shouafat. A l’exception de la nouvelle école secondaire, les écoles
sont installées dans des bâtiments qui ont été loués et
convertis pour y donner cours. L’école fondamentale pour filles
de Beit Hanina est installée dans quatre bâtiments d’habitation
séparés. L’école fondamentale N°2 pour garçons de Shouafat
est installée dans deux bâtiments d’habitation. Tous les bâtiments
sont éloignés les uns des autres. Même si les enfants qui y
suivent l’enseignement fondamental réussissent, ils ne sont pas
assurés d’avoir de la place dans les classes supérieures. La
situation des filles est particulièrement grave car il n’existe
pour elles qu’un collège et aucun lycée officiel.
Au
fil des années, de flagrantes différences sociales se sont créées.
Beaucoup parmi les habitants de Beit Hanina et de Shouafat
constituent la classe moyenne des Arabes de l’Est de la ville et
ils se sont dès lors souciés de trouver pour leurs enfants des
solutions alternatives d’enseignement. Ceux-là iront dans des écoles
privées et leurs parents débourseront entre 1000 et 3000 dollars
par année scolaire et par enfant. Ceux qui n’ont pas cette
chance, les pauvres qui habitent le camp de réfugiés et les autres
quartiers, devront se contenter du réseau d’enseignement de la
municipalité et du ministère de l’enseignement. Selon une évaluation
non officielle, plus de 80% des enfants de ces écoles publiques
vivent en dehors de Beit Hanina et Shouafat.
Deux
organismes ont la responsabilité de l’enseignement fondamental de
l’est de la ville. Le Ministère de l’enseignement est
responsable du paiement des salaires des enseignants et des
directeurs des écoles, et la direction de l’enseignement de la
municipalité est responsable des dépenses courantes et de
l’entretien des bâtiments. Maisun Halak, directrice de l’école
pour filles N°2 de Shouafat, explique que la direction de
l’enseignement de la municipalité de Jérusalem lui alloue 24000
shekels [~4400 €] par an pour les dépenses courantes. Avec cette
somme, elle doit faire tourner l’école. Pas de laboratoires, pas
d’ordinateurs. Pas de cours artistiques. Jusqu’à l’année
dernière, la municipalité fournissait des repas chauds, dit-elle,
mais cette année, Maisun Halak a dû y renoncer ; il n’y a
pas de place pour prendre ces repas et les organiser gaspillerait un
temps précieux. Même comme ça, il manque des heures de cours
d’instituteurs.
Un
inspecteur du Ministère de l’enseignement se rend de temps à
autre dans l’école mais ses pouvoirs sont très limités. Sa
fonction consiste en l’accompagnement, le suivi et l’instruction
des directeurs et des instituteurs. Tout le reste échappe à sa
responsabilité. Maisun Halak s’est adressée à la municipalité
pour obtenir l’autorisation de construire deux classes supplémentaires
sur le toit. La demande a été rejetée, le bâtiment appartenant
à un particulier à qui il est loué. Comment le budget de l’école
est-il fixé ? Qui est responsable de contrôler que les élèves
reçoivent bien le peu qui leur revient ?
