Palestine - Solidarité

   



Si pas la Cour Suprême, alors la Grande-Bretagne

  Michael Sfard

 

Haaretz, 14 septembre 2005

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=624805

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/624550.html

 

 

Enquêter comme il convient sur les crimes de guerre en Israël permettrait d’épargner les poursuites à l’étranger.

 

La farce qu’a été la fuite de Londres du général Doron Almog *, cette semaine, évitant ainsi d’être arrêté pour enquête sur des crimes de guerres, ne doit étonner personne. Toute personne instruite dans le domaine et connaissant les voies de la justice criminelle internationale, sait que la fréquence du spectacle d’un officier de l’armée de défense d’Israël fuyant un état européen avant de se faire arrêter, ira en grandissant dans un proche avenir. En Israël, on a décidé de ne pas enquêter sur les crimes de guerre, on a fait obstacle au jugement de criminels de guerre, décidé de ne pas demander ce qui est permis et ce qui est interdit en territoire occupé, or nous avons perpétré vraiment beaucoup de crimes de guerre. Et tout ça, ce qui pourrait et devrait l’empêcher c’est le seul instrument de pouvoir à n’être pas élu et à n’être pas soumis aux pressions du public (du moins n’est-il pas censé l’être) : le système judiciaire. En fuyant ses responsabilités, l’appareil judiciaire israélien a transféré l’obligation d’agir aux appareils judiciaires étrangers. Par sa peur de trancher la question de la légalité de l’activité de l’armée de défense d’Israël dans les Territoires, l’appareil judiciaire a abandonné ses officiers et ses soldats à la justice criminelle internationale.

 

C’est ainsi que la Cour Suprême a statué à propos d’une requête introduite par le mouvement « Yesh Gvoul » et cinq écrivains et poètes qui demandaient que soit ordonnée une enquête sur l’assassinat de Saleh Shehadeh – une des affaires dans lesquelles le général Almog est tenu, à Londres, pour suspect. Pour rappel : dans le but d’assassiner Shehadeh, la force aérienne avait largué une bombe d’une tonne sur le quartier de al-Daraj à Gaza, tuant 15 personnes et en blessant plus de 150. A propos de cette opération, celui qui était alors le commandant de la force aérienne et qui est maintenant le chef d’état-major Dan Halutz, avait déclaré qu’il avait bien dormi la nuit. La requête a reposé au greffe du tribunal pendant près de deux ans avant que la Haute Cour de Justice consente à l’examiner.

 

Maintenant, alors que les requérants avaient enfin réussi à obtenir une audience, le groupe des juges présidé par le vice-président de la Cour Suprême, le juge Mishael Cheshin, a décidé de ne pas tenir d’audience et de joindre le dossier à une autre requête que le Comité Public contre la Torture a introduite en janvier 2002 contre la politique des assassinats ciblés. Mais dans le cas de cette requête-là, le tribunal ne prend pas non plus de décision. La requête contre la politique des assassinats ciblés a été gelée en février de cette année, trois ans et demi après son dépôt.

 

Qu’avions-nous ? Deux requêtes : l’une demandant que l’on déclare illégale la politique d’assassinats sans jugement adoptée officiellement par l’Etat et l’autre réclamant une enquête sur une tuerie de masse provoquée par une bombe larguée d’un avion de la force aérienne sur une zone densément peuplée. Dans les deux cas, le tribunal s’abstient depuis des années de toute décision.

 

Et ce n’est pas tout. Quand a éclaté l’Intifada al-Aqsa, l’ancien avocat militaire principal, le général Menahem Finkelstein, a décidé d’une politique selon laquelle la Police Militaire d’Investigation n’enquêterait pas sur la mort de civils palestiniens, sauf cas exceptionnels. Son successeur a adopté lui aussi cette ligne de non-investigation et depuis maintenant plus de deux ans, la Cour Suprême s’est abstenue de décider si cette politique était légale. On n’enquête pas, on ne juge pas et on ne tranche pas la question de savoir si tout ça est légal.

 

Contrairement aux crimes habituels, les crimes de guerre sont des crimes internationaux. Cela signifie que lorsque les autorités chargées de l’application de la loi au sein de l’état dont le suspect est un ressortissant, font la démonstration qu’elles ne sont pas capables d’enquêter ou pas intéressées à enquêter puis à juger les responsables, le droit international impose à tous les états du monde de mener l’enquête et de faire comparaître les responsables s’il y a suffisamment de preuves. Si pas Israël, alors l’Angleterre. Si pas la Haute Cour de Justice, la Chambre des Lords.

 

Tant que l’avocat militaire principal et les juges d’Israël ne comprendront pas que des enquêtes dignes de ce nom sur des événements où l’on peut soupçonner que des crimes de guerre ont été perpétrés, et la stricte application du droit aux responsables ne constituent pas seulement ce qui s’impose moralement mais aussi ce qui est juste d’un point patriotique, ils contraindront de plus en plus d’officiers de l’armée de défense d’Israël à passer leurs vacances sur les bords du Zvitan [dans le Golan - NdT] ou à Eilat.

 

 

Michael Sfard est avocat et spécialiste du droit international en matière de droits de l’homme. Il représente les requérants des deux premières requêtes mentionnées dans l’article.

 

 

[Traduction de l'hébreu : Michel Ghys]


Source : Michel Ghys


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