Il n’y a pas de contrôle effectif
Un
paragraphe du rapport 2003-2004 de l’inspectrice de la municipalité
offre un rare coup d’œil sur la manière d’agir de la direction
de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem et montre
clairement que personne ne surveille l’argent public injecté dans
l’enseignement à Jérusalem-Est : « En conséquence de l’absence d’un contrôle effectif sur l’argent
de la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem
dans les établissements scolaires de Jérusalem-Est, des usages et
des habitudes se sont installés ces dernières années dans le
secteur de la gestion financière qui ne s’accordent pas avec une
administration normale. La direction de l’enseignement de la
municipalité de Jérusalem fait part d’une amélioration de la
situation au cours de la dernière période, suite à la guidance et
au contrôle qui ont été mis sur pied. Jusqu’en 5764 [2003-2004],
aucun tarif clair et unique n’était fixé pour les services
scolaires, ni de règles pour l’octroi des réductions. L’examen
a montré que la direction de l’enseignement de la municipalité
de Jérusalem ne disposait pas des données sur les sommes reçues
des parents par les établissements scolaires, sur le pourcentage
d’encaissement ni sur le type de réductions offertes. En 2002, la
direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem a
diffusé par écrit auprès de toutes les directions d’établissements
scolaires, des directives et des instructions sur la comptabilité
des écoles. En 5763 [2002-2003],
des contrôles ont eu lieu dans 12 écoles seulement, sur 44. Dans
toutes les écoles contrôlées, on a trouvé des lacunes. »
Les
transports jusqu’à l’école sont financés par les parents. La
décision gouvernementale de juillet 2005 n’est pas parvenue
jusqu’ici, qui établissait que tous les enfants restés à
l’extérieur du Mur avaient droit à un transport depuis le
barrage jusqu’à l’école. Le mur qui entoure le camp de réfugiés
de Shouafat a été construit en mars mais les transports auxquels
le gouvernement s’était engagé ne sont pas là. Une partie des
parents n’a pas l’argent pour payer le transport et les enfants
vont à pied. La seule voie par laquelle les enfants peuvent sortir,
c’est le barrage à l’entrée du camp. En chemin, ils sont obligés
de traverser une grand-route qui passe entre le camp de réfugiés
et le quartier. Les critères du Ministère de l’enseignement pour
les transports ne sont pas établis d’après la situation économique
des familles, ni d’après les obstacles que les enfants
rencontrent sur le chemin de l’école, mais seulement sur base de
la distance. D’accompagnement psychologique des enfants, de
guidance et de soutien, il n’est pas question. Ici on apprend à
encaisser et à intérioriser : il y a des ordres de priorité.
L’anglais et le calcul ont priorité sur les émotions.
La
municipalité de Jérusalem fait savoir, en réponse, que les dépenses
de chauffage sont comprises dans le cadre budgétaire courant transféré
aux écoles. La municipalité n’a pas connaissance d’une école
qui ne serait pas chauffée les jours d’hiver. Dans
l’enseignement normal, les critères pour les transports sont fixés
par le Ministère de l’enseignement. Le droit à un transport
concerne l’élève et pas l’école et s’il y a une école à
proximité du lieu d’habitation d’élèves, ceux-ci ne bénéficieront
pas d’un transport. L’enseignement à Jérusalem-Est ne se voit
pas allouer un budget séparé mais intégré au budget général de
la direction de l’enseignement de la municipalité de Jérusalem.
C’est pourquoi la préparation d’un rapport séparé sur le
budget de l’est de la ville exige du temps.
Le
Ministère de l’enseignement fait savoir quant à lui qu’
« à ce jour, la construction de la clôture de séparation n’est pas
encore achevée dans le nord de Jérusalem et que pour les enfants,
le problème de la traverser n’existe pas encore. Avec l’achèvement
de la construction de la clôture, on ne s’attend pas à des problèmes
puisque toutes les demandes de la direction de l’enseignement de Jérusalem,
qui est responsable des transports à Jérusalem-Est, ont été
acceptées dans leur principe par le Ministère. D’après
l’accord établi avec la direction de l’enseignement de la
municipalité de Jérusalem, le problème sera résolu en
coordination avec l’armée israélienne, de deux manières :
soit les élèves seront transportés vers le point de passage dans
la clôture, le franchiront, monteront dans des bus qui les emmèneront
jusqu’à l’école, soit ils bénéficieront d’un passage
rapide de la clôture qu’ils franchiront rapidement à bord du même
véhicule avec lequel ils seront venus jusque là. »
Rima
Issa, journaliste et réalisatrice de documentaires, a participé à
la préparation de cet article.
80
000 enfants en âge d’enseignement obligatoire à Jérusalem-Est
36
272 enfants dans l’enseignement officiel
9
574 dans l’enseignement non officiel reconnu
6
408 dans des écoles du Waqf
13
955 dans des écoles privées
14
000 « présents-absents »
1
354 salles de classe manquantes
62
bâtiments scolaires non conformes (sur 108)
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
